Les Éléments fêtent leurs vingt ans !
Vingt ans après… vingt ans déjà. En 1997, Les Éléments entraient dans le petit monde des choeurs professionnels. Deux décennies marquées par des centaines de concerts, des tournées, des enregistrements, des collaborations prestigieuses et une victoire de la musique classique en 2006. Un parcours qui aura amené la formation créée et dirigée par Joël Suhubiette au sommet des ensembles vocaux français et à se produire dans les salles les plus renommées de notre pays. Avant une semaine de célébrations du 8 au 13 novembre à Toulouse et à Blagnac, retour sur une aventure de passion et d’amitié, plus que jamais en cours, avec le fondateur des Éléments.
Vous avez fondé Les Éléments il y a vingt ans mais auparavant, vous avez eu une première carrière de chanteur commencée à Toulouse sur les bancs du chœur dirigé par la regrettée Alix Bourbon, prolongée ensuite avec William Christie et Philippe Herreweghe.
J’ai chanté en effet dans le chœur d’Alix Bourbon pendant toutes mes années d’études toulousaines avant de rejoindre en 1986 William Christie et les Arts Florissants en tant que choriste. J’ai participé à plusieurs productions avec eux à l’époque. La même année, j’ai fait la connaissance de Philippe Herreweghe et intégré ses ensembles La Chapelle Royale et Le Collegium Vocale de Gand. Une rencontre déterminante et une collaboration qui a duré onze ans.
C’est à l’issue de ces onze années de collaboration avec Philippe Herreweghe que vous fondez le choeur professionnel Les Éléments. Avoir votre propre formation, c’était un projet que vous nourrissiez depuis longtemps ?
Oui, mais il faut préciser que si la fondation du choeur professionnel Les Éléments date de 1997, j’avais créé l’association du même nom en 1985 alors que j’étais encore étudiant. C’était donc un vieux projet, ayant pris au départ la forme d’un choeur amateur rassemblant mes camarades de l’université et des classes de chambre du conservatoire. Pendant ces douze ans précédant la professionnalisation de l’ensemble, il y a eu des programmes, des concerts, surtout lors des vacances d’été. De 1989 à 1997 j’ai été l’assistant de Philippe Herreweghe, période durant laquelle, tout en étant chanteur, je préparais le choeur pour toutes les productions. Je me suis ainsi de plus en plus investi dans la direction et après dix années à La Chapelle Royale et au Collegium Vocale de Gand, après avoir pris entre temps (en 1993) la direction de l’Ensemble Jacques Moderne à Tours – mon premier choeur professionnel avec lequel nous chantions des œuvres allant de la Renaissance au début du Baroque – j’ai eu envie d’aborder d’autres répertoires en créant mon propre ensemble. Le choeur « professionnel » Les Éléments est donc né en 1997 mais il y a eu une longue histoire avant, une lente maturation, le temps que je trouve définitivement ma voie.
Pour la petite histoire… Les Éléments, pourquoi ce nom plus qu’un autre ?
On m’a souvent posé la question… et je ne sais toujours pas trop y répondre. Certes, il y a plusieurs œuvres dans l’histoire de la musique, surtout instrumentales d’ailleurs, qui ont pour titre Les Éléments mais ce n’est pas forcément la raison de mon choix. Au départ, quand j’ai cherché un nom pour le choeur, l’idée était de trouver quelque chose en lien avec le souffle, l’air. Finalement, en pensant aux éléments : l’air, l’eau, la terre, le feu qui symbolise l’ardeur, la passion, j’ai pensé que c’était poétique et que ça définissait bien ce que nous étions ; l’instrument étant la voix, donc lié au corps et à la nature. Le fait que ce nom soit un pluriel correspondait bien aussi à un ensemble de choristes.
Qui sont les chanteurs qui vous suivent dans cette aventure en 1997 ? Est-ce que beaucoup étaient déjà présents dans le choeur formé en 1985 ?
Non. En fait, j’ai procédé à un recrutement en repartant presque de zéro même s’il y a trois chanteurs avec lesquels je travaillais depuis longtemps que j’ai pris dans l’ensemble. Pour le reste, j’ai fait passer des auditions et donc constitué un nouveau groupe.
