Une fois de plus, je dirai qu’il n’y a rien de plus fort pour moi dans le domaine artistique que le spectacle vivant, et la Musique en particulier ; spectacle unique puisque à un seul endroit et avec la(es) seule(s )même(s) personne(s), ce qui le rend si émouvant et si fragile en même temps.
Dans ce domaine, la Cave Poésie a eu la bonne idée d’inviter quelques musiciens exceptionnels de notre Région et cet été 2017 y sera chaud.
A commencer avec Guillaume Lopez, Kiko Ruiz et Laurent Guitton : entre les musiques du monde et les musiques improvisées, Mesdames et Messieurs, voici le trio TRES VIDAS !
Trois vies, en Espagnol comme en langue d’Oc et en Français. Trois personnalités musicales, singulières et généreuses, qui partagent leurs univers et leurs origines. Tres amigos qui mélangent compositions et adaptations de chansons coups de cœur. Balades suaves, grooves méditerranéens, virtuosité festive, voix profondes sont les ingrédients de ce voyage musical et poétique. Une musique libre, imagée, colorée, enracinée et ouverte au monde.
https://www.youtube.com/watch?v=0S0KSHsAXIw
J’ai rencontré Guillaume Lopez quand il était très jeune à la Maison des Racines du Monde, la Mounède (hélas aujourd’hui à l’abandon), où Christian Grenet a invité des dizaines de musiciens exceptionnels de tous les pays du monde, en particulier des bords de la Méditerranée. Chaque soir, Guillaume les accueillait et faisait le bœuf avec eux avec sa flûte et partageait leurs refrains, les Ogres de Barback ou la famille Chemirani, par exemple.
Depuis il a fait bien du chemin, toujours entre ses racines occitanes et espagnoles, et nous a donné de beaux disques : entre autres, Le Bal Brotto Lopez, Recuerdos (conte musical qui donne la parole aux exilés à travers le récit de la Retirada de son grand-père), Las simples cosas-les choses simples (1) …; sans oublier Celui qui Marche, ce titre qui lui convient si bien (et qui me fait penser à ces sculptures d’Alberto Giacometti, visibles dans les jardins de la Fondation Bayeler de Bâle ou de la Fondation Maeght à St Paul de Vence).
Souffleur de rêves, passeur de mémoire et de frontières, Guillaume développe une approche sensible autour des musiques traditionnelles et s’en inspire pour ses compositions personnelles. Avide de rencontres et d’échanges, c’est un musicien en quête permanente de nouveautés et de prises de risque, d’un savant mélange entre traditions locales et universalisme musical et poétique.
Sa Valsoprano se déguste comme un bon vin :
Mon amic d’un jorn
Mai prep de ieu a cada torn
Qu’aquela dansa de l’amor
Dure totjorn
Vira d’aici, vai t’en d’enlà
Virem totjorn, m’agrada plan
La valsa fa virar lo cap mai que lo vin
Mon amie du jour
Plus prêt de toi à chaque tour
Que cette danse de l amour
Dure toujours
Valsons ici, dansons là-bas
Tournons ensemble, à petit pas
La valse fait tourner la tête comme un bon vin.
Il chante, joue de la flûte, du sax, de la boudègue (cornemuse), de la clarine…
Il a par ailleurs créé en 2008 le Collectif Artistique et Musical Occitanie Méditerranée, (C.A.M.O.M) pour fédérer un collectif autour des cultures méditerranéennes ; aujourd’hui il està la fois un musicien spécialisé dans les instruments à vent (fifres, flûtes et cornemuses) et un chanteur réputé et sollicité.
