Le 13 février prochain, après Bertrand Chamayou, Fabrice Millischer et Adam Laloum, Thibaut Garcia deviendra peut-être le quatrième soliste toulousain récompensé aux Victoires de la musique classique. Le jeune guitariste fait partie des trois musiciens nommés dans la catégorie « Révélation soliste instrumental de l’année » que le public va départager lors d’un vote en ligne sur le site des Victoires. Une reconnaissance et une nouvelle étape dans la trajectoire fulgurante de ce musicien surdoué âgé seulement de 24 ans. Un parcours déjà riche de nombreuses rencontres et expériences sur lequel ce jeune homme humble et sympathique a bien voulu revenir pour Culture 31.
Quand et comment ont commencé vos amours avec la guitare ?
J’ai pris mes premières leçons de guitare à l’âge de 7 ans, à l’école de musique de Saint-Orens-de-Gameville. L’envie de pratiquer cet instrument m’est venue en voyant mon père en jouer à la maison pour son plaisir. Bien que guitariste amateur, il jouait très bien, surtout des pièces classiques. Il s’accompagnait parfois en chantant, avec certaines bases de flamenco. Ça me fascinait de voir mon père jouer pour la famille, les amis, et de constater l’effet que sa musique produisait autour de lui. Ma mère s’y est mise aussi et la guitare est devenue omniprésente dans le foyer familial. Dans un tel environnement, il n’étonnera personne que j’ai harcelé mes parents pour « faire pareil ». Je n’avais pas spécialement pensé à faire de la musique – c’était plutôt le sport qui me tentait – mais dès que j’ai eu une guitare entre les mains à l’école de musique, je ne l’ai plus lâchée. La sensation, le fait de créer des sons, tout ça m’a plu d’emblée. Dire que je suis « tombé amoureux » de la guitare n’est pas exagéré. Un amour qui dure et qui ne cesse de grandir.
Est-ce que dès le départ, vous vous êtes orienté vers la guitare classique ?
Oui, j’ai commencé par la guitare classique et les morceaux qu’on me faisait jouer me plaisant bien, je n’ai jamais songé à passer à autre chose. Je me rappelle que lorsque je suis entré au Conservatoire de Toulouse, nous avions eu une année de découverte : chaque semaine, un professeur nous emmenait voir un instrument différent et certains d’entre eux, comme le clavecin et la harpe, m’avaient fasciné. Malgré ça, je suis resté farouchement attaché à la guitare et à son répertoire classique, tout simplement parce que c’est ce que j’aime le plus.
Vous n’avez jamais été tenté d’aller « voir ailleurs », comme le font souvent les musiciens ayant reçu une formation classique à la base, du côté du jazz, du flamenco, voire de vous accompagner en chantant comme le faisait votre père ?
Non… Peut-être parce que je ne crois pas en mes talents de chanteur (rires) ! Et aussi parce que le jazz n’est pas dans ma culture. Mes parents n’écoutaient pas de jazz alors qu’ils écoutaient de la guitare classique. Quand j’étais enfant, j’entendais chez moi les enregistrements des plus grands guitaristes comme Pepe Romero, John Williams, Julian Bream et Alexandre Lagoya. J’ai donc connu ça avant même de toucher l’instrument, ce qui est rare lorsqu’on commence la guitare très jeune. Mon oreille, ma sensibilité, mon goût ont été formés très tôt, ce qui a bien entendu beaucoup influencé la suite.
Puisque vous évoquez les noms de grands guitaristes, quels furent vos inspirateurs et vos professeurs tout au long de votre formation musicale et peut-être encore aujourd’hui ?
D’abord mon père et ma mère, bien sûr. Ils ont été les premiers modèles, les premiers inspirateurs, ceux qui ont créé cette énergie, cette envie et ce plaisir de jouer de la guitare. Ensuite, sans faire de démagogie, j’ai appris de tous les professeurs que j’ai eus. Il me semble important de le dire et de rappeler que chacun m’a enseigné des choses essentielles à un moment donné. Que ce soit à l’école de musique de Saint-Orens-de-Gameville, au Conservatoire de Toulouse ou au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, j’ai vraiment appris à chaque étape de ma formation. Tous les professeurs que j’ai connus avaient des qualités différentes et tous m’ont apporté pour devenir le musicien que je suis aujourd’hui.
