À part égale avec le cinéma, il y a la musique. Pas complètement à part égale en fait. Il y a des tas de choses dont je pourrais me passer sans difficultés, mais vivre sans musique reviendrait à la pire des punