La séduction déployée par la trompettiste anglaise Alison Balsom a complètement subjugué le public toulousain. La présence flamboyante de la femme à la chevelure d’or en combinaison de pantalons bleue a réveillé dès son entrée sur scène un public transi par l’hiver installé. Le feu du tempérament a été totalement maitrisé par la virtuose de la trompette qui a semblé ne faire qu’une bouchée de cette agréable partition de Haydn. Il semble que toute nuance lui soit possible avec des fortissimi explosifs mais surtout des murmures d’une grande délicatesse sur un fil infime. La cadence lui permet une démonstration de la transcendance des possibilités de son instrument. La longueur du souffle est immense et les doigts semblent libres d’aller à leur guise. La musicalité est exquise et l’élégance coule à chaque instant et tout particulièrement dans le délicat andante. Le final caracole et badine. Tugan Sokhiev est un partenaire de grande classe qui construit un écrin de luxe pour la trompettiste « Panthère bleue ». L’Orchestre du Capitole en petite formation est précis et parfaitement présent tout en laissant la trompette à l’honneur.
« Panthère bleue », la trompette d’Alison Bolsom subjugue…
Cet agréable moment, comme suspendu hors du monde, n’avait que peu à voir avec la puissance et la force de la deuxième partie du concert. Il paraît impossible de rendre compte de l’effet produit par cette superbe interprétation de la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Tugan Sokhiev a dirigé magistralement une partition titanesque en rendant évidentes bien de ses subtilités, jusque dans les sentiments contradictoires qu’elle produit. La beauté sonore des instrumentistes a été somptueuse et les nombreux moments solistes ont été galvanisés. Les timbres des cuivres ont été comme chauffés à blanc, les violons dans le final ont été épais comme des glaces semblant éternelles, la chaleur des alti et des violoncelles a été réconfortante, la puissance des contrebasses (dix ce soir) hors des habitudes, mais surtout c’est la délicatesse des bois et des harpes qui a porté haut l’émotion… on reste éperdus de reconnaissance devant la qualité purement instrumentale de chacun. Mais cela n’est que peu de choses, car l’essentiel se situe ailleurs.
La compréhension intime de l’horreur, voir de la haine pour la guerre, associée à l’admiration pour la résistance et l’enthousiasme des humains en situation extrême est un moment d’une rare ambivalence. La seule métaphore qui peut convenir me semble être ce malaise aussi profond que délicieux que certains parfums très musqués fait naître en nous, allant chercher une animalité enfouie et inavouable, mêlée avec la pureté de la sublimation d’un air fleuri. On dit qu’il y a longtemps, un empereur de Chine piétinait des fourrures de ses bottes crottées afin de créer son parfum préféré dans l’air embaumé de fleurs rares.
Malaise envoûtant de la Symphonie Leningrad
Ce même malaise viscéral profond, allié à la jouissance d’une beauté sonore totalisante, naît de la direction absolument fantastique de Tugan Sokhiev. Haine de la guerre et Amour des hommes. L’Amour de la vie simple est évoqué lors des réminiscences des bonheurs d’autrefois si délicats (flûtes et picolo, harpes, hautbois et cor anglais, violon solo !). C’est chaque fois à faire pleurer des pierres. Impossible de sortir indemne d’un tel concert à la puissance émotionnelle dévastatrice. Oui, l’homme est vraiment capable du meilleur comme du pire et cela a été le cas à Saint-Pétersbourg, devenue Leningrad, durant plus des 900 jours de siège nazi où 1 800 000 personnes périrent. Que d’énergies dans cette partition ! Quelle puissance dans ce long crescendo qui de la simple et sublime caisse claire en sa solitude existentielle arrive avec toute la détermination de la Force de la Vie à entrainer tout un orchestre, et ce soir il n’y avait pas loin de 140 instrumentistes sur scène ! Certes cette partition composée et donnée en 1941 durant le siège, et qui fut envoyée de suite par microfilms à Toscanini aux USA, est symbole de résistance au nazisme. Peut-on oublier que la folie des hommes, l’amour de certains pour la guerre, l’aveuglement d’un grand nombre qui donne le pouvoir à ceux qui haïssent la vie, peut nous reconduire à nouveau en un tel enfer ? De tels moments de désespoirs, tant de morts de faim et de froid, sont-ils indispensables afin que naisse un chef d’oeuvre aussi puissant ? Le prix n’est-il pas trop lourd ? C’est entre bien d’autres, la question, quasi insondable, qui naît à l’écoute de l’interprétation si fulgurante de cette septième symphonie de Chostakovitch à Toulouse L’Orchestre du Capitole sous la direction si inspirée de son chef Tugan Sokhiev, ce soir en forme athlétique, a donné tout ce dont il est capable, et c’est énorme ! Une part de la charge émotionnelle passera probablement dans le film que la chaîne Mezzo a fait de ce concert en tous points, extraordinaire et inoubliable.
Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 13 janvier 2017 ; Joseph Haydn (1732-1809) : Concerto pour trompette et orchestre en mi bémol majeur, Hob.VIIE.1 ; Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Alison Balsom, trompette ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev
Chronique publiée sur Classiquenews. com