Parce que rien n’éclaire mieux nos vies que leurs bandes-sons, Culture 31 s’intéresse aux chansons qui ont marqué l’Histoire, la grande comme la petite.
En 1963, Andrew Loog Oldham est un garçon très occupé. A seulement dix-neuf ans, il est le manager d’un petit groupe dont il est le seul à percevoir le potentiel.
Il faut dire qu’il n’est pas aidé. En ces années pop, ses protégés ne jurent que par le rythm and blues et n’ont enregistré qu’un seul disque, une reprise de Chuck Berry, sous le nom The Rolling Stones.
Mais Oldham est un jeune loup de l’industrie musicale, dont il comprend déjà toutes les ficelles. Quelques mois plus tôt, il a convaincu sans effort Dick Rowe, directeur artistique de Decca Records, de signer les Stones au motif qu’il avait déjà raté les Beatles. Il a obtenu un deal fort intéressant, à commencer pour lui-même. Parce qu’il est encore mineur, sa mère est venue le signer pour lui. A présent, il a besoin d’une chanson originale pour imposer son groupe.
Musiciens aguerris, les Rolling Stones ne composent pas. Oldham recherche l’auteur qui offrira au groupe le sésame vers un premier succès, puis un premier album, puis une carrière.
Par chance, il est proche de Brian Epstein, le manager des Beatles, pour lequel il a travaillé. Malgré une carrière courte, le groupe d’Epstein bénéficie déjà d’une aura puissante.
Oldham sait que les garçons se fréquentent : les Beatles sont venus écouter les Rolling Stones au Crawdaddy Club, une boîte de Richmond. Il est certain qu’un morceau écrit par les Fab Four garantirait le succès. Il n’a alors qu’une idée en tête: convaincre les Beatles de lui offrir ce titre.
De l’accomplissement du prodige, les versions divergent. Paul McCartney déclarera avoir aperçu Mick Jagger et Keith Richards remonter Charing Cross Road en taxi pendant que Lennon et lui marchaient à pieds. Le taxi se serait arrêté et Jagger aurait proposé de les déposer. Durant le trajet, il leur aurait demandé s’ils n’avaient pas une chanson pour eux.
De son côté, Mick Jagger dira : « Nous étions en studio entrain de répéter quand Andrew a ramené Paul et John », qu’il avait précédemment convaincus de collaborer avec lui.
La suite met tout le monde d’accord. Les Beatles sont en pleine écriture de l’album With The Beatles. Parmi tous les titres se trouve une ébauche, intitulée I Wanna Be Your Man. C’est une chanson destinée à Ringo Starr -il faut comprendre : simple à chanter. C’est celle qu’ils choisissent aussi pour les Rolling Stones.
Beatles et Stones se retrouvent en studio autour de la partition inachevée de I Wanna Be Your Man. McCartney termine la chanson sous les yeux des Stones. Peu prompt aux compliments, Mick Jagger reconnaîtra l’importance cruciale de cet instant : l’instant précis où il décidera de composer ses chansons lui-même.
La chanson est finie « en cinq minutes » : c’est un morceau simple, basé sur quatre accords, avec deux phrases pour paroles.
Bill Wyman, le bassiste des Stones, décrira l’enregistrement en ces termes: « On l’a apprise super vite parce qu’il n’y avait pas grand chose à apprendre. Puis Brian* a pris sa guitare slide, et dadahh, dadahh… et on a dit, « Ouais, c’est beaucoup mieux comme ça !», et on a complètement réinterprété le morceau pour le rendre plus féroce, plus Stones -dans le style James Elmore ».
Les Beatles n’abandonnent pas la chanson pour autant. A leur tour, ils décident de l’inclure, interprétée comme prévu par Ringo, dans leur album.
Le 1° novembre 1963, les Rolling Stones sortent leur deuxième 45 tours avec I Wanna Be Your Man en face A.
Le 22 novembre 1963, les Beatles sortent leur deuxième album avec I Wanna Be Your Man en final.
Cette concomitance provoquera l’un des débats les plus passionnels du vingtième siècle : Beatles ou Stones ?
Premier hit des Rolling Stone, I Wanna Be Your Man initiera leur carrière d’interprètes et inspirera leurs débuts d’auteurs-compositeurs. A propos de cette chanson simpliste mais décisive, Mick Jagger déclarera quelques années plus tard: « On a pensé que c’était ultra-commercial mais c’est ce qu’on recherchait. Je ne l’ai pas écoutée depuis longtemps. Ce doit être assez épouvantable. Il n’y a eu aucun travail de production. Toutefois ça a fait un tube. Et ça sonnait bien en live ».
John Lennon répliquera: « C’était un rebut. Les deux seules versions de la chanson sont celle de Ringo et celle des Rolling Stones, ça montre l’importance que ça avait pour nous. On n’allait pas tout de même leur offrir un truc génial ».
A propos de ce que les Beatles estiment avoir fait de mieux, Keith Richards statuera : « Sergent Pepper est un méli-mélo de conneries ».
Le match ne faisait que commencer.
Eva Kristina Mindszenti
*Brian Jones, co-fondateur et guitariste des Rolling-Stones, décédé en 1969
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The Rolling Stones – I Wanna Be Your Man (live)
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The Beatles – I Wanna Be Your Man (live)
Parce que rien n’éclaire mieux nos vies que leurs bandes-sons, Culture 31 s’intéresse aux chansons qui ont marqué l’Histoire, la grande comme la petite.
Chapitre I : Gloomy Sunday (Szomorú Vasárnap) le chef-d’œuvre tragique de Rezső Seress
Chapitre II : My Way de Frank Sinatra
Chapitre III : Good Vibrations – The Beach Boys
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