Une Vie Violente, un film de Thierry de Peretti
C’est à une véritable plongée dans l’âme corse que nous invite ce réalisateur, ajaccien de naissance. Il le fait au travers du traumatisme qu’a connu cette île pendant les années qui virent les attentats des nationalistes et indépendantistes ensanglanter cette région.
S’inspirant assez librement du parcours tragique de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001 à l’âge de 27 ans, le réalisateur nous met sur les pas de Stéphane, jeune homme de la bourgeoisie bastiaise qui, pour aider des amis, va se faire le « mulet » imprudent d’une valise d’armes. Arrêté par la police, il écope de deux ans de prison. C’est là qu’il va se radicaliser, pris en main par les futurs leaders de la cause nationaliste corse. Nous allons suivre cette course à l’abîme non pas au travers de « faits d’armes », mais plutôt sous la forme d’un docu-fiction dont le fil rouge tient plutôt d’une immersion dans le mythe corse, un mythe scruté tout à la fois du côté politique et du côté intime. Quitte à nous perdre, parfois, le réalisateur nous met en présence de différentes factions dont les buts ne sont pas tous avouables, d’autant que la maffia en a pénétré quelques-unes. Sans langue de bois, il met ses projecteurs sur la complexité d’un sujet mêlant le business, les élus, les médias.
Et l’on ne peut que penser à l’actuelle affaire des villas appartenant à Pierre Ferracci (un proche du pouvoir actuel…), construites dans la baie de Rondinara classée « espace remarquable » et à ce titre ultra protégée (?). Tous les comédiens sont ici inconnus ce qui, de facto, donne une perception plus réaliste du film. Parmi eux soulignons la prestation toute en finesse de Jean Michelangeli, Stéphane taiseux, fragile, manipulé, témoin plus qu’acteur d’une tragédie dont il ne pourra s’abstraire. Nous sommes en présence d’une véritable fresque qui parfois frôle l’antique tant les réactions semblent provenir des temps anciens. Une fresque sans fioritures, rude, vériste, sans effets de manche mais avec un formidable pouvoir émotionnel.
Si L’Enquête corse d’Alain Berberian, en 2004, prenait l’option d’accumuler les clichés sur l’Île de Beauté, le dernier opus de Thierry de Peretti s’inscrit dans une toute autre approche conjuguant l’héritage ancestral des Corses à une réalité moderne incompatible.
L’une des meilleures surprises cinématographiques de cet été !
Robert Pénavayre
Thierry de Peretti – Hanté par son île
Cet Ajaccien de naissance est avant tout un comédien ayant fait ses « humanités » théâtrales au Cours Florent. Il joue très rapidement de grands textes signés Kafka, Sartre, Claudel… Tout aussi rapidement il se fait un nom dans la mise en scène. Puis le cinéma lui fait de l’œil tout d’abord comme acteur. En 1998, il a 28 ans, Patrice Chéreau lui propose son premier rôle dans Ceux qui m’aiment prendront le train. D’autres emplois suivront autant sur les planches que devant une caméra. En 2005, Thierry de Peretti s’essaie sur un court-métrage. Six ans après il récidive en réalisant un moyen-métrage, Sleepwalker, déjà situé en Corse. Il passe naturellement au format long en 2013 avec Apaches, à nouveau tourné sur son île bien-aimée. Avec Une Vie Violente, il poursuit une sorte de thérapie qui en dit long sur certains traumatismes insulaires.