Et en vingt ans, est-ce que l’effectif de 1997 est resté à peu près stable ou a-t-il évolué ?
L’équipe des débuts a évolué avec le temps même si quelques choristes actuels étaient présents au moment de la création. Cela étant, il y a un noyau stable d’une vingtaine de chanteurs qui sont là depuis une bonne douzaine d’années. Les Éléments est un choeur à effectif variable, 24 choristes étant notre formation de prédilection, 18 étant l’effectif pour des œuvres à capella. Pour des oratorios, nous pouvons « monter » à une quarantaine de choristes en fonction des productions.
Si l’on revient aux origines, quels étaient l’ambition et le répertoire du choeur au départ, les deux étant peut-être liés d’ailleurs ?
L’ambition était avant tout de travailler et d’approfondir dans les grandes largeurs le répertoire à capella. Pour moi, c’est l’essence même du choeur, un plaisir qui doit être comparable à celui d’un instrumentiste explorant le répertoire du quatuor à cordes. Le répertoire à capella est d’une exigence extrême sur la justesse, les couleurs, l’homogénéité, la recherche du style… Ça a donc été dès le début et ça demeure une grosse part du travail de l’ensemble. Il y avait une autre envie, celle d’explorer le riche répertoire du XXe siècle qui compte beaucoup d’oeuvres à capella, tout en étant aussi exigeant que les autres. Très vite est venu ensuite le désir de passer des commandes à des compositeurs actuels, et ce dès la deuxième année d’existence du choeur. C’est une volonté qui ne s’est jamais démentie depuis et qui perdure. Il y a toujours au moins une commande par an.
Peut-on dire que le répertoire des Éléments a peu évolué parce que, dès les commencements, il était très large ?
Il s’offre à un ensemble vocal un répertoire qui balaie cinq ou six siècles, de la Renaissance à nos jours. Nous avons un peu moins chanté celui de l’époque classique ; même si nous avons donné en oratorio Haydn et Mozart, ce répertoire demeure occasionnel pour nous. Il y en a un autre que nous avons moins exploré bien qu’il soit également très riche en musiques à capella, c’est le répertoire romantique. Certes, nous avons interprété des œuvres de Brahms et de Mendelssohn mais nous avons beaucoup moins chanté d’œuvres de ces compositeurs que d’autres ensembles français comme par exemple le choeur Accentus.
Nous avons surtout mis à nos programmes des polyphonies à capella de la Renaissance ainsi que le répertoire du XXe et des créations, avec quelques immersions, de-ci de-là, dans les répertoires classique et romantique. Évidemment, nous avons aussi beaucoup investi le répertoire baroque, la forme de notre choeur et le nombre de nos chanteurs correspondant à l’oratorio de cette période. D’autres formes sont apparues au fil du temps comme l’opéra depuis 2008, un genre pour lequel nous sommes désormais régulièrement sollicités, entre autres à l’Opéra-Comique. Nous nous y produirons d’ailleurs du 19 au 31 décembre lors des représentations du Comte Ory de Rossini.
Quelles furent les grandes étapes de ces vingt ans d’histoire des Éléments ?
Au niveau local, il y a eu une période très importante entre 2001 et 2005, premières années de notre résidence à Odyssud. Une collaboration qui s’est faite progressivement, aujourd’hui bien installée, avec la salle blagnacaise dirigée par Emmanuel Gaillard. Elle est essentielle puisque nous y avons donné presque toutes nos créations de programmes depuis plus de quinze ans, notamment celles commandées à des compositeurs actuels. Pour nous, Odyssud c’est de la programmation et de la coproduction, un soutien financier très précieux. Sans ce diffuseur/coproducteur, nous aurions sans doute eu du mal à faire naître nos créations contemporaines.
