Après la bourdonnante journée du John Cage Project, le cycle vivifiant des Présences Vocales se poursuit avec la proposition originale du Théâtre Garonne de coupler une « performance de poésie sonore » basée sur l’œuvre de Kurt Schwitters « Ursonate » (Sonate de sons primitifs) et l’œuvre électronique de Pierre Henry « La Noire à soixante + Granulométrie ».
Le 2 avril à 20 h, la première partie, consacrée à Kurt Schwitters, sera présentée dans une conception et mise en scène de Roland Auzet, une interprétation de Steven Schick, et une mise en œuvre électronique live et vidéo de Wilfried Wendling. La diffusion du son de l’œuvre de Pierre Henry sera assurée par Bertrand Dubedout, du collectif éOle.
« Ursonata » est une performance inspirée de la tragédie contemporaine des « hikikomori » (forme pathologique d’agoraphobie chez certains adolescents japonais) et reliée à l’aspect visionnaire de la « Ursonata » de Kurt Schwitters. Cette performance engendre, grâce a une mise en scène originale et au traitement de la musique et de la vidéo, une « réflexion résonante et démultipliée, semblable à un grand poème sur le monde ».
Poète allemand, né à Hanovre en 1887, Kurt Schwitters a incarné l’esprit individualiste et anarchiste du mouvement Dada, dont il fut l’un des principaux chefs de file à Hanovre. Ecarté du mouvement Dada de Berlin, Schwitters réagit en fondant un mouvement parallèle qu’il nomme « Merz », d’après son tableau Merzbild I dans lequel le mot Merz est ironiquement tiré de la partie centrale du mot Kommerzbank. Le mouvement Merz cherche en effet à s’approprier les rebuts de la société industrielle et de la réalité quotidienne dans l’art, sans idée de message politique ou d’esthétique d’opposition, mais avec la volonté, à partir de 1920, de fonder un art total Merz, embrassant l’architecture, le théâtre et la poésie urbaine. Entre 1922 et 1932, il compose son chef-d’œuvre de poésie phonétique, « Ursonata », qu’il prendra souvent plaisir à déclamer en public. Kurt Schwitters est mort en Angleterre en 1948. Il a exercé une influence décisive sur le néo-dada et tous les performers de poésie phonétique.
Avec la superposition de deux opus précédents, Pierre Henry nous livre en 1967 son œuvre la plus directement spectaculaire. Les prouesses vocales de François Dufrêne, dont Pierre Henry a tissé la trame de Granulométrie, rebondissent sur les angles vifs des figures montées et ciselées qui jalonnent La Noire à soixante ou bien s’abîment dans ses vertigineux silences. Cette œuvre est sans conteste un sommet de la rencontre de la poésie sonore et de la musique électroacoustique. Les nombreux concerts de ses œuvres sont donnés dans le monde entier, avec le souci constant d’une grande maîtrise de la spatialisation. Novateur dans le domaine de l’exploration du son, défenseur d’une esthétique libre et ouverte, pionnier dans les recherches technologiques, Pierre Henry aura ouvert la voie à de nombreux univers des musiques nouvelles, notamment électroniques. Depuis 1995, toute une génération des musiques actuelles rend hommage à Pierre Henry pour ses inventions, reprises pour la plupart par les technologies manufacturées d’aujourd’hui La modernité de Pierre Henry fait de lui, selon Le Monde, « le grand réconciliateur des générations » (juillet 2000).
Serge Chauzy
Une chronique de Classic Toulouse