Compte-rendu, opéra. Toulouse. Capitole, Meyerbeer : Le Prophète. Jusqu’au 2 juillet. Nouvelle production. Stefano Vizioli, mise en scène. Claus Peter Flor, direction musicale.
Pour terminer la saison 16-17, présenter un ouvrage rare, oublié et décrié était un pari osé. Nombreux sont ceux qui sont venus, et de loin, pour voir le chef d’œuvre de Meyerbeer si rarement monté aujourd’hui. Le Grand Opéra à la française au milieu du XIXème siècle s’est imposé, on le sait à Rossini, à Verdi et même à Wagner. On ne mesure probablement pas ce que pouvait représenter ces canons de beauté reconnus dans le monde comme un sommet de l’art, et pourtant cela a été le cas. Et ce Prophète a été encensé par la critique et porté aux nues par un public longtemps renouvelé. Nul ne sait l’avenir pour cette partition fleuve dont nous avons eu une version quasi intégrale avec les ballets ! Ce soir elle a entrainé le public vers l’enthousiasme.
Pari réussi au Capitole :
Le Prophète est un triomphe !
Le maître d’œuvre le plus important est le chef, Claus Peter Flor, à la tête d’un orchestre du Capitole galvanisé par le défi. La direction, vive et contrastée du chef allemand est une véritable cure de jouvence pour la partition si riche de Meyerbeer. Le style musical est retrouvé par Claus Peter Flor et… la messe est dite. Les chœurs et les chanteurs, tous de se sentir soutenus par des sonorité si belles, des accents vigoureux, des phrasés larges, des couleurs inouïes et des nuances subtiles, n’ont plus qu’à chanter de leur mieux. Et c’est ainsi tout simplement que cela c’est passé. Chaque chanteur a donné le meilleur de sa voix, et nous décrirons leur splendeur, le chœur a nuancé ses parties avec art, avec une mention particulière pour l’intervention de la maîtrise qui crée un moment de pure magie. Le chant a régné en maître.
Le rôle écrasant de Jean, le Prophète, exige un ténor lumineux capable de manier la foule et d’être un chef de guerre, comme d’être plein de tendresse filiale. Il doit posséder une quinte aiguë très sollicitée et un usage parfait de la voix mixte. Il y bien peu de prétendants au trône ! L’américain John Osborn est tout simplement parfait. Sa prestance physique et vocale impressionne. Les prouesses vocales, avec une note tenue puis enflée dans le grand final, mériteraient d’être détaillées. On ne peut que conseiller d’aller en salle vivre l’effet de cette voix de ténor dans un rôle à sa mesure, il est fantastique.
La Fidès de Kate Aldrich est vocalement épatante, sonore sur toute la tessiture meurtrière. N’oublions pas que ce rôle (la mère du Prophète Jean) a été écrit sur mesure pour Pauline Viardot ! Kate Aldrich a toutes les notes du rôle sur un ambitus dépassant largement une voix de mezzo-soprano. Dans le duo avec Berthe, la rencontre des harmoniques des deux voix produit un effet incroyable. Face à son fils, elle est aussi vaillante vocalement que le ténor. Du grand, de l’immense chant, déployé avec opulence.
Mais c’est peut être la fiancée de Jean, Berthe, incarnée par Sofia Fomina qui fera l’effet le plus émouvant sur le public. Voix de soprano qui éclate d’un brillant solaire avec des harmoniques d’une profondeur rare. L’engagement de la soprano russe est total et avec une telle énergie ; elle met son rôle presque à égalité avec le couple mère-fils infernal. Cette voix qui a été Reine de la Nuit et Zerbinetta a un brillant dans les aigus qui enrichi de lumière toute la tessiture mais le medium et le grave ont une assise harmonique d’un moelleux superbe. L’homogénéité du timbre est merveilleuse. Elle pousse jusqu’au sacrifice une énergie de vie, un élan juvénile qui contraste magnifiquement avec la noirceur de l’histoire.
Dans cet opéra, le rôle du méchant est un trio d’Anabaptistes des plus effrayants. Mikeldi Atxalandabaso en Jonas, Thomas Dear en Mathisen et Dimitry Ivashchenko en Zacharie, sont tous trois superbes ; ils s’imposent même face aux autres grands rôles dans les ensembles. Ce qui crée une émulation des plus excitantes. Les autres rôles tous issus des chœurs du Capitole sont absolument incroyables de présence vocale dans un environnement si superlatif. Seul Leonardo Estévez en Comte d’Oberthal est un peu pâle. Impeccablement préparés par Alfonso Caiani, la Maîtrise et le Chœur sont magnifiques : ils ont bénéficié d’une ovation particulière et bien méritée du public.
La mise en scène de Stefano Vizioli est très habile. Fidèle aux didascalies, elle simplifie et va à l’essentiel afin de dynamiser le jeu. Le résultat de ce travail en profondeur est lisible et fluide. Tout respecte voir ennoblit la musique. Il a renoncé à grimer la belle et jeune Kate en vieille mère. Cela rend le couple mère-fils encore plus œdipien …
Les décors d’ Alessandro Ciammarughi, sont tour à tour émouvants (le blé de l’acte un), majestueux (le Sacre) ou terrible (les pendus, le cachot), enfin le bûcher final est superbe. Les lumières de Guido Petzold sont admirables de réalisme comme de fantastique, sculptant l’espace avec intelligence. Les costumes d’Alessandro Ciammarughi sont subtils et beaux avec des maquillages de morts-vivants pour le dernier acte, très signifiants.
L’intégralité des ballets passe facilement grâce à une sorte de « pas de coté » humoristique et de bon goût. Les patins deviennent patin à roulette et le ballet avec des costumes mêlant des éléments contemporains stimule l’esprit. Excellent travail du chorégraphe Pierluigi Vanelli.
Cette fresque historique, non sans grandiloquence, repose sur une histoire véridique de la Réforme et dit combien, en s’opposant aux injustices sans pondération, l’excès de recherche de justice crée le pire et se retourne contre les auteurs. Le rôle du peuple si cruel et manipulable est bien rendu. Il n’y a point de salut dans le fanatisme. Belle leçon intemporelle pour la mesure à garder toujours.
Obtenir un véritable succès public avec un decorum aussi complexe n’était pas affaire facile. Les forces capitolines reposant sur une distribution internationale de grandes voix, grâce au sur-titrage habile, et avec le meilleur orchestre de fosse possible, ressuscitent avec éclat, la splendeur du Grand Opéra à la française du XIXème siècle.
Encore à l’affiche du Capitole jusqu’au 2 juillet 2017.
Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 13 juin 2017. Giacomo Meyerbeer (1791-1864) : Le Prophète, Opéra en cinq actes sur un livret d’Eugène Scribe créé le 16 avril 1849 au Théâtre de la Nation (Opéra de Paris, salle Le Pelletier). Nouvelle production. Stefano Vizioli, mise en scène. Alessandro Ciammarughi, décors et costumes. Guido Petzold, lumières. Pierluigi Vanelli, mouvements chorégraphiques. Avec : John Osborn, Jean de Leyde ; Kate Aldrich, Fidès ; Sofia Fomina, Berthe ; Mikeldi Atxalandabaso, Jonas ; Thomas Dear, Mathisen ; Dimitry Ivashchenko, Zacharie ; Leonardo Estévez, Le Comte d’Oberthal. Orchestre national du Capitole ; Chœur et Maîtrise du Capitole ; Alfonso Caiani, direction ; Claus Peter Flor, direction musicale.
Photos: © P.Nin
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