Reprise au Théâtre du Grand-Rond de « Ça va, si ça va bravo », adaptation et mise en scène par Jean-Pierre Beauredon de deux pièces de Jean-Claude Grumberg.
Un jardinier impassible et son chien installés sur un banc à cour : sous le chapeau de paille, on reconnaît Jean-Pierre Beauredon, metteur en scène de « Ça va, si ça va bravo ». Adapté de deux textes de Jean-Claude Grumberg (1), le spectacle se compose d’une succession de saynètes réunissant d’excellents comédiens, parmi lesquels Denis Rey, Francis Azéma et Philippe Bussière qui en forment le pivot. Débutant tambour battant, la pièce gardera tout du long son rythme effréné sur le tempo de répliques savoureuses : des êtres ordinaires qui n’ont rien à se dire, ne s’entendent pas et surtout ne s’écoutent pas. Mais chez Grumberg, «le rien à dire» donne matière à dérouler des situations absurdes où chacun parle pour soi, s’entête dans ses raisonnements, dans une mise à nu des multiples travers que peuvent être nos hypocondries, égocentrismes peurs et obsessions morbides. Mais aussi nos comportements sociaux codifiés et hypocrites, tels nos échanges de bises à tout-va et notre penchant excessif et systématique à user du fameux «Ça va ?».
Ainsi, quiproquos, dialogues de sourds et incompréhensions déraillent en échanges improbables et nous embarquent dans un tourbillon de jeux de langue irrésistiblement drôle. On rit franchement, même si le fond est plutôt désespéré, devant ce défilé de personnages banals, dépressifs, las de vivre, acrimonieux. Les comédiens se régalent de cette écriture ping-pong truffée de mises en abîme sur le théâtre et l’acteur, à l’instar de cette scène hilarante où Francis Azéma interprétant un professeur d’art dramatique se lance dans un pastiche de discours abscons sur le non-jeu !
Sobre et judicieuse, la mise en scène sert l’enchaînement des sketches : sur un plateau dépouillé, trois panneaux amovibles – au travers desquels les comédiens vêtus uniformément de gris se croisent, apparaissent ou disparaissent – se rapprochent progressivement du public. Et notre jardinier dans tout ça ? Un témoin ? Peut-être l’un de ceux qui prennent le temps d’observer les autres s’agiter dans les affres de leur quotidien, comme les poissons rouges se débattant dans un aquarium. L’emballage sonore de Mathieu Hornain vient juxtaposer sa touche insolite de sons urbains à ce no man’s land de l’absurdité où des personnages, à force de se rapprocher de nous, tendent un miroir grossissant incisif et drôle à nos enfermements et notre difficulté à nous considérer les uns les autres. Saluons encore l’impeccable travail des comédiens, notamment celui de Denis Rey et de Francis Azéma offrant par leur justesse et leur finesse de jeu le duo le plus comique que l’on ait vu depuis longtemps sur scène. Il reste à dire «Bravo et… merci».
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Du mardi 21 au samedi 25 juillet, 20h30, au Théâtre du Grand-Rond,
23, rue des Potiers, Toulouse. Tél. 05 61 62 14 85.
(1) « Ça va ? » et « Si ça va, bravo » (Actes Sud)
–
photo © Cathy Brisset