En ce joli mois de mai, la musique de Gioacchino Rossini ne peut être que la bienvenue en des moments si troublés. Le Théâtre du Capitole affiche une nouvelle production de L’italiana in Algeri, opéra-bouffe en deux actes, sur un livret de Angelo Anelli, créé à Venise au Teatro San Benedetto le 22 mai 1813. Le compositeur a tout juste vingt-un ans. La direction musicale de l’ensemble, plateau, Orchestre national du Capitole et Chœur du Capitole est confiée à Antonio Fogliani, et la mise en scène à la provocante Laura Scozzi.
Antonino Fogliani
Et si nous parlions un peu de cette Italienne, mon meilleur souvenir de production d’ouvrage lyrique, donc difficile de ne pas être dithyrambique, mais il y avait de quoi !! au premier rang du parterre du Gran Teatro La Fenice à Venise, assis derrière la baguette de Gianluigi Gelmetti, avec Marilyn Horne en Isabella, Samuel Ramey en Mustafà, Ernesto Palacio en Lindoro……rien que ça, cela valait les 1100 kms-aller. C’était il y a quelque temps ! mais, et les “lyricophiles“ aux cheveux blancs comprendront, cela reste inoubliable. Mise en scène, classique ! de Roberto de Simone.
Marianna Pizzolato
Rossini et Stendahl – « Sans une chute de rythme, sans une faille dans son inspiration musicale, elle conjugue de la première à la dernière note de musique de sa partition, le verbe aimer avec le verbe rire, elle manie la tendresse avec la farce, l’insolence et l’insouciance », ainsi écrivait Frédéric Vitoux, le biographe de Rossini, des propos qui mettent l’accent sur une œuvre éblouissante tant sur le plan vocal qu’instrumental, qui pousse le paradoxe, par le biais de l’humour, inhérent à un tel sujet, à introduire, l’irrationnel et l’hédonisme dans l’Art. A ce titre, elle parut déranger les esprits bien pensants de l’époque. Stendhal, “fan“ du compositeur, notera fort justement à ce propos : « Nos graves littérateurs des Débats ont trouvé l’action de la pièce folle ! Sans voir les pauvres gens qui, si elle n’était pas folle, elle ne conviendrait plus à ce genre de musique, qui n’est, elle-même, qu’une folie organisée et complète. »
Le sujet de cette italienne emprunté par le librettiste à un autre musicien, Luigi Mosca, n’était pas nouveau mais appartenait à un genre très prisé à l’époque : l’horizon enchanté ou enchanteur de la création artistique du style “la Turquerie“, avec tous ses arrière-plans enchanteurs et sensuels. Du Bourgeois Gentilhomme à l’Enlèvement au Sérail, de Molière à Mozart, sans omettre les opéras comiques de Monsigny, Gluck, Boieldieu, c’est bien l’Orient qui était en mesure d’aviver l’imagination. Un épicurien fin gourmet comme Rossini ne pouvait qu’être sensible à ce livret dans lesquels la turquerie, le naufrage, “ L’Enlèvement au Sérail“ ; même si nous sommes à Alger, sont sensiblement imbriqués et auxquels l’auteur mêle la satire sous forme d’initiation maçonnique. Ici, on notera que les caractères typiques de la “Commedia dell’arte“ sont revêtus d’une psychologie beaucoup plus riche et subtile qui les rapprochent de l’univers d’un certain Goldoni. Espérons que toute transposition saura tenir compte de ces caractères et n’en fera pas une mascarade en mal de “Touche pas à mon poste“.
1813, c’est pour Rossini, une année capitale dans sa carrière, l’année du “Tancredi“, premier grand chef-d’œuvre sérieux ou serio. Il va abandonner la farce en un acte, dans laquelle il aura mis toutes les facettes de son génie d’adolescent, pour aborder l’opéra bouffe.
L’Italienne à Alger est en quelque sorte, le premier volet d’une tétralogie qui devait comprendre, Il Turquo in Italia, Il Barbieri de Seviglia et Cenerentola. Curieusement, on retrouve dans ces comédies, l’importance de ces rôles féminins, et même ce que l’on appelle “la femme rossinienne“.
Dans ces ouvrages, Rossini atteint l’apogée du genre proche des grands – Molière, Goldoni – et se dessine même le Verdi de Falstaff. Comme eux, il réussit la miraculeuse synthèse de la vivacité, de la truculence des situations et des personnages grâce à une sensibilité et une intériorité exceptionnelles, avec en fin de compte, la figure magnanime même teintée de bouffonnerie d’un Mustafà.
