Le Chamber Orchestra of Europe a la particularité de se construire sur un désir toujours renouvelé. Lorsque sa création a été décidée en 1981, c’était afin de poursuivre l’aventure commune de certains membres issus de l’Orchestre des Jeunes de l’Union Européenne. 13 membres fondateurs sont toujours présents dans cet orchestre dont l’activité est vouée aux concerts, longues tournées, enregistrements, actions culturelles et éducatives dont une académie.
Orchestre parmi les meilleurs au monde, ce n’est pas la perfection technique qui éblouit mais bien cette joie à faire la musique ensemble et à la partager avec le public.
Dès la symphonie n°10 de Weinberg dédiée aux cordes, la sonorité soyeuse des violons, le mordant des contrebasses, le velouté des alto et la chaleur des violoncelles construisent une harmonie qui provoque une vive émotion. La partition de Weinberg est puissante et porteuse de vraies surprises. En apparence moins contestataire que son contemporain et ami Chostakovitch, la richesse de composition est marquée par une mélancolie et une profondeur rare avec de riches harmonies et une utilisation audacieuse du rythme. Le saisissement du premier mouvement est adouci par les deux mouvements centraux planants et flirtant avec le silence. Le fracas des deux mouvements ultimes va comme au bout de la saturation. La direction de Thierry Fischer est pleine de poésie et de sensibilité. Les qualités de soliste et de chambriste du flûtiste trouvent un aboutissement dans cette direction essentiellement basée sur une musicalité partagée avec l’orchestre, comme envoûté.
L’entrée en scène modeste de la violoniste moldave Patricia Kopatchinskaja intrigue plus qu’elle ne séduit. Elle débute le Concerto complètement tournée vers l’orchestre après avoir déchaussé ses mules. Cette manière si peu orthodoxe de débuter un concert va se développer tout au long du Concerto, prouvant un tempérament musical rare et assumé. Sorte d’entité tellurique cherchant à s’élever, osant des accents roques et sauvages, elle sait donner à son jeu le réveil de quelque animalité de félin. Entre danse et incantation, le premier mouvement si spectaculaire semble passer trop rapidement. Le changement d’atmosphère du deuxième mouvement, longue cantilène du violon reposant sur un orchestre pacifié, permet à Patricia Kopatchinskaja des sonorités d’une délicatesse inouïe. Son legato est infini et le son mourant au bord du silence est féérique. Le félin se fait sensuel ; il devient subtilement amoureux de la beauté pure. Les audaces et folies rythmiques du final, la danse comme improvisée et toujours pieds nus, les connivences amicales avec les instrumentistes et le chef, le plaisir partagé font complètement oublier la difficulté diabolique de ce dernier mouvement. Thierry Fischer prouve une compréhension incroyable de la construction du Concerto comme une capacité à mettre en valeur le plus petit instant. La parfaite gestion des nuances permet à la violoniste d’oser beaucoup dans les extrêmes, poussant son instrument dans ses derniers retranchements.
L’ovation du public est grandiose et les deux bis seront eux aussi très originaux et inattendus. Non pièce solo pour se faire admirer mais duos avec le premier violon puis le violoncelle solo avec qui la musicalité amicale semble au sommet. Pour de tels musiciens tout n’est que partage et don au public. La chaleur de ce désir a embrasé la Halle-Aux-Grains.
En deuxième partie de concert, la 7ème symphonie de Beethoven a poursuivi ce voyage dans la musicalité la plus passionnée. Thierry Fischer est un grand chef capable de revisiter les chefs d’œuvre trop connus. La vigueur rythmique, les phrasés d’une délicatesse incroyables, les nuances poussées à l’extrême et surtout cette liberté laissée aux instrumentistes qui osent des sonorités comme lustrées, permet une écoute jubilatoire. La modernité de cette symphonie qui faisait entre autre l’admiration de Wagner a été éclatante. Oui un concert de la jubilation partagée avec le public de bout en bout. Une très belle soirée par de très Grands Interprètes !
Hubert Stoecklin
Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-Aux-Grains, le 12 mai 2016. Mieczyslaw Weinberg ; Serge Prokofiev (1891-1953); Ludwig van Beethoven; Patricia Kopatchinskaja, violon; Chamber Orchestra of Europe. Thierry Fischer, direction.