Pouvez-vous citer quelques-uns d’entre eux ?
Au Conservatoire de Toulouse, il y a eu Marc Navarro et Paul Ferret avec lesquels je suis d’ailleurs toujours en relation bien qu’ils soient retraités désormais ; deux personnes qui font partie de ma vie. Au CNSM de Paris, j’ai reçu l’enseignement d’Olivier Chassain et de son assistant, Laurent Blanquart. À ces quatre maîtres, il faut associer Judicaël Perroy, un pédagogue exceptionnel dont j’ai suivi le cours privé ; sans doute un des meilleurs enseignants au monde pour la guitare.
S’agissant de Judicaël Perroy, que vous a-t-il apporté de particulier ?
Il est intervenu à un moment où je commençais à être bien développé sur le plan technique et musical pour un musicien de mon âge. Ce que m’a apporté son enseignement concerne de petits détails mais d’une importance cruciale, décisive. Imaginez que vous arriviez dans un endroit où quelques portes sont fermées parmi beaucoup d’autres. Judicaël Perroy a réussi à m’ouvrir ces portes-là et à comprendre où je voulais aller, ce que je voulais faire. L’espace qui se trouve derrière est immense et je l’explore encore aujourd’hui par moi-même. Il m’a non seulement accompagné pendant les cours mais il a aussi été très présent en dehors, pour parler avec moi de mes projets artistiques entre autres. À un certain niveau, pour un élève, l’aspect humain est indissociable de l’aspect purement musical. Avoir un professeur qui s’investit dans notre construction en tant qu’artiste et même en tant qu’homme est indispensable.
Outre ces professeurs qui ont fait de vous le musicien que vous êtes aujourd’hui, avez-vous des modèles parmi les grands guitaristes du passé ou du présent ?
Pour ceux du passé, il faut saluer notre belle école française dans laquelle je vais citer bien sûr Alexandre Lagoya et Ida Presti qui formèrent un duo de légende dans les années 1950/1960. Parmi les grands anciens, j’aime beaucoup aussi l’Anglais Julian Bream. Actuellement, il y a des musiciens incroyables comme le Polonais Marcin Dylla que nous avons eu la chance de pouvoir programmer lors du concert d’ouverture de la saison Toulouse Guitare. J’ajoute à cette liste un autre guitariste contemporain, l’Italien Carlo Marchione, tout à fait remarquable lui aussi. Ce sont des artistes que j’écoute et que je vais voir en concert avec beaucoup de bonheur.
Est-ce que vous apprenez encore en écoutant ces musiciens ?
Oui, toujours, et c’est un régal d’aller les voir jouer en concert. Il s’y passe des choses qu’on ne peut pas retrouver en écoutant un disque dans sa chambre. C’est là qu’on apprend, que ce soit dans la gestion de la scène, dans la projection du son, dans la création des sonorités et des atmosphères. Comme je le dis souvent, je ne prends plus de cours mais c’est en allant à des concerts que je reçois maintenant les meilleures leçons.
Restons-en à la guitare classique et à sa situation en France. Il semble qu’on observe un net regain d’intérêt pour celle-ci dans notre pays, de la part du public et des jeunes qui s’orientent de plus en plus vers cet instrument.
Je le constate aussi. On peut dire que l’on est dans une phase de regain de popularité pour la guitare en France. Elle intervient après un gros creux, faisant suite notamment à la mort d’Alexandre Lagoya il y a une vingtaine d’années. Les gens s’intéressent de nouveau à la guitare, à mon avis en grande partie grâce à la prise de conscience par les guitaristes de la place que tient leur instrument parmi les autres. Au conservatoire aujourd’hui, les étudiants en classe de guitare font plus de musique de chambre et sont plus en contact avec les autres instrumentistes qu’à une certaine époque ; même si la guitare reste une « niche » et un instrument soliste.
