Concert événement qui a permis d’entendre de larges extraits du Ring par un orchestre somptueux et son chef talentueux pour leur première venue à Toulouse. Philippe Jordan, avait émerveillé public et critiques lors de la Tétralogie montée à l’Opéra de Paris pourtant controversée scéniquement et en a gravé un CD d’extraits magnifiques, sensiblement identiques au programme de ce soir. Nous n’allons pas détailler les extraits choisis pour dégager un effet général sensationnel qui permet à travers thèmes et leitmotiv de vivre les grands moments de la cosmogonie wagnérienne. Dire que les voix ne nous ont pas vraiment manqué, c’est reconnaître combien Philippe Jordan a construit une tension dramatique et lyrique de la plus grande séduction tout du long.
Sa direction semble absolument naturelle obtenant de son orchestre une clarté digne d’un Karajan, une mise en lumière de la structure à la manière d’un Boulez, tout en ayant le lyrisme d’un Boehm en live et le sens du drame cosmique d’un Solti. En ce sens l’apothéose de la scène finale avec la soprano Martin Serafin a produit une sensation de plénitude comme d’aboutissement.
Mais n’oublions pas de mentionner la perfection instrumentale de cet orchestre incroyablement doué qui sorti de la fosse avec un nombre de musicien biens supérieur à ce qu’une fosse, même Bastille, peut contenir (les six harpes!), a fait merveille.
Couleurs rutilantes ou subtilement mélancoliques, nuances sculptées dans la matière la plus noble, phrasés voluptueux ou rugueux, mise en exergue des leitmotiv les plus rares, tout mérite nos éloges. Les geste de Philippe Jordan sont non seulement d’une noble beauté mais ils s’adressent à chaque instrumentiste avec amitié voir gourmandise.
Tempi de parfaite tenue dans un gant de velours de la main droite et gestes d’une expressivité de danseur de la main gauche, Philippe Jordan aime cette partition comme son orchestre et offre au public un bonheur incroyable. Le novice qui arrive à Wagner par ce concert n’en revient pas de la variété et de la profondeur de la partition extraite de la Tétralogie ; le connaisseur du Ring se régale de ces raccourcis et choix si complets permettant de retrouver tant de leitmotiv aimés tout en suivant les drames des héros.
Comme cette partition dramatique trouve en concert une dimension symphonique majestueuse et puissante, tout en offrant des îlots de musique de chambre !
Pour terminer, l’immolation de Brünnhilde met en lumière les extraordinaires qualités de Martin Serafin. Grande voix homogène sur toute la tessiture avec un vibrato entièrement maitrisé, elle sait projeter le texte si expressif de Wagner entre imprécations terribles, plaintes sublimes et adieux déchirants.
Le legato dès sa première phrase rappelle quelle qualité musicale elle a par ailleurs dans Mozart, Verdi et Strauss. Philippe Jordan semble développer sa gestuelle vers encore plus de lyrisme et davantage de sensualité dans une écoute parfaite qui lui permet à chaque instant de doser les nuances de son orchestre pour soutenir la voix.
Les qualités instrumentales de chacun sont tout simplement prodigieuses avec des cors délicats dans leurs attaques et leurs nuances, des cuivres dosant leur puissance jusqu’aux plus terribles sonorités, des cordes soyeuses et lumineuses, et des bois d’une expressivité incroyable se faisant chanteurs. Les percussions jusqu’aux marteaux et enclumes sont d’une précision diabolique.Enfin il est si rare d’entendre avec cette pureté les 6 harpes.
Wagner est un incroyable sorcier alliant lyrisme et symphonisme, et Philippe Jordan, un magicien liant bien des sentiments humains dans sa direction. Un moment magique.
Compte-rendu, concert.Toulouse, Halle-Aux-Grains, le 18 juin 2016. Richard Wagner (1813-1883): L’anneau du Nibelungen, extraits symphoniques et immolation de Brünnhilde. Martina Serafin, soprano ; Orchestre de l’Opéra National de Paris; Philippe Jordan, direction.
Hubert Stoecklin