Je veux aussi mettre en avant quelques collaborations privilégiées, là aussi depuis 2001. Celle avec Christophe Rousset et Les Talens Lyriques qui nous ont invités à plusieurs reprises pour des productions de musique baroque et que nous allons retrouver en décembre à l’Opéra-Comique. Nous avons fait avec eux des concerts parisiens, des tournées, le Festival de Beaune et des scènes baroques renommées. Je n’oublie pas non plus plusieurs collaborations avec Michel Plasson et l’Orchestre National du Capitole. Ce fut le cas pour l’enregistrement de leur CD Carmen sous le label EMI et pour celui d’un CD de cantates et d’œuvres chorales de Berlioz. Autre enregistrement en compagnie de l’ONCT de Plasson, un CD d’airs d’opéras avec Natalie Dessay où il y avait de nombreuses parties chorales. Même si c’est moins le cas maintenant, ce travail avec l’Orchestre National du Capitole a été important et s’est poursuivi, notamment pour le répertoire du XXe siècle.
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En 2006, vous êtes désignés ensemble de l’année aux Victoires de la musique classique. Je suppose que ça a été un grand moment dans l’histoire du choeur mais aussi un tournant, cette récompense ayant dû vous ouvrir de nombreuses portes.
Oui, à l’évidence. Dès l’année suivante, je dirigeais Les Éléments en concert au Théâtre du Châtelet et au Théâtre des Champs-Élysées. Plus généralement, cette distinction nous a en effet ouvert les portes des grandes scènes parisiennes. Elle a été très bénéfique pour la vente de nos productions, pour la renommée du choeur, pour la confiance de nos subventionneurs. Ce fut aussi la reconnaissance de la qualité de notre travail par le milieu musical, neuf ans seulement après la création de l’ensemble.
Outre les Talens Lyriques de Christophe Rousset et l’Orchestre National du Capitole de Michel Plasson, il y a eu encore des collaborations marquantes avec d’autres formations, d’autres orchestres.
Les Talens Lyriques furent les premiers. Il faut ajouter Jérémie Rhorer et son orchestre Le Cercle de l’harmonie avec lesquels nous avons fait beaucoup de concerts et même un opéra au Théâtre des Champs-Élysées, un autre grand moment. Ces dernières années, nous avons aussi collaboré avec Emmanuel Krivine et son ensemble, La Chambre Philharmonique. Nous avons chanté avec eux lors de concerts et pour un opéra, Béatrice et Bénédict de Berlioz, à l’Opéra-Comique et à l’Opéra du Luxembourg. Krivine, c’est aussi une grande rencontre parmi les chefs qui nous ont invités.
Bien sûr, il y a eu Les Passions de Montauban avec un partage de direction entre Jean-Marc Andrieu et moi. Nous avons mené plusieurs projets communs comme le Nisi dominus d’Haendel ou le Magnificat de Bach. Jean-Marc a souvent invité Les Éléments pour de la musique française baroque, notamment pour l’enregistrement des trois CD consacrés à Jean Gilles et plus récemment pour celui consacré à Antoine Esprit Blanchard. C’est une collaboration majeure, d’autant plus qu’elle se fait au niveau local et qu’elle existe depuis le début de l’ensemble. Une longue amitié me lie à Jean-Marc Andrieu, nous nous sommes connus alors que nous étions étudiants et que nous chantions dans le choeur d’Alix Bourbon.
Il y a eu aussi de nombreuses collaborations avec des compositeurs.
Patrick Burgan a été le premier à écrire pour le choeur. Je lui ai d’ailleurs commandé cette année une nouvelle pièce pour nos vingt ans, programmée dans Capella Nostra. Beaucoup d’autres compositeurs ont écrit pour nous mais il y en a un qui a été particulièrement important, c’est le Libanais Zad Moultaka. Nous avons créé une première pièce de lui en 2004 et pendant dix ans nous avons poursuivi ce travail de création en sa compagnie. C’est le compositeur qui a le plus écrit pour l’ensemble puisque nous avons créé onze de ses œuvres. Encore une rencontre marquante donc, mais il y en a eu d’autres : Alexandros Markeas, Philippe Hersant qui a composé plusieurs pièces pour nous, Vincent Pollet, Thierry Pécou, Benjamin Attahir… Bruno Mantovani va composer pour nous en 2019 et Philippe Hurel en 2020.
