Un vrai sorcier. Le personnage fascine. On le sait depuis plus de vingt ans maintenant qu’il fréquente la Halle, régulièrement grâce au cycle Grands Interprètes. Une fois de plus, il a réussi à nous surprendre. Et pourtant, ces Tableaux, on les connaît par cœur.
Consulter l’article d’annonce car ici, vous aurez quelques impressions, en toute subjectivité, c’est tout !!
Procédons par ordre. Ces petits bijoux que sont Les Enfantines de Moussorgsky, pouvait-on espérer mieux pour ce cycle de mélodies que le chant délicat, et expressif sans excès de la jeune soprano russe Anastasia Kalagina ? Et le compositeur, pouvait-il espérer mieux que l’orchestration de Rodion Chédrine qui, loin de dénaturer chacune, les enchante toutes ? Encore fallait-il un équilibre entre le chant et l’orchestre, et non plus entre le chant et un piano. Là, le sorcier veille.
Il en a de la chance notre Edgar Moreau d’avoir su retenir l’attention, et maintenant de se prévaloir de toute la bienveillance de Monsieur Gergiev. Le résultat ? Une douce quiétude et la très agréable impression, rassurante ô combien, d’un soliste qui “s’éclate“ dans son interprétation de ces fameuses Variations sur un thème rococo. Le compositeur a bien écrit et veillé à ce que l’orchestre ne couvre à aucun moment le soliste. Ce n’est pas toujours le cas, ailleurs, et même sur support. Là encore, le sorcier veille dans chacune des Variations. Quant au travail de notre très jeune interprète, on reste confondu devant le résultat. De l’aigu, très aigu, on passe au grave, très grave sans faillir. Ailleurs, c’est une course de triples croches virevoltantes semblant traduire une danse endiablée. Toutes les prouesses techniques et virtuoses sont maîtrisées, là, devant vos yeux, car ce n’est pas l’écoute d’un CD qui va vous renseigner sur les difficultés de la partition à moins d’être soi-même violoncelliste. Observer en concert nous en dit tout de même bien davantage. Edgar Moreau, est-il doué ? Sûrement. Travaille-t-il beaucoup ? Evidemment. En tous les cas, le résultat est confondant d’aisance. Le violoncelle a été pour lui, inventé.
Passons au plat de résistance. Quelle que soit la stature du chef qui est en charge de l’exposition, sa réussite repose sur un élément essentiel, crucial et sans rapport avec sa gestuelle : la qualité de l’orchestre. Pour une réussite TOTALE, il faut une phalange d’exception ou reconnue telle que, aux solistes aguerris et des musiciens membres d’un collectif à 100%. Et là, surprise : cet Orchestre du Théâtre Mariinsky que, visuellement, on ne reconnaît pas maintenant qu’il frise ou presque la parité, qu’il a rajeuni en moyenne d’une quinzaine d’années depuis ses débuts à la Halle, cet orchestre donc, s’est fort bien transformé en conservant toutes les qualités qui ont pu faire sa renommée. La faute au sorcier ? Un peu, beaucoup ? Hors de questions ici de détailler les pupitres mais les trompettes, mises à rude épreuve, bouchées ou pas, n’ont pas failli, tout comme chaque soliste sollicité. Ah ! le saxophone alto, et le tuba, et les cloches !! Le bis donné nous achève. Merci Rodion Chedrine.
Et le chef alors ? Eh bien, c’est un chef-ingénieur du son, virtuose des sons, qui réussit le tour de force de nous captiver dans chaque scène, faisant se succéder des univers sonores aux timbres inoubliables, aux couleurs si variées. On redécouvre une œuvre que l’on croit connaître par cœur. Un sorcier, vous dis-je. Mais, un autre sorcier est passé par là : c’est Ravel. Il laisse loin derrière toutes ces orchestrations et déambulations alternatives qui n’ont pour seul mérite que de valoriser encore davantage une orchestration, véritable coup de génie et puissance d’un travail d’orfèvre hors-normes. Un éminent musicologue, n’a-t-il pas écrit : « Ravel sut concilier le goût et l’éclat (…), le respect de Moussorgski et une spectaculaire appropriation, autrement dit, la rudesse du ton et le raffinement. » Justement, les deux qualificatifs auxquels on pense avec cette interprétation. Je rajouterai, embrasement musical et palette étincelante, sans que le chef ait eu besoin d’étoffer davantage l’orchestre.
Très grand concert, vous l’avez deviné mais, que serait donc capable de nous faire notre sorcier dans le Boléro d’un certain Maurice Ravel ? Sur seize minutes ? Qui sait, un jour peut-être !
Michel Grialou