Vladimir Velickovic
Exposition aux Abattoirs du 18/11/11 au 29/01/12
Les visions des cris étouffés et qui pourtant hurlent en nous
« En fait je peins ce que l’homme fait à l’homme »
Comme pour une célébration de Requiem du prochain départ du conservateur Alain Mousseigne, disons en certains désaccords avec certains élus, et qui en mars 2012 cédera sa place, une exposition oppressante et puissante a occupé la plupart des magnifiques cimaises des Abattoirs. Mais cette fois-ci ce n’étaient plus les vaches bleues ou vertes qu’Alain Mousseigne avait jadis malicieusement installées en préfiguration de l’ouverture de ce musée d’art contemporain, qu’il aura mis quinze ans à bâtir, mais des corps suppliciés qui hurlent vers nous, qui hurlent en nous, avec une puissance émotionnelle terrifiante.
Cela fait des années qu’un tel choc ne nous avait pas été jeté face à nos regards. Ainsi la nature humaine était aussi grande pourvoyeuse en supplices. Certes les actualités le montrent presque chaque jour, mais se trouver en face à ces immenses toiles de corps crucifiés, ces chiens de l’apocalypse, ses pauvres Prométhée toujours écorchés, ces cadavres sanguinolents. Et dans un vaste tableau qui occupe toute une salle, il aligne tous les sans noms, tous en souffrance.
Contrairement aux commentaires des commissaires de cette stupéfiante exposition, aucun message d’espoir ne peut percer. Et les corbeaux font la ronde, et le monde se met en feu, et nous ne pouvons que regarder au loin les incendies des villes, les ruines de nos consciences.
L’exposition se nomme Les versants du silence, je n’ai entendu que cris de douleurs dans un espace qui , s’il est indéfini, n’est pas imaginaire. Ce nulle part est déjà parmi nous, à nos portes. Et les versants du silence ce sont nos lâchetés, nos propres silences.
Le tragique est plaqué sur chacune des grandes toiles aux couleurs de sang séché, ces marrons profonds charrient la mémoire des tortures.
L’exposition n’est pas montrée comme un parcours entre des tableaux, mais comme une dramaturgie noire et sans pitié. La qualité de l’accrochage, la vérité des éclairages, accentuent ce cheminement dans les cercles de l’enfer.
Vladimir Velickovic ne veut pas susciter la pitié ou la peur. Il montre simplement jusqu’où peut aller l’homme. Quand on est un enfant de 6 ans à Belgrade et que l’on voit les réverbères de la ville ornés de pendus, de « strange fruit » dirait Billie, on ne l’oublie jamais. Et jusqu’à 10 ans, il pourra voir les suppliciés fleurir dans sa ville. Ses souvenirs ne l’ont jamais laissé tranquille.
Le monde déchiqueté appartient aux vautours, aux rats, aux chauves-souris, aux chiens qui courent vers leurs victimes. Les tourments du mal humain sont là, non pas en symboliques d’images, mais en réalités frontales qui nous sautent dessus. Pas d’échappatoire.
Vladimir Velickovic n’a pas de message autre que de nous dire que tout est encore en marche pour que tout recommence.
Cette exposition initialement prévue qu’avec ses dessins, car Vladimir Velickovic est avant tout un dessinateur exceptionnel, est devenue une rétrospective hallucinante qui prend tout l’espace, tenant même en laisse le rideau de scène de Picasso qui en devient anodin. Dans les salles se succèdent, un hommage au triptyque de Grünewald, des chiens affamés,, des blessures, des crucifixions, des épouvantails, des paysages désertés, des origines, des salles de torture, des poupées folles, des séries de dessins. Partout monte la même angoisse et le néant est tapi partout.
Sur le site officiel de Vladimir Velickovic ce sont surtout des dessins en noir et blanc qui parlent déjà d’écartèlements, de douleurs, de mains déjà squelettes, de têtes déjà décapitées, ou encore hurlantes. La palette de couleurs, bleus glaçants, marrons coagulés, gris déchirés, est la mise en abîmes de toutes ses tortures endurées par les hommes à cause des hommes.
Vladimir Velickovic est né à Belgrade (jadis en Yougoslavie, maintenant en Serbie) en 1935. Diplômé de l’école d’architecture de Belgrade en 1960, il s’installe à Paris en 1966 et il y travaille aujourd’hui encore. Maître de la Figuration narrative il peint et repeint les mêmes obsessions : les corbeaux qui nous envahissent nous déchiquettent, les villages en feu, les corps en croix, ou suspendus en sang, les chiens lâchés sur nous, les potences et les gibets. Les références christiques sont bien plus pâles que celles des immenses oiseaux noirs. Le malheur au malheur ressemble et il n’y a aucun intercesseur dans ses peintures.
L’exposition à part les dessins, se concentrent sur la période du peintre des années 1990, et surtout celles de 2006 à 2008. Mais la récurrence des thèmes est constante. Il est le marqueur pictural des catastrophes physiques et métaphysiques qui nous entourent. C’est bien sûr l’histoire de son pays, mais aussi celle de tous les pays, qu’il peint.
Les peintures de Vladimir Velickovic sont les béances du monde. D’un monde sans amour et sans espoir. Pourtant la série des hommes qui grimpent laisse une porte ouverte, enfin à peine.
Certes cette exposition est âpre, dérangeante, mais c’est l’une des plus fortes depuis la création des Abattoirs. Beau cadeau d’adieu d’Alain Mousseigne.
Gil Pressnitzer