Pendant que l’art lyrique se prélasse dans les conventions, Charles Gounod apporte avec lui une musique fraîche et pure. Il va recueillir la gloire du succès d’un des ouvrages parmi les plus populaires de l’art lyrique français : Faust. Faust, l’un des piliers inébranlables du répertoire des théâtres lyriques français, mais aussi de quelques salles de par le monde.
Son Faust, tout esprit bien formé en connaît au moins un soupçon, une bribe, grâce à Bianca Castafiore, apparue dès 1939, dans le Sceptre d’Ottokar d’Hergé, avec son heure de gloire dans l’album intitulé Les Bijoux de la Castafiore, en 1962. Mais, en retour, la tempétueuse diva, dont les aigus déclenchent les éruptions colériques du capitaine Haddock, doit à Gounod beaucoup de son triomphant ridicule quand elle contemple au miroir son visage en galoche planté d’un nez de perruche et chante en gonflant les jabots : « Je ris en me voyant si beeeeelle en ce miroir…Est-ce toi, Marguerite, est-ce toi ?… ». Des générations de lyricomanes ont su par cœur, fredonné le duo du jardin : « O nuit d’amour,… », le joli trio : « Anges purs, anges radieux… », le chœur initial de la kermesse et cet Air des bijoux, massacré par la Castafiore, mais qui est bien, parmi les innombrables fadaises des opéras français d’alors, une des rares pages dont le brio vocal tient la distance en face du bel canto italien. Il n’empêche, Faust est bien l’un des opéras les plus truffés, au sens élégant du terme, de mélodies ou arias connus et reconnus.
A l’opéra comme sans doute ailleurs, le bijou est dangereux, et tue plus sûrement qu’une arme et provoque la chute de l’innocence. Séduite et donc coupable, Marguerite sera la cause de la mort de son frère Valentin tué par Faust, un frère qui la maudit. Elle fait sombrer dans le désespoir son amoureux Siébel, rôle de travesti peu fréquent alors. Enfin, mère infanticide, elle est condamnée à mort. D’aucuns pourront aller voir chez Wozzeck de Berg, ou plus tard encore dans Cardillac d’Hindemith, quand des bijoux conduisent bien à la catastrophe.
Au Théâtre du Capitole, c’est donc une reprise heureuse de la production de 2009, Nicolas Joël en étant le metteur en scène. Une façon de nous rassurer car si l’artiste a quelques audaces dans certaines mises en scène, et il nous l’a prouvé ici même, jamais certaines limites n’ont été franchies dans le mauvais goût, l’obscène et le ridicule. Ni esbroufe, ni clins d’œil, « un récit intemporel, froid, implacable, qui va à l’essentiel ». Ses acolytes aux décors, costumes et lumières, à savoir le trio Ezio Frigerio, Franca Squarciapino et Vinicio Cheli sont un gage de qualité. Au moins, on est sûr, ici, que Faust ne sera pas interdit aux scolaires.
Si l’on se tourne vers la direction musicale, même chose avec le chef Claus Peter Flor qui nous a réservé d’heureuses surprises à Toulouse avec Tristan et Isolde, et auparavant encore Madame Butterfly. Il va justement retrouver le Pinkerton d’alors pour ce Faust, le ténor roumain Teodor Ilincai. Timbre séduisant s’il en est, on espère non pas une diction à la Roberto Alagna, si rare, mais la meilleure possible. Méphistophélès, c’est la basse Alex Esposito que nous connaissons bien et dont on apprécie, les qualités vocales, puissance et graves somptueux, legato parfait, mais aussi l’investissement scénique. Dans son modèle d’interprétation, il évoque Samuel Ramey, ce qui est une EXCELLENTE référence, cela va sans dire. Tous les Méphistophélès de cet Arsace de légende sont à marquer d’une pierre blanche. Si Alex Esposito doit être son successeur, c’est bien tout le mal qu’on lui souhaite. Marguerite, c’est une prise de rôle pour la soprano roumaine Anita Hartig. Siebel est une mezzo-soprano de luxe pour cet emploi, Maïté Beaumont, Rosine d’un Barbier ici même. Quant à Valentin, c’est John Chest, Don Juan il y a peu à Nantes dans une mise en scène qui faisait fi et de la musique et du livret. Pour sa très belle cavatine, « Avant de quitter ces lieux », l’environnement sera d’un meilleur aloi.
