Jeudi 20 juillet, le pianiste François Dumont donnait un récital « classique en jazz » au cloître des Jacobins dans le cadre du festival Toulouse d’été.
Petit gabarit, démarche vive, veste cintrée, courte barbe et crâne lisse, François Dumont traverse la salle capitulaire comme une fusée et se plante devant son piano pour nous saluer. Il saisit un micro et le plus naturellement du monde nous raconte comment il a conçu ce programme, « classique en jazz ». Il est 19h, il fait jour, malgré la scène assez haute nous ressentons tout de suite une sympathique proximité, nous sommes immergés dans le récital avant même qu’il ne commence.
Debussy ouvre le bal : tous les Children’s Corner, deux Préludes, le Petit Nègre. Il entame Doctor Gradus ad Parnassum sur un tempo très enlevé. Pour continuer avec les impressions sur le pianiste : il sourit en jouant. Son corps bouge avec naturel, avec simplicité, il vit sa musique sans tomber dans les simagrées. Cela ne contribue pas peu à rendre la performance agréable. Et tout de suite je suis frappé par l’emploi de la pédale. La salle résonne, elle contribue fortement à la prolongation des notes. Or Debussy est un coloriste, les résonances sont essentielles pour le comprendre. Quand le brouillard créé par les notes est une fin en soi, on mesure l’importance de la lisibilité de la ligne mélodique et harmonique. On connait des pianistes qui noient volontiers leur Debussy dans un brouillard de pédale et nous perdent en chemin ; ce n’est pas le cas de François Dumont qui trouve l’équilibre parfait entre partition, salle et pédale.
Une mention particulière pour l’interprétation du méga-tube Golliwogg’s Cake-Walk : l’artiste parvient à créer un tel effet de suspension dans la section centrale aux relents wagnérien, que j’ai l’impression délicieuse de découvrir cette musique… S’il fallait être brièvement chafouin, j’aurais un petit regret sur les articulations dans General Lavine, avec des notes répétées un peu avalées…
Puis on traverse l’Atlantique avec un Scott Joplin endiablé ! Et bien non justement. Avec un Scott Joplin pondéré, à l’articulation soignée, pris avec un tempo qui nous permet d’entendre la mélodie et nous donne envie de swinguer. Il devient d’ailleurs très difficile de ne pas balancer la tête en mesure. Merci à mes voisins de derrière pour leur compréhension. Dans le même répertoire des ragtimes, Satie me déçoit tellement il est bruyant. Pochade ? Provoc ? Il y a bien deux ou trois trouvailles dans Ragtime Paradise mais c’est faible ; même en convoquant les mânes de Picasso et de Cocteau je ne m’en sors pas. Passons.
De retour aux États-Unis avec les trois Préludes de Gershwin. Ils ne font pas de cadeau et mobilisent toute l’énergie de François Dumont. Là encore on est pris de l’envie de claquer des doigts, ça bouge, c’est tendre aussi avec cet Andante central très blues. On voyage bien, on est soigneusement embarqués, c’est rassurant quelque part. Tout le contraire de la pièce suivante. Stravinsky déconstruit violemment le jazz. C’est une vision cubiste de la musique qu’il nous propose dans ce Piano Rag Music pourtant composé 5 ans avant les pièces de Gershwin. Quelles innovations rythmiques ! Cette manière qui n’appartient qu’à lui de briser un continuum, de casser les attentes, de surprendre à rebrousse-poil. C’est dingo, déroutant, le pianiste est génial, ça me rend extatique…
Avec Erwin Schulhoff ont atteint à la limite de la musique totalement écrite pour le jazz. En fait, j’ai vraiment envie que François Dumont s’affranchisse de la partition et parte dans une improvisation, qu’il prenne sa liberté, qu’il aille encore plus loin que les limites lointaines où nous emmène déjà le compositeur.
Le récital s’achevait avec un bond de cent ans en arrière : une grande pièce de Louis Moreau Gottschalk, La Bamboula, dont les origines noires américaines auraient eu un côté séduisant, n’était l’avalanche de virtuosité bruyante qui emportait un peu tout.
François Dumont nous a offert en bis deux magnifiques valses de Chopin, jouées avec un doigté et une douceur splendide même dans les passages les plus enlevés. Loin du ragtime ? Pas forcément, si l’on considère que du rythme forcené un-deux un-deux qui caractérise la main gauche de cette variété de jazz, on passe à un autre rythme inamovible un-deux-trois…
Un vrai regret ? Que le récital n’ait duré qu’une heure. J’envie ceux qui avaient des billets pour le concert suivant, toujours avec François Dumont et deux complices, Philippe Aïche et Virginie Constant, où l’on aura pu se régaler des deux Trios de Schubert…
Thibault d’Hauthuille