Je suppose que ces collaborations au long cours avec les mêmes compositeurs sont également précieuses pour eux parce qu’ils connaissent l’ensemble « par c(h)oeur » et savent très bien ce que vous êtes capables de faire.
C’est ce que j’aime lorsqu’on retravaille avec un compositeur. Chaque choeur a une couleur vocale et un vibrato particuliers. Lors d’une première collaboration, un compositeur les découvre après avoir écrit sa pièce. Lors de la deuxième, il connaît déjà la texture du choeur mais aussi ses individualités. C’est le cas de Zad Moultaka ou Patrick Burgan dont les compositions prennent de plus en plus en compte chaque voix du choeur jusqu’à confier des solos à certaines d’entre elles. C’est très émouvant lorsqu’un compositeur écrit vraiment « pour le choeur », pour ses chanteurs, lorsqu’on sent que la couleur vocale de l’ensemble influence sa composition, en tout cas lui donne une direction.
Autre chose importante dont nous devons parler, c’est le fait que le festival de Sorèze vous ait confié sa direction artistique et que ce lieu soit une sorte de « seconde maison » pour Les Éléments comme vous aimez à le dire.
En effet, nous avons deux résidences dans la région : Odyssud et Sorèze depuis 2006. Concernant ce dernier lieu, c’est au titre de la résidence que j’ai hérité de la direction artistique du festival et de la responsabilité de bâtir sa programmation. Sorèze est donc, autant qu’ Odyssud, un lieu de création pour nous. Dès que nous avons un nouveau programme, nous partons pour plusieurs jours là-bas où nous trouvons des conditions de travail idéales. Nous y bénéficions de l’acoustique de l’abbatiale, de celle de l’auditorium, d’un hébergement et d’une restauration sur place dans cet endroit magnifique où nous allons nous isoler depuis plus de dix ans pour créer.
Revenons à votre répertoire. Il me semble que la marque de fabrique des Éléments réside dans l’étendue de celui-ci, alliant perpétuation et sauvegarde d’oeuvres anciennes et créations de compositeurs actuels, participation à la création contemporaine.
Ce sont effectivement deux axes très forts pour le choeur et primordiaux dans notre démarche artistique. Il va de soi que je ne nie pas la nécessité de s’approprier le grand répertoire que nous avons grand plaisir à interpréter également. Nous sommes ravis de chanter La Messe en si de Bach, bien entendu. Cependant, lorsqu’on regarde notre discographie, sous ma direction j’entends, on y trouve essentiellement des enregistrements de pièces contemporaines et de polyphonies anciennes. Notre projet artistique repose donc beaucoup sur cette dualité.
En pensant à Capella Nostra, votre dernier programme en date avec toutes ces œuvres de petits maîtres du Languedoc des siècles passés qui voisinent avec des compositeurs actuels comme Patrick Burgan ou Benjamin Attahir, je me demandais si vous faisiez un travail de recherche pour retrouver, ressusciter des partitions anciennes, en fouillant des archives, des bibliothèques…
Oui, il y a un travail de recherche qui est effectué soit par moi, soit en collaboration avec des musicologues que nous sollicitons. Ça dépend des programmes, des répertoires abordés… et du temps dont je dispose. Cela étant, je reste attentif à ce qui paraît, à ce qui est nouvellement édité ou réédité, par exemple par le Centre baroque de Versailles. Dans le programme Capella Nostra, il y a des pièces d’Étienne Moulinié provenant de Narbonne qui ont été éditées par cet établissement. Quand ces œuvres m’arrivent dans les mains, il a déjà été réalisé un gros travail de musicologie. Nous travaillons aussi sur des partitions qui n’ont pas été éditées, seulement recopiées, retranscrites d’après fac-similés ou des choses de ce genre.
À côté des Éléments, il y a le choeur Archipels qui rassemble des chanteurs amateurs et des professionnels. On sent chez vous le désir de permettre aux passionnés d’interpréter de belles œuvres mais est-ce qu’il n’y a pas aussi une volonté de formation, de transmission ?