Quand j’étais au conservatoire, j’avais beaucoup d’amis musiciens non-guitaristes et je jouais de temps à autre avec eux. En dehors du plaisir que cela me procurait et de ce que j’apprenais à leur contact, il m’importait qu’eux aussi connaissent la guitare. Je m’étais rendu compte que la plupart – et même des professeurs – appréciaient l’instrument mais ne le connaissaient pas. De plus en plus, un travail est réalisé par les musiciens, relayé par les médias, qui fait que le public redécouvre et aime la guitare classique. Prenons l’exemple de Toulouse Guitare : les deux concerts que nous avons déjà donnés cette saison ont été très réussis du point de vue de la qualité musicale mais ils l’ont été aussi par la fréquentation. Le public a répondu présent en nombre et était ravi de ce qu’il a entendu.
Toulouse Guitare, parlons-en justement : pourquoi avoir voulu créer une saison de concerts de guitare classique dans votre ville de naissance alors que vous êtes encore un très jeune musicien ? Vous auriez pu mettre toute votre énergie dans votre carrière personnelle avant de vous lancer plus tard dans la direction artistique de festivals ou de saisons ?
Avant de répondre, je voudrais préciser que l’âge est quelque chose à quoi je ne pense absolument pas, qu’il s’agisse de moi ou des personnes que je fréquente. On n’est jamais trop jeune ou trop vieux pour réaliser des projets, seuls l’état d’esprit et l’engagement comptent. Pour revenir à votre question, il se trouve que je me suis aperçu qu’il y a peu de manifestations consacrées à la guitare en France. Quand j’étais étudiant, j’ai rarement assisté à des concerts de guitare et pourtant je recherchais tout ce qui existait dans ce domaine. Il y a deux ans, j’ai fait une tournée aux États-Unis pendant six mois et j’ai pu constater à quel point ce pays aimait cet instrument et organisait des concerts partout. Même dans des villes dix fois plus petites que Toulouse, il y a des saisons avec de grands guitaristes programmés.
Toulouse est un grand pôle économique et universitaire, une métropole qui met beaucoup d’argent dans la culture mais il n’y avait pas la « couleur guitare » jusqu’alors. Pourtant les amateurs et les pratiquants y sont très nombreux. J’en ai donc parlé avec mes parents et nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait inviter des musiciens à faire des concerts de guitare dans la Ville rose. Il me paraît également indispensable pour les étudiants en guitare du conservatoire, moi qui n’ai jamais eu de master-class lorsque j’y étais élève, de leur offrir la possibilité d’aller à de beaux concerts mais aussi de suivre une master-class avec de grands artistes internationaux. Mes parents et moi, nous avons donc proposé le projet à divers partenaires dont la Mairie de Toulouse. Il a été bien reçu, on nous a fait confiance pour le lancer, et nous nous réjouissons de voir que le public est au rendez-vous après les deux premiers concerts de la saison.
Cela dit, qu’on ne s’y trompe pas, être directeur artistique de Toulouse Guitare ne m’empêche pas de me concentrer à fond sur ma carrière de soliste ; c’est seulement du plus !
Il y a donc bien un public pour la guitare à Toulouse, il suffisait de proposer des concerts de qualité pour le prouver.
Oui, et à ce sujet je voulais ajouter qu’il y avait pour moi plusieurs conditions essentielles à réunir pour réussir ce pari. En premier lieu, programmer des artistes de top-niveau pour proposer des concerts de super-qualité. Les musiciens que nous faisons venir, c’est vraiment le dessus du panier international. Ensuite, il fallait les faire jouer dans des lieux qui correspondent à une acoustique propice à l’instrument. J’ai trop souffert, à titre personnel, de faire des concerts dans des salles totalement inadaptées à la guitare pour ne pas prendre ce paramètre en compte. Il faut respecter les musiciens et le public.
Et la carrière de Thibaut Garcia, où en est-elle ? On vous imagine de plus en plus sollicité. Vous jouez dans le monde entier, maintenant ?
