Le concert de ce 20 septembre verra sur l’estrade son chef attitré et Directeur musical Tugan Sokhiev. Il dirige l’Ouverture de Don Juan, opéra de ce cher Mozart suivie du Concerto n°3 pour piano et orchestre de Beethoven. La soliste est Elizabeth Leonskaya si appréciée de la Halle comme du Cloître lors de ses venues, soit en concert, soit en récital. En deuxième partie, c’est la Symphonie n°9 de Dimitri Chostakovitch.
On se doit de donner quelques précisions sur les conditions de composition et de création de l’ouvrage occupant la seconde partie du concert, ouvrage qui peut étonner, n’en doutons pas, dans la production du compositeur russe, d’où ces quelques lignes. En sachant que son œuvre de GEANT est indissociable du monde qui fut le sien, de révolution en dictature puis la guerre et toujours la dictature. A travers la vie de cet artiste qualifié d’officiel , bafoué par les instances dictatoriales, c’est plus d’un demi-siècle qui s’écoule, jalonné davantage d’échecs que de réussites.
Symphonie n°9 en mi bémol majeur, op.70 (1945)
Elle fut créée le 3 novembre 1945 par l’Orchestre Philharmonique de Léningrad sous la direction d’Evguéni Mravinski.
« Du cirque, du cirque » marmonnait sans cesse Dimitri Chostakovitch durant les répétitions, arpentant fébrilement et sans fin la salle vide. Fin 1944, le compositeur aurait confié : « Oui, je songe déjà à ma prochaine symphonie, la Neuvième. Si je pouvais trouver un texte qui me convienne, j’aimerais ne pas la composer pour orchestre seul mais ajouter un chœur, des solistes. Je crains cependant que l’on ne me soupçonne d’analogies immodestes ».Une certaine 9ème de Beethoven flotte dans l’air. Doit-on faire pareil ? Et pourra-t-on faire mieux ?
Quant au “Petit Père des Peuples“, il attend avec grande impatience sa 9ème, digne de l’ère soviétique. Il lui faut une grande symphonie “célébrative“, chant de victoire bien sûr, des troupes soviétiques, du parti Communiste, et surtout du général Staline, “Guide des Peuples“, “Lumière de la Paix“, le “Grand Jardinier“, le “Coryphée des Sciences“. Entre le projet, la commande non formulée mais pressante, la réalisation, quelques mois pourtant décisifs vont s’écouler. Passée la brève euphorie de la victoire, il est temps de reprendre en mains ce bon peuple, surtout sur le plan culturel. La tyrannie va retrouver alors tous ses droits après une période de rémission nécessaire pendant la guerre. Tout cela va faire aussi son chemin dans la “cervelle bouillonnante“ du musicien. Par exemple, il ne sera pas sans remarquer comment, côté propagande, le caricaturiste est à la mode. C’est un agitateur dont l’art doit être immédiatement accessible au plus grand nombre car “pas plus que l’art pour l’art, l’URSS n’admet le rire pour le rire…“. “A la base de la satire, on doit trouver non pas le persiflage et la bouffonnerie qui caractérisent la satire bourgeoise, mais le rire sain, vivifiant d’un peuple fort, solide, un rire…“
Côté bouquins, pour illustrer le tout, il faut lire Le Ciment d’un certain Gladkov, ou encore Le Torrent de fer de Serafimovitch. Rien que les titres vous plantent le décor. Quant à Jdanov, le responsable de tout ce qui est culture, et ce, pendant des dizaines d’années, il en rajoute encore. Il traite publiquement Anna Akhmatova, la grande poétesse, d’être hybride, “mi-putain, mi-nonne“, Zochtchenko, lui, “d’aventurier littéraire sans honneur, ni conscience“. Dans un tel climat mis en place dès 1945, DSCH ne pouvait plus composer une symphonie dédiée “à la grande victoire“. Le virage qu’il prend sera à 180°.