Rien d’étonnant donc à ce qu’il ait créé ce récital avec Kiko Ruiz, qui se présente ainsi :
Mon nom est Antonio Ruiz mais à la maison tout le monde m’appelle Kiko. Pour me sentir plus proche du public j’ai choisi Kiko ruiz comme nom d’artiste… La vie m’a emmené vers la guitare, la guitare vers la musique, la musique vers le divin et le divin me ramène au sens de la vie… Ce que j’aime le plus dans la musique hormis les multiples sensations émotionnelles qu’elle peut nous procurer, ce sont les rencontres humaines et le partage qu’elle propose… La musique a toujours été pour moi une source de vertus, de valeurs, de règles qui s’adaptent merveilleusement bien à la vie : la liberté dans la contrainte, l’harmonie dans le désordre, le rythme pour marcher ensemble, le partage, la rigueur, la tolérance, le travail, la précision, la patience, l’écoute, l’humilité et tant d’autres vertus…
Je suis tombé amoureux de la musique quand j’avais huit ans et aujourd’hui je suis d’autant plus amoureux car je sais pourquoi je l’aime…
A peine âgé de neuf ans, Antonio se blesse gravement à la main gauche, son père, qui avait des mains d’or et savait tout faire avec (comme nombre d’immigrés espagnols ou italiens venus enrichir la France dans une période tragique de notre histoire commune), “aficionado” incontesté, imagine un jeu pour cet enfant qui risquait de perdre l’usage de la main : faute de pouvoir lui acheter une guitare, il lui en répare une récupérée à la poubelle, toute cassée et poussiéreuse, mais encore animée de l’âme de celui qui l’avait fabriquée, comme la Guitare de l’auberge, Guitarra del mesón d’Antonio Machado :
Guitare de l’auberge,
qui tantôt joue une jota,
tantôt une petenera,
selon le musicien qui joue
sur les cordes poussiéreuses,
Tu es une âme qui dit son harmonie
solitaire aux âmes passagères,
Et quand le voyageur t’écoute
il songe qu’il écoute un air de sa terre.
Guitarra del mesón que hoy suenas jota,
mañana petenera,
según quien llega y tañe
las empolvadas cuerdas,
Tú eres alma que dice su armonia
solitaria a las almas pasajeras…
Y siempre que te escucha el caminante
sueña escuchar un aire de su tierra.
Il lui enseigne quelques accords. C’est alors que débute une grande histoire d’amour entre Antonio et sa guitare. Très jeune, il fait ses débuts en montant sur scène en compagnie de Bernardo Sandoval. Depuis, lui non plus n’a plus arrété: Garonalquivir avec Malik Richeux, Tandem en duo avec Ravi Prasad fusion flamenco et musique indienne, Suerte avec Abed Azrié (grand chanteur syrien), Romancero gitano avec Vicente Pradal, Terras Londanas avec Gérard Zuchetto, fondateur du Troubadours Art Ensemble (opéra balade occitan) ; sans oublier Le Cri de René Gouzenne (qui doit se régaler aujourd’hui, divinité tutélaire de cette Cave qu’il a créée justement pour les concerts comme celui de ce soir), avec Bernardo Sandoval…
Quand à Laurent Guitton, il a débuté la musique à 14 ans et s’est orienté rapidement vers le tuba, pour lequel il obtient une médaille d’or au Conservatoire de Toulouse, un premier prix de musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en 93, ainsi qu’un premier prix de tuba en 95. Il utilise toutes les facettes de son instrument pour jouer dans des styles aussi variés que le classique (quintette de cuivres, quatuor de tubas, orchestres symphoniques), groupes « New-Orleans », jazz moderne et musique populaire avec Amnestoy Trio, Jean-Marie Machado, Ensemble Dézoriental, Didier Labbé Quartet…; sans oublier ses duos mémorables avec Didier Dulieux (4), à ne pas rater les 1, 2 et 5 août dans cette même Cave Poésie.
A la fois rythmique et soliste, il caracole ou va à l’amble, ce n’est pas l’Homme à tête de chou de Gainsbourg, mais l’Homme à tête de tuba quand il disparaît derrière son instrument :
Dans son tuba,
Il a un éléphant, des oiseaux,
Un train et des bateaux :
Il en joue à l’escalade
Pour enchanter nos plaintes basses
Et nos cœurs chauds,
Mais il peut aussi en faire jaillir
Une femme – girafe
Qui pond des œufs dans les étoiles
Ou un coq du soleil
Pour barioler les airs
De toutes les couleurs,
Vert, rouge, jaune, bleu.
Trois vies qui fusionnent donc sur scène le temps d’une heure et demie, dans une Cave Poésie pleine à craquer, et tant pis si la climatisation est coupée pour ne pas parasiter la musique. Ou plutôt tant mieux ! Trois compositeurs et trois arrangeurs qui nous offrent leur symbiose musicale comme dans une taverne flamenca à Séville, un cave à Jazz de St Germain des Près, un club de Blues à Chicago, un bar rebetiko à Athènes.
Allegro con fueco ou dolcissimo con gusto !