Un peu des deux, à dire vrai. Archipels est d’une certaine manière l’héritage de ce que furent Les Éléments première version, à l’époque où le choeur était encore amateur. D’ailleurs quelques membres d’Archipels appartenaient à l’ensemble de l’époque 1985-1997. Quand Les Éléments ont été professionnalisés, j’ai continué l’atelier vocal avec eux, je n’ai pas laissé tomber. Il y a ainsi tout un vivier de chanteurs de cette période, d’anciens étudiants qui pour certains sont devenus professeurs de musique, avec lesquels nous avons poursuivi l’aventure. J’ai donc toujours essayé de trouver du temps pour perpétuer mon travail avec les amateurs.
Petit à petit des étudiants en musicologie ont rejoint Archipels, certains élèves en musique de chambre du conservatoire aussi, y chanter participant de manière « non officielle » à leur formation. Au départ cet ensemble amateur n’avait pas de nom, on l’appelait « atelier vocal » puis il a été décidé de l’appeler Archipels. Ce nom (au pluriel), c’était le concept des îlots qui pouvait donner lieu à des rencontres l’été sous forme de stage avec des étudiants, des amateurs passionnés, des professeurs de musique venant d’un peu partout. L’idée était qu’il ne s’agissait pas forcément d’un ensemble avec une géométrie fixe mais d’un espace de rencontres.
Aujourd’hui, ma cousine Claire Suhubiette, professeur de chant choral à l’université Toulouse Jean-Jaurès, est mon assistante au choeur Archipels. En raison de ses fonctions et relations universitaires, de nombreux étudiants en musicologie rejoignent l’ensemble et y restent un ou deux ans, donc l’effectif tourne souvent. J’aime travailler avec eux parce qu’ils ont une envie et un enthousiasme communicatifs qui font écho à mon désir de transmettre. Tout ça fait qu’Archipels, c’est important pour moi.
On en arrive aux célébrations pour les vingt ans des Éléments. Un certain nombre de manifestations est prévu pour fêter cet anniversaire. Il y en a déjà eu plusieurs depuis le début de l’année 2017, d’autres s’annoncent du 8 au 13 novembre à Toulouse et à Blagnac. Quel est le programme de cette semaine « spéciale vingt ans » ?
Pendant ces six jours, Les Éléments et Archipels, que j’ai associé à cet anniversaire, vont être présents dans plusieurs lieux de Toulouse et de la métropole. Le grand concert-anniversaire est prévu le dernier jour, le 13 novembre à Odyssud où l’on va donner un programme Bach sous ma direction avec l’ensemble instrumental Les Ombres, un orchestre en résidence à l’Opéra de Montpellier. Pourquoi Bach ? Eh bien parce qu’on revient toujours à lui et à son œuvre… Donc cette année, je me suis dit que nous allions chanter une cantate et une messe brève que nous n’avions jamais abordées, en y ajoutant un motet que nous avons déjà interprété. Dans ce concert, il y a une seconde partie intitulée « Pochette-surprise » dont je ne peux dévoiler le contenu, vous vous en doutez (rires). Je peux seulement annoncer que nous avons choisi trois ou quatre œuvres principales du répertoire des Éléments. Nous allons les reprendre pour le plaisir et nous l’espérons pour celui du public. On y trouve surtout des morceaux à capella mais aussi d’autres avec la pianiste Corine Durous qui a souvent accompagné le choeur depuis sa création et avec laquelle nous avons enregistré trois disques. Je tenais à l’associer à cet anniversaire pour qu’elle joue avec nous une pièce avec piano de notre répertoire.
