Marine Vlahovic (ci-contre : portrait en pied) redonne du lustre à son métier. Elle se définit comme reporter tout-terrain et journaliste de quartier, exerçant à Toulouse et ailleurs.
Armée d’un micro et d’un stylo, elle nous ouvre les portes d’un monde que les gros médias traditionnels ont du mal à percer ou même à dire. Elle fait parler les gens et enregistre le tumulte de leur vie ; ce n’est pas toujours effrayant.
Elle a travaillé pour ARTE Radio, Reporterre, Boudu, France Culture (et France Bleu).
Dans le dernier numéro de la revue Gibraltar, elle nous raconte une histoire de fraternité et d’amour du métier malgré les barrages et les murs, entre deux accordeurs de piano, l’un palestinien, l’autre israélien. Nous suivons Sameh de Ramallah à Tel Aviv. Son laissez-passer lui autorise une journée de l’autre côté. Finis les mails frustrants, il va enfin parler de vive voix à Zamir dans son atelier. Nous apercevons d’antiques instruments ayant appartenu à des Allemands et des Russes installés en Israël, trouvés dans les marchés aux puces et restaurés. Il est aussi question d’un piano légendaire qui a survécu à trois bombardements. Nous écoutons les deux artisans se désoler de la guerre et de l’absurdité des frontières. C’est écrit sans effet mais nous avons l’impression d’être dans la scène.
Dans un Gibraltar précédent et un autre reportage de Marine intitulé « Sérénades napolitaines », nous avions découvert les chanteurs « néo-mélodiques » qui célèbrent en plein jour, micro au poing et sono à fond, le col de la chemise ouvert, les exploits de la Camorra, la mafia napolitaine. Les photos montraient des fêtes de famille animées par ces roucouleurs du crime et de ses amours, ces ambianceurs de noces noires, ce que fut peut-être Sinatra à un moment de sa vie, les parrains qui se rengorgent et les femmes en robe légère qui se pâment.
Marine cherche et trouve les histoires ; elle sait les raconter – elle sait ce qu’elle veut raconter aussi. Il y a quelque chose de vif dans son travail de reportage, une approche humaine, de la simplicité, et je pense qu’elle gagne la confiance de ses interlocuteurs en restant honnête. Elle n’est jamais envahissante, se met rarement en scène. Bon, elle n’a pas non plus bien l’air de droite.
On n’a pas du tout envie de la perdre de vue. Où est-elle? Dans les gaz lacrymogènes à Sivens, les fumées d’un incendie en Israël, une manifestation à Toulouse ou Notre-Dame-des-Landes ; parmi les athées en Algérie et les amoureux des banquettes arrière à Naples ; rencontrant les rappeurs de Beyrouth et Ramallah ; écoutant du hard rock en Egypte, une histoire d’amour en Palestine occupée et le récit d’une « mère courage » toulousaine ; enquêtant sur les frères Clain, deux fervents catholiques d’ici qui, convertis, enregistrent des chants de l’islam et vont servir Daech. Les documentaires disponibles sur la webradio de la chaîne Arte bénéficient souvent d’une mise en ondes précise signée Arnaud Forest ou Charlie Marcelet, un travail qui fait sans doute partie de l’écriture.
Mais où est-elle, maintenant? On vient de l’apprendre : elle est partie en Israël-Palestine pour alimenter RFI, Radio France et d’autres médias. Nous attendons de savoir, avec elle, ce qui se passe entre les murs.
La revue Gibraltar, Un pont entre deux Mondes, est pensée et fabriquée à Toulouse (180 pages sans pub) mais ce n’est pas un organe du terroir. On peut travailler chez nous à des projets qui intéressent le reste de la planète, dans une forme aboutie (un mook) et remplie à ras bord d’idées et de regards originaux. Outre le récit de Marine Vlahovic qui nourrit le dossier « Vivre entre les murs », le #5 (17 euros) contient des reportages, des histoires et des infos, des dessins (Marc N’Guessan : géant) et des photos tout bonnement stimulants qui nous aident à comprendre le bazar désespérant qui règne sous le soleil de Satan. Il y a un parti pris mais rien d’assommant. On trouve des images de la Palestine à la fin du XIXe siècle et un « voyage en Pagnolie », des récits grecs et égyptiens, des bibliographies qui donnent envie de dévaliser un libraire… Curieusement, un certain optimisme traverse la revue, au moins une confiance dans le lecteur, son appétit de lecture et d’ouverture. Parfait cadeau de Noël, comme on dit dans les catalogues.
Vente exclusive en librairie (Ombres Blanches, Terra Nova, Frères Floury, Renaissance, L’autre Rive, Privat… et dans toute la France). Seule exception, le kiosque de la place Arnaud Bernard « qui est un ami et un militant de la revue. »
Greg Lamazères