Les chiffres blancs défilent, compte à rebours ou loterie prémonitoire. Un arrêt sur 1572, mais ce pourrait être 2015. Comme en écho en fosse, les chiffres rouges du chronomètre contraignent la baguette du chef. Sept petits écrans alignés, un plus grand en dessous, et du noir.
En beaux costumes et microphones vissés sur le front, on vient du fond du noir et on y retourne. Ressac fruste, ressassement plat. La grande épée qui frappe frôle le risible. Seul ce corps (Stéfany Ganachaud), blanc, échevelé, malmené, épuisé par la fuite, distordu par les sévices, dit l’horreur. Le cri du corps.
Un quidam à l’avant-scène se translate sur des rails caméra au poing, pour capter sur le moment les souffrances des visages et des corps. Mais la moitié du temps la translation s’avère stérile, les souffrances restent dans la boîte, sont vidées en coulisse, et les petits écrans restent noirs. À quoi bon ?
Peter Rundel, sous le regard implacable des chiffres rouges, imprime parfaitement instrumentistes et chanteurs sur le son enregistré. D’un livret aussi fruste et répétitif que le dispositif scénique, les interprètes – amplifiés – font une palette vocale allant du magnifique mezzo de Nora Petročenko au baryton solide de Lionel Peintre, de la délicatesse de Guilhem Terrail aux cris de tous, celui de Piia Komsi atteignant la performance. Une expérience physique, intense, presque insupportable, de l’inhumain fait cri. [1]
Seuls restent, à la fin, le plus grand écran brouillé et la musique électronique enregistrée, plateau et fosse éteints. La fin de l’opéra, sans appel, sans voix, bouche bée, s’éteint lentement dans les résonances inquiètes de notre histoire, interminable [2]. Et comme si le compositeur n’avait pas su, ou voulu, terminer.
[1] Stéphane Roth – Massacre de Wolfgang Mitterer. Une représentation du politique. In programme de salle Massacre, Théâtre du Capitole, avril 2015.
[2] […] ce cri pur est proprement insupportable, insoutenable ; comme Lulu se chargera de nous en faire ressentir l’horreur ; aucun système symbolique propre à l’humain ne peut l’intégrer : c’est pourquoi on le qualifie si souvent d’« inhumain ». In Michel Poizat – L’Opéra ou le cri de l’ange – Essai sur la jouissance de l’amateur d’opéra. Métailié Sciences humaines 2001.
Photos © Patrice Nin
Théâtre du Capitole, 17 avril 2015
Une chronique de Una Furtiva Lagrima