Mais, retraçons un peu l’époque. Elle recouvre plus ou moins le Second Empire, après Berlioz, avant Debussy. Elle est prise du plus formidable engouement pour le théâtre lyrique et vit l’écrasant triomphe des faiseurs médiocres, concurrents en insignifiance des peintres pompiers, confrères en poncifs. C’est du temps où l’impératrice Eugénie gifle de son éventail le Déjeuner sur l’herbe de Manet mais bée d’admiration devant les tableaux de Bouguereau qui peint, dira un critique, « des nus en saindoux ». Les “amateurs “ vont conspuer, les gens convenables crier au scandale, les critiques cracher du vinaigre à la création de Carmen de Bizet, « le Manet de la musique ». Par contre, chaque première de Jules Massenet, de Griselidis, ou Herodiade, ou Esclarmonde a l’ampleur d’un événement planétaire. Comme un Bouguereau, débordé de commandes, Jules Massenet cumule la gloire, les décorations et les millions-or. Ce “confiseur“ de mélodies adaptées aux goûts de la clientèle, eut été foudroyé si on lui avait prédit que, si peu d’années après sa mort, de ses vingt-trois opéras, il ne resterait plus que, pratiquement Manon et Werther…
Jusqu’à la fin du siècle, le théâtre lyrique sera corseté dans les conventions, bridé par le goût du public bourgeois qui crée la notoriété et distribue richesses et récompenses. Auprès de ce marécage où prolifèrent les miasmes académiques, la musique de Charles Gounod ne peut que paraître plus naturelle, fraîche et pure. Même si, rattrapé un peu par l’environnement, il peut se laisser aller à quelques lieux communs. Mais, les quatre duos d’amour de Romeo et Juliette brisent toute retenue, Mireille offre des moments de charme attendrissant, et Faust suffisamment de finesse musicale, de poignante vérité pour justifier des passions mémorables. Comme à son image, celle d’un homme dit sincère, charmant, intelligent, blagueur, défenseur de Wagner, et de Bizet, allant même jusqu’à soutenir le jeune Debussy.
« Anges purs, anges radieux… », l’homme est un catholique ardent. Au comble de ses fièvres d’angélisme, par deux fois, il décide de se faire prêtre, porte la soutane, signe l’abbé Gounod. Il écrit des œuvres religieuses, La Nonne sanglante, le Moine,… une quinzaine de messes et des requiem… Une âme tourmentée, des nerfs à vif, son génie était fait pour la délicatesse intime. Mais l’homme vit avec grandes difficultés ces élans de mysticisme exacerbé et ces élans pas toujours maîtrisés, fortement teintés d’érotisme débridé. Cette ambivalence le conduira à quelques passages en internement pour soins et retour au calme !! Avec une ardente supportrice comme la contralto Pauline Viardot, fille d’un certain Manuel Garcia, et sœur de la Malibran, Gounod ne pouvait que se lancer dans d’autres sujets. Ce sera Sapho. Mais, en 1859, avec Faust, il est à son zénith, ce qui va entraîner quelques éclats de bravoure emphatique avec Cinq-Mars, Polyeucte, Ivan le Terrible… bien loin de sa nature. Le rôle gracieux de Marguerite convient mieux à son inspiration que les scènes dramatiques et les diableries, ce qui n’a pas échappé à Nicolas Joël qui aurait préféré que l’opéra s’appelle d’ailleurs Marguerite, faisant référence à la « Tragédie de Marguerite » tel que les allemands surnomment l’ouvrage.
LA VALSE indissociable de Faust – tableau de l’espagnol Rogelio de Egusquiza
Ainsi, fut déroutante la démarche qui guida la vie de Gounod. Toujours tiraillé par l’ambition de construire de vastes édifices alors qu’il réussit si bien dans la peinture de l’émotion et de l’intimité. Le mélodiste, l’homme du chant, de la sobriété orchestrale rêvait de structures grandioses. L’homme de goût ne parvint à des sommets qu’inspiré par de grandes œuvres littéraires, Faust, Mireille, Romeo et Juliette, mais il succomba aussi à quantité de livrets qualifiés de médiocres comme il en existait temps. Mysticisme et sensualité se mêlent dans sa musique, celle de Faust ou celle de la Messe de Sainte-Cécile. Comme ils se sont mêlés dans sa vie. Calme extérieur, sûrement, mais tout autant contradictions intérieures, et douloureuses. « Autant l’agitation me fait nuit, autant la solitude et le recueillement me font lumière…mais c’est un paradis que le silence…les agités ne vivent pas ; rien n’est calme comme de vivre. »
Michel Grialou
du mercredi 22 au dimanche 03 juillet 2016
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Faust © Patrice Nin