Toulouse les a fait se rencontrer et leur reprise de la chanson immortelle de Nougaro, O mon païs, traduite en oc, est un petit chef d’œuvre ; Eloïse, une délicieuse balade dédiée à la fille de Kiko ; Mataor, une chanson d’Antonio Molina (qui voulait être un matador), chère aux cœur des parents de Guillaume et Kiko ; Pastourella della l’agua, Pastourelle au-delà de l’eau (une chanson de berger de l’Aveyron), qui me fait penser à nos chers Troubadours…
Et quelques accents sud américains passent aussi par là et le final commencé comme une fugue légère est un endiablé Commandante Che Guevara, enchainé avec le superbe Non necessito dinero, l’amore e mi ricesa (est-il besoin de traduire ?) de Kiko dédié à son épouse, puis en rappel une 2ème Sevillana et le public est debout pour une ovation méritée.
Ils seront le 8 août prochain aux Estivales de Camplong dans l’Aude…
Leur disque en enregistrement sortira en février prochain, je vous le rappellerai.
Trois vies pour la Musique, beaucoup de petits bonheurs pour le public, ces petits bonheurs qu’ils faut ne pas oublier de déguster pour apprécier le grand et dire que la vie est belle ce soir. Quand je repars dans la nuit tiède et douce comme une femme aimée, l’organiste répète dans la basilique St Sernin, mais ce sont les vibrations de ces trois musiciens inspirés qui m’accompagnent jusque dans mon sommeil.
E.Fabre-Maigné
25-VII-2017
mardi 25 > samedi 29 juillet • 20h30 tarifs : 6 à 13€
Cave Poésie René Gouzenne Toulouse 71 rue du Taur 31000 Toulouse
tel : 05 61 23 62 00
Du mardi 01er > samedi 05 août • 20h30
Ce sera une carte blanche à Didier Dulieux [ Accordéon & musiques du monde ]
01, 02 & 05 août : duo accordéon & tuba
Didier Dulieux & Laurent Guitton
https://www.youtube.com/watch?v=21R1ofYTBMA
jeudi 03 août : duo accordéon & guitare en tous genres
Didier Dulieux & Rémi Mouillerac
vendredi 04 août : duo accordéon & chants méditerranéens
Didier Dulieux & Nadine Rossello
Puis du mardi 08 > samedi 12 août • 20h30
Serge Lopez et Pascal Rollando
Pour en savoir plus :
1) les disques de Guillaume Lopez sont disponibles chez L’Autre distribution.
D’abord fortement ancré dans le milieu des musiques traditionnelles, le C.A.M.O.M s’est frayé un chemin parsemé de rencontres, ouvrant son cœur à d’autres cultures, à d’autres styles musicaux sans pour autant renier ses fondamentaux. Par exemple, Medin’Aqui, Voyage musical entre Toulouse et Tlemcen, aux influences traditionnelles, jazz et musiques actuelles, ou Sòmi de Granadas, savant mélange de toutes ses influences l’accordéoniste Thierry Roques et le percussionniste Pierre Dayraud.
http://www.lecamom.com/guillaume-lopez/
son dernier disque, Compaseando, une belle déambulation à travers les rythmes de sa vie, est disponible sur son site.
3) www.camplong.com/estivales/
4) Didier Dulieux a fait ses débuts sur scène dans les années 90, avec deux centres d’intérêts principaux, les musiques festives et le rapport image-musique (travail avec le groupe de photographes « Lucette Omnibus »). En 95, il a rencontré Didier Labbé, avec qui il s’initie à l’improvisation. Par la suite, son parcours devient plus éclectique avec des expériences dans le domaine de la chanson (Hervé Suhubiette, remplacements chez Les Motivés), des musiques du monde (Tibal Bazar, Nadine Rossello…), de la composition (création musicale pour des court-métrages, pour des montages diapo…), ou plus récemment des musiques métissées (création en 2006 d’un trio d’accordéon avec Jean-Luc Amestoy et Lionel Suarez). Le dialogue entre le corps et l’accordéon crée chez Didier Dulieux un mouvement corporel particulier, parfois même dansé, qui vient renforcer le rapport énergique à l’instrument. On dit également de l’accordéon de Didier Dulieux qu’il est pictural. Il utilise cette facette de son jeu pour créer des enveloppes sonores particulières et des paysages acoustiques étranges.