Je n’ai pas l’habitude de lire des polars, ce n’est pas mon genre préféré il est vrai, mais plonger dans un Khadra, c’est s’assurer un voyage littéraire incomparable. Et puis L’Outrage fait à Sarah Ikker est-il vraiment un polar finalement ? Je ne crois pas. Yasmina Khadra lui-même évoque « une enquête conjugale ». Oui, résolument. Un thriller psychologique ? Sans aucun doute. Un très bon roman. La chose est avérée.
« Sarah aurait tant aimé que son mari se réveille et qu’il la surprenne penchée sur lui, pareille à une étoile veillant sur son berger. Mais Driss ne se réveillerait pas. Restitué à lui-même, il s’était verrouillé dans un sommeil où les hantises et les soupçons se neutralisaient, et Sarah lui en voulait de se mettre ainsi à l’abri des tourments qui la persécutaient. Aucun ange ne t’arrive à la cheville, lorsque tu dors, mon amour, pensa-t-elle. Pourquoi faut-il qu’à ton réveil tu convoques tes vieux démons, alors qu’il te suffit d’un sourire pour les tenir à distance ? ». Couple comblé, Sarah et Driss Ikker mènent la belle vie à Tanger jusqu’au jour où l’outrage s’invite à leur table. Dès lors, Driss n’a plus qu’une seule obsession : identifier l’intrus qui a profané son bonheur conjugal. ».
J’aime les débuts de Khadra, in medias res, une plongée au coeur de l’action, directement en phase avec le personnage principal. En deux ou trois phrases bien balancées, vous vous laissez embastiller dans les filets du romancier. Pas de lutte possible. L’écriture est fluide, les ressorts romanesques simples mais toujours efficaces et, must du must, l’engagement de l’auteur est là où on l’attend le moins.
Tanger. La corruption. La violence policière. La manipulation. Les vices. La débauche. La prostitution. Les ripoux. Les pourris.Et les femmes. Intenses. Sarah Ikker. La diva cougar. La bonne copine Narimène.
Au delà de l’enquête menée par Driss Ikker, un vrai questionnement sur la condition féminine en Afrique du Nord se profile. Le droit à la parole. Le droit à la séduction. Le droit au plaisir. Le droit à l’amour. Et si, pour ces femmes-là, tout n’était finalement que devoir ?
Le tome 1 est rapide, implacable, douloureux. Du pur Khadra. Sans faux semblant. Sans fioriture. Rude et râpeux. On attend le tome 2 de la trilogie marocaine avec une impatience non dissimulée. Moi en tout cas.
En attendant Khadra …
Je finirais par une petite anecdote sur le nom de plume de Yasmina Khadra qui, vous le savez, n’est pas une femme. Il a emprunté ce prénom à son épouse – Yamina – pour la remercier de le soutenir. Un petit côté Columbo qu’on ne peut qu’adorer en secret non ?
« Mon épouse m’a soutenu et m’a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie. En portant ses prénoms comme des lauriers, c’est ma façon de lui rester redevable. Sans elle, j’aurais abandonné. C’est elle qui m’a donné le courage de transgresser les interdits. Lorsque je lui ai parlé de la censure militaire, elle s’est portée volontaire pour signer à ma place mes contrats d’édition et m’a dit cette phrase qui restera biblique pour moi : “Tu m’as donné ton nom pour la vie. Je te donne le mien pour la postérité » ».
Cette explication ne pouvait pas ne pas m’enchanter…
L’Outrage fait à Sarah Ikker de Yasmina Khadra , Editions Julliard, 2 mai 2019.