Le constateur
Un soleil printanier pénètre ce matin dans le grand salon qui accueille le bureau, obligeant l’occupant des lieux à utiliser des rideaux pour s’isoler de l‘abondante lumière. Quoi de plus normal pour un auteur de romans noirs que de rechercher l’ombre. Ce soleil il l’a désiré depuis son Coudekerque-Branche d’origine, en s’installant dans le Sud, au sud même de la ville, dans ce quartier Saint-Michel à qui il reste fidèle depuis son arrivée à Toulouse en 1984.
Si l’acte d’écrire est solitaire, c’est en bonne compagnie que se trouve ici l’auteur du bruit sous le silence. Pour la naissance de son fils, son éditeur lui fait le beau cadeau de lui offrir les publications maisons qui manquent à sa bibliothèque, la quasi intégralité des auteurs Rivages/noir le chaperonne maintenant, depuis les étagères murales, distillant une présence rassurante et inspiratrice.
Posée sur un angle du bureau, une antique Underwood (1923) qui ne crépite plus depuis longtemps. Pour les machines à écrire aussi, le temps est assassin. Elle surplombe l’Imac turquoise, l’ancien outil de travail de Pascal Dessaint. À un petit mètre l’un de l’autre c’est pourtant une centaine d’années qui les sépare.
Ce temps où les voisins du romancier auraient été en droit de se plaindre du barouf incessant de sa machine électrique, tant son activité était frénétique. Ni manuscrit ni tapuscrit, de nos jours. Dans un silence feutré, c’est un fichier qui se crée sur l’ordinateur, la notion même d‘écriture ayant disparu du mot. À contrario, l’avantage des ordinateurs c’est qu’ils sont portables maintenant, et permettent une écriture nomade, rompant avec l’habitude d’être attaché à son bureau comme l’arapède à son rocher.
Technologie aidant, l’espace gagne en clarté et dépouillement. Les kilooctets du futur ouvrage viendront remplir la mémoire du disque dur et non plus celle de son auteur. Néanmoins, il arrive régulièrement que des feuilles fleurissent sur des cordelettes tendues entre deux lampes, suspendues comme le seraient des photographies qui sèchent dans un labo photo. La construction mentale d’une intrigue plus complexe nécessite cette prévisualisation, afin de composer le puzzle littéraire, et de disposer idéalement lieux, situations et personnages. Arrivera la saison où ces feuilles se détacheront de leur cordon pour s’assembler, en ordre, au creux du mille-feuille fictionnel.
Un objet étrange, ressemblant à une pendule et cerné par les livres attire l’œil. Ayant appartenu au père de Pascal Dessaint, de la forme d’une boite en bois équipé d’une horloge, un constateur est un outil qui permettait d’enregistrer l’arrivée des pigeons voyageurs dans le milieu colombophile. Comment ne pas faire d’analogie entre ce mot et le principal engagement du lauréat du grand prix du roman noir Français ; rendre compte de l’état du monde actuel, des actes de l’homme envers la nature qui l’entoure, et décompter pour nous le temps qu’il reste jusqu’au point de non retour.
Jean-Jacques Ader`
( L’horizon qui nous manque, le nouveau roman de Pascal Dessaint sortira le 18 Septembre 2019 ; parallèlement, À trop courber l’échine, Une pieuvre dans la tête et Loin des humains ressortiront sous de nouvelles couvertures)
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