En amont de ce concert de clôture à Blagnac, il va y avoir des manifestations et des concerts gratuits dans Toulouse entre le 8 et le 12 novembre. Certains ont lieu à la Chapelle des Carmélites, d’autres au TNT, à la librairie Ombres Blanches, au marché des Carmes sous forme d’animations ou de petits concerts de vingt à trente minutes. Archipels ouvre la semaine le 8 à la Chapelle des Carmélites avec la Cantate jazz de Guillaume de Chassy déjà donnée cet été à Sorèze. Au TNT, le 10, nous allons interpréter de la musique chorale écrite pour des pièces de théâtre de Shakespeare et Euripide. Le 11 à Ombres Blanches, nous proposons des pièces de poésie française, celle d’Éluard, Apollinaire et Victor Hugo sur des musiques de Fauré, Poulenc… Il y a aussi un poète chinois mis en musique par Philippe Hersant. Le 12, Archipels reprend son programme de polyphonies d’après des chansons de Nougaro à la Chapelle des Carmélites. Au marché des Carmes, nous ne faisons pas tout à fait un concert puisque nous n’allons chanter que trois pièces, très différentes, histoire d’aller au devant du public au centre de la cité.
Nous avons voulu donner aussi une tonalité de gourmandise à toutes ces animations puisqu’il y en a une à l’heure du thé, une à l’heure du lunch, une à l’heure de l’apéritif… Il y a aussi un dîner romantique, payant celui-là, au restaurant l’Amphitryon à Colomiers. Là nous allons chanter en petit effectif un répertoire romantique – pas pendant que les gens mangent, nous ne mélangeons pas les plaisirs – mais sous la forme d’un petit concert-apéritif. Nous avons voulu investir divers lieux de la ville, avec un concept de gourmandise : se faire plaisir et faire plaisir au public.
Si vous vous retournez sur ces vingt ans d’existence du choeur, en voyant le chemin parcouru, les réussites, les récompenses, les collaborations prestigieuses, quels sont les sentiments qui vous habitent ?
Je ne vais pas parler de satisfaction, ce serait un peu suffisant. Ce qui domine, c’est le bonheur. Je suis très heureux de toutes les choses que nous avons pu réaliser. Il y a eu des rencontres formidables, des moments magiques, notamment lors de nos nombreuses tournées à l’étranger. Rien que notre programme Méditerranée sacrée a été donnée dans sept pays différents (Liban, Tunisie, Espagne, Portugal, Canada, États-Unis…). Des programmes, des concerts et des lieux sont restés dans notre mémoire. Par exemple, Zad Moultaka a composé une œuvre sur un texte de Martin Luther King que nous avons créée à l’université afro-américaine d’Atlanta, là même où le célèbre pasteur s’est formé. Tous les étudiants étaient là pour nous écouter chanter « I have a dream » et il y a eu un long silence, une immense émotion à la fin. C’est un souvenir inoubliable.
Dans le même genre, un grand moment de l’histoire du choeur a été le festival de Baalbek au Liban où nous avons chanté sur les marches du Temple de Bacchus, certainement un des plus grands monuments romains en hauteur. Un site et un décor naturel incroyables où nous avons interprété devant 2 000 personnes des œuvres de Moultaka, dans son pays d’origine. Un concert dont je me souviendrai toute ma vie. Il y a eu aussi des rencontres avec des musiciens, des amitiés qui sont nées. Je n’oublie pas là-dedans la camaraderie au sein du choeur, toute cette histoire que nous avons partagée ensemble et qui continue. Je n’ai vraiment aucun mauvais souvenir durant ces vingt ans.
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Y a-t-il eu des concerts où vous avez ressenti une émotion spéciale dans le public ?
C’est arrivé plusieurs fois, oui. Notamment à Atlanta, où je crois que l’oeuvre elle-même touchait une réalité existant encore aujourd’hui aux États-Unis. Je me souviens aussi de fortes émotions lors de créations, de premières, où après avoir tellement travaillé, l’oeuvre prend vie tout d’un coup et fonctionne d’emblée. Quand le compositeur entend son œuvre en public pour la première fois, qu’il montre la scène, les chanteurs, qu’il vient nous embrasser des larmes dans les yeux, ce sont vraiment des moments très forts. Même en répétition, avant de chanter une pièce pour la première fois devant lui, tout le monde est tétanisé parce que nous avons peur de mal faire, de le décevoir, et que nous nous rendons compte qu’il voit enfin s’incarner son œuvre, avec tous les doutes qu’il peut encore avoir la concernant. Là aussi, ce sont des moments très forts émotionnellement, avec de l’électricité dans l’air. Il y a eu aussi des émotions avec le public, liées à des lieux et des acoustiques, lorsqu’on chante pour la énième fois une pièce et que l’on découvre qu’elle est faite pour ce lieu où elle sonne et fonctionne de façon très particulière. Et ça nous le sentons dans le silence du public, à la tension et l’atmosphère spéciales qui règnent dans ces moments. On peut parler, sans exagérer, de communion.