La 9éme est d’abord créée à quatre mains par le compositeur et le grand et déjà illustre Sviatoslav Richter. Le résultat de la critique ne se fait pas attendre ! « Nous attendions tous une nouvelle fresque symphonique monumentale, et nous découvrîmes quelque chose de tout à fait différent, quelque chose qui nous choqua d’emblée par sa singularité. » Le 3 novembre, l’étonnement du public sera encore plus grand et l’accueil en résultant glacial. A la place de l’immense fresque souhaitée dans la tradition beethovienne, c’est une symphonie-scherzo miniature. Sa durée d’environ 26 minutes ne représente même pas un mouvement de la 7ème ou de la 8ème. C’est un sacré pied-de-nez de DSCH, d’une audace folle, une provocation qui fait trembler l’entourage du musicien, craignant les représailles. Pour le style, on y remarque la même humeur-humour que dans le Concerto n°1 pour piano et trompette et orchestre. Son apparente insouciance tourne en ridicule l’espérance de solennité. C’est encore un retour au grotesque si prisé et typique de DSCH de ces dernières années.
Même la gestation fut, paraît-il très brève, quelques semaines, sa composition semblant s’écrire toute seule, entre la poire et la fromage. « Il créa avec une facilité et une rapidité étonnantes cette œuvre ciselée comme un joyau… » Danill Jitomviski. Notre mystérieux musicien semble, de façon délibérée, avoir voulu faire simple. Aussi simple, côté matériau mélodique que le Concerto précité ou l’Age d’or, autre ouvrage, un ballet en trois actes au livret très spécial, baptisé “ballet-football“ !!.
D’une veine “légère et ensoleillée“ de l’aveu même de son compositeur, son optimisme est de mise. Elle est en cinq mouvements, les trois derniers devant s’enchaîner. Allegro – Moderato – Presto Largo Allegretto Allegro. Ce sera un Finale écrit dans la veine satirique la plus totale. Une musique gaie, enjouée, sautillante même, musique fascinante par l’emploi inattendu qu’elle fait de certains instruments. En effet, caisse claire, tambours, cymbales triangle sont là. Si la danse se dessine de plus en plus nettement, l’humeur “à la Rossini“ reprend le dessus. Ce sera une marche un peu rapide qui devient une course sur un rythme par instants effréné. Encore une touche de musique de film “à l’italienne“ comme dans la Suite de Jazz n°1. Et Offenbach va succéder à Rossini. On n’est pas loin du Nez, opéra-bouffe d’un DSCH jeune. Des moments de parade se succèdent à des cadences variées, le dernier emballement faisant très music-hall, me semble-t-il !! Moulin-Rouge, Folies-Bergère ? On comprend mieux la stupeur, en 1945, à la création.
D’un bout à l’autre, Chostakovitch parodie, se parodie, se moque, se venge, semble vouloir à tout prix se libérer. Les commanditaires, non implicitement désignés, sont …punis. Le clin d’œil est très appuyé, trop ? La fin de la guerre est ainsi célébrée. Il n’était sûrement pas prévu par les grandes instances de la Culture, Jdanov en tête, qu’elle le soit par l’un de ses plus grands compositeurs vivants du pays, sur des accords finissants dignes d’un French Cancan de très belle facture d’accord, mais assez déroutant. Cela va coûter très cher dans le repentir créatif à DSCH. Il sera d’ailleurs obligé de se racheter, si l’on peut dire, en composant et créant en 1948, l’oratorio Le Chant des forêts, un affligeant tartinage de 36 minutes destiné à exalter le Grand Plan de Reboisement. Les compromis l’ont été durant toute sa vie. Ils nous auront tout de même permis de profiter maintenant d’ouvrages reconnus comme de véritables chefs-d’œuvre. Et la Symphonie n°9, dans son genre, en fait bien partie.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Mercredi 20 septembre 2017
Halle aux Grains
Elizabeth Leonskaya / Tugan Sokhiev © Marco Borggreve