Alexander Mironov
Osons quelques mots sur la musique ! L’enchantement, pour ceux qui aiment, naît des accords, des rythmes, des mélodies, dans les arias, les duos, les trios, et plus particulièrement, les grands ensembles concertants dans lesquels il parvient à doter de cohésion et d’harmonie, les “scènes“ qui peuvent paraître les plus sciemment “désorganisées“. Vous jugerez dès la fin de premier acte, véritable scène de “folie collective“ où se manifeste l’indéniable supériorité de la polyphonie vocale et instrumentale sur le théâtre parlé. Mais, Stendhal vole encore à notre secours pour, en toute clairvoyance, nous donner la clé d’une telle écriture, et nous déculpabiliser d’avoir les larmes aux yeux de rire à l’écoute des “bumbùm“ du bey Mustafà et des “crà, crà“ de Taddeo dans ce fol ensemble qui conclut le premier acte. « Quand il écrivait L’Italiana in Algeri, il était dans la fleur de son génie et de la jeunesse : il ne craignait point de se répéter. Il ne cherchait pas à faire de la musique forte. Il vivait dans cet aimable pays de Venise, le plus gai de l’Italie {d’alors} et peut-être du monde, et certainement le moins pédant. Le résultat de ce caractère des Vénitiens, c’est qu’ils veulent avant tout, en musique, des chants agréables et plus légers que des chants passionnés. Ils furent servis dans l’Italiana ; jamais peuple n’a joui d’un spectacle plus conforme à son caractère ; et de tous les opéras qui ont jamais existé, c’est celui qui devait plaire le plus aux Vénitiens. »
direction musicale Antonio Fogliani
mise en scène Laura Scozzi
décors Natacha Le Guen de Kerneizon
costumes Tal Shacham
lumières François Thouret
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Isabella Marianna Pizzolato
Lindoro Maxim Mironov
Elvira Gan-ya Ben-gur Akselrod
Mustafà Pietro Spagnoli
Taddeo Joan Martín-Royo
Zulma Victoria Yarovaya
Haly Aimery Lefèvre
Orchestre national du Capitole
Chœur du Capitole Alfonso Caiani direction
Pietro Spagnoli
Après l’Opéra de Florence en mars, c’est donc au Théâtre du Capitole que les deux chanteurs italiens Marianna Pizzolato et Pietro Spagnoli seront de nouveau réunis pour interpréter l’opéra-bouffe de Rossini dans cette nouvelle mise en scène du trublion Laura Scozzi. Devenue l’une des figures incontournables du Festival Rossini de Pesaro depuis ses débuts en 2003, la mezzo-soprano Marianna Pizzolato s’y est produite depuis dans de nombreux rôles dont celui d’Isabella en 2006. Le baryton Pietro Spagnoli prendra les traits du Bey d’Alger pour une deuxième invitation sur la scène toulousaine après Le Turc en Italie en 2008 et le rôle de Prodoscimo, qu’il retrouvera au Festival Rossini cet été.
Invité régulièrement par le Théâtre du Capitole, dernièrement en 2015 pour Castor et Pollux, le baryton Aimery Lefèvre sera de retour pour interpréter le chef des corsaires, Haly. Quatre artistes feront par ailleurs leurs débuts au Théâtre du Capitole dans L’Italienne à Alger : le ténor russe Maxim Mironov, spécialiste du répertoire belcantiste sera l’esclave Lindoro, rôle qu’il reprendra la saison prochaine au Staatsoper de Vienne, la soprano américano-israëlienne Gan-ya Ben-gur Akselrod interprétera l’épouse délaissée Elvira, avant de rejoindre Santiago du Chili pour Grandeur et décadence de la Ville de Mahagonny, le baryton espagnol Joan Martín-Royo sera Taddeo et la mezzo-soprano russe Victoria Yarovaya interprétera Zulma. Nous retrouverons cette dernière pour un récital dans la série des Midis du Capitole, le 26 mai à 12h30.
Concernant la mise en scène, espérons que Rossini passera avant la mise en valeur de toutes les turpitudes actuelles : que diable, la scène du Théâtre du Capitole n’est pas la Place du Capitole !!
Au cœur de votre projet ramiste avec Les Indes galantes en 2012, il y avait un message politique et un appel à la prise de conscience. Ce dramma giocoso qu’écrit Rossini à 21 ans vous inspire-t-il la même démarche ? En tout état de cause, laquelle ? Je pense que nous n’avons pas le droit, en tant qu’êtres appartenant à une société, d’ignorer les faits qui marquent notre temps. Nous avons le devoir de prendre parti. Je n’ai pas la prétention de « livrer un message ». Ni le désir d’imposer mon point de vue. Ni, et surtout pas celui de faire la morale ! Ma démarche n’est pas provocatrice. Je veux poser des questions, pas donner des réponses. Mais je crois qu’il est de mon devoir de fouiller à l’intérieur d’un livret à l’apparence superficielle, afin d’y déceler les reflets de notre société. Dans le cas de notre Italienne, il s’agit de l’exploitation des faibles, du pouvoir malsain de l’argent, de la corruption, de la phallocratie. Mais aussi de la résistance à tout cela. De la lutte, de l’optimisme, de la solidarité. Le livret et la musique m’en ont fourni les signes, les impulses. J’ai seulement tenté de donner vie à ce qu’il y a d’écrit entre les lignes. Propos recueilli par Robert Pénavayre
Michel Grialou
L’ italienne à Alger (Rossini)
du mardi 17 mai au dimanche 29 mai 2016
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