Je ne vais pas vous demander comment vous imaginez Les Éléments dans vingt ans mais pour les années à venir, comment envisagez-vous la suite ? Quels sont vos projets et vos rêves ?
C’est un peu banal de dire ça mais je vois d’abord la suite comme une continuité. Avec l’avantage de l’expérience acquise durant ces vingt années qui doit permettre de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Évidemment, plus on avance, plus l’exigence est forte et moins on est satisfaits, paradoxalement, malgré les progrès que l’on peut faire. Il demeure donc une forte envie de travailler et d’aller encore plus loin dans notre travail. Pour ça, nous bénéficions de l’arrivée de tous les nouveaux chanteurs au fil des ans, qui donnent à chaque fois une nouvelle énergie, un nouveau souffle à l’ensemble. Tout en restant relativement stable, le groupe est toujours en mouvement avec un renouvellement précieux et profitable à tous.
Il y a aussi un désir de nouvelles collaborations avec d’autres compositeurs et de monter des projets qui me trottent dans la tête depuis longtemps mais que je n’ai pas eu l’occasion de concrétiser. J’aimerais par exemple créer quelque chose autour de la voix et la danse. Pour moi, il y a un rapport évident entre le souffle du chant et le geste du danseur. Après l’opéra, j’adorerais maintenant travailler pour un spectacle chorégraphique. Nous avons collaboré avec Pierre Jodlowski pour L’Aire du dire et nous sortons un disque vinyle pour nos vingt ans à partir de la bande de cette œuvre qui a été entièrement remixée par son auteur. J’aimerais continuer ce travail dans l’univers électro et l’approfondir, avec lui comme avec d’autres créateurs d’ailleurs ; nous confronter à des formes musicales que nous n’avons pas explorées jusqu’alors. Donc il n’y a pas de projet précis dans l’immédiat mais beaucoup de petites et grosses envies.
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Je reviens à la rencontre avec Moultaka. C’était intéressant parce que c’est un compositeur passionnant mais aussi parce que c’est un artiste à la double culture occidentale et orientale. Il nous a amenés vers des contrées vocales dans lesquelles nous ne nous serions certainement pas aventurés sans lui. En tout cas nous n’aurions pas eu la même sincérité, la même véracité. Avec lui, nous ne faisions pas de l’orientalisme, nous étions plongés dans un monde qui est le sien. Il y a sûrement d’autres compositeurs comme lui à rencontrer, de croisements de cultures à faire, peut-être l’Afrique ou l’Asie. Aujourd’hui, on voit souvent des croisements entre musiques du monde, jazz, musique contemporaine. Je me dis qu’il y a encore beaucoup d’univers musicaux à explorer. Il ne s’agit pas de faire nous-mêmes de la musique du monde mais de travailler avec un compositeur qui vient de là, qui est dans une démarche de création, et qui va nous intégrer dedans. Nous ne chanterons jamais comme un choeur africain, ça n’a aucun intérêt. Même les polyphonies corses, nous ne le ferions pas, ce serait anecdotique. En revanche, un compositeur corse ou africain qui écrirait pour nous, en connaissant la couleur vocale du choeur, en y infusant la mémoire de la musique de sa culture propre, voilà qui nous ferait entrer dans un autre monde. Ce sont des choses que j’aimerais connaître, non seulement d’un point de vue musical mais aussi d’un point de vue humain parce que lorsque tout ça fonctionne, ça donne lieu à des rencontres et des émotions extraordinaires.
Eric Duprix
Choeur de chambre les Éléments