Je joue dans beaucoup de pays en effet, et sur presque tous les continents désormais. Je suis très heureux de ce que m’offre ma carrière aujourd’hui et de ce qui se profile dans un avenir proche. Je donne de plus en plus de concerts, et dans des lieux prestigieux comme le Wigmore Hall à Londres ou le Concertgebouw d’Amsterdam. En mars, je vais jouer au Tchaïkovsky Concert Hall de Moscou puis à l’Opéra de Nice, à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt, au Théâtre du Capitole à Toulouse… Sont prévues également une tournée au Japon et une autre aux États-Unis. Tous ces concerts sont programmés d’ici juin/juillet.
À cet agenda très chargé sur scène s’ajoutent des enregistrements puisque j’ai la chance d’avoir une maison de disques, Erato Warner Classics, avec laquelle j’ai d’excellentes relations et qui montre elle aussi un véritable engouement pour la guitare. J’ai fait paraître sous ce label mon dernier disque, Bach Inspirations, en octobre dernier. J’avais envie de rendre hommage à Jean-Sébastien Bach à travers des transcriptions pour guitare de ses œuvres et des pièces originales composées pour mon instrument, dédiées à Bach par leurs auteurs. Je trouvais intéressant de changer de couleur, le répertoire pour guitare étant souvent très espagnol, en lui donnant une teinte plus baroque. Bach est le compositeur que je préfère entre tous.
Dans mes enregistrements, comme dans mes programmes de concert, j’essaie toujours de proposer quelque chose dans quoi les gens peuvent se reconnaître, avec des œuvres, des styles de musique qu’ils connaissent, en y ajoutant des choses plus originales, parfois contemporaines : des créations récentes et des pièces oubliées, des partitions retrouvées ou qui n’ont jamais été jouées. Je considère qu’un musicien doit aussi être un chercheur qui va faire découvrir au public autant la création contemporaine que des œuvres tombées dans l’oubli.
L’actualité immédiate, ce sont les prochaines Victoires de la musique classique le 13 février pour lesquelles vous êtes nommé dans la catégorie « Révélation soliste instrumental de l’année ». Quelle importance attachez-vous à ce genre de récompense ?
Je ne vais pas être hypocrite : être nommé aux Victoires de la musique classique, c’est une chance et un honneur exceptionnels. Et c’est exceptionnel pour un musicien en général mais encore plus pour un guitariste puisqu’il y a 15 ans que la guitare n’y a pas été représentée dans les catégories « soliste instrumental ». Là encore, c’est le signe, la preuve du regain d’intérêt pour la guitare classique aujourd’hui. Pour moi, c’est une expérience fabuleuse puisque la cérémonie est retransmise en prime time sur France Télévisions et que je vais jouer devant des millions de téléspectateurs en étant présenté comme l’un des meilleurs musiciens du moment. C’est une reconnaissance de la part du milieu musical qui permet de se dire que tout le travail que l’on fait depuis des années, tout ce qu’on essaie de donner aux gens, trouve sa récompense. Ça me donne envie de continuer et d’en faire encore plus.
C’est pour vous une reconnaissance de la profession mais c’est aussi, si vous êtes primé, une reconnaissance du public puisque c’est lui, en votant, qui va désigner le lauréat.
Eh oui, ce n’est pas le cas pour toutes les catégories mais ça l’est pour les Révélations. Je le redis, j’essaie de donner beaucoup au public lors de mes concerts que je vis et prépare à chaque fois comme si ce devait être le dernier, c’est-à-dire que je donne sans compter. Là, c’est moi qui ai besoin du public de façon très directe pour qu’il me manifeste son soutien lors du vote en ligne pour la Victoire dans la catégorie « Révélation soliste instrumental de l’année ». Bien sûr, j’attends énormément du public toulousain et de celui de la région, un public très affectueux. À chaque fois que je joue à Toulouse ou en périphérie, je me sens vraiment comme à la maison. J’espère donc que les gens vont se mobiliser et voter sur le site des Victoires où ils trouveront des vidéos des différents candidats pour juger sur pièce avant de cliquer sur le nom de leur favori. Je leur fais toute confiance pour me soutenir.
Croisons les doigts pour le jeune guitariste toulousain. Si vous voulez soutenir Thibaut Garcia et voter pour lui, il suffit de se connecter au site web des Victoires de la musique classique en cliquant ICI
Site Internet de Thibaut Garcia
Photos © Pierre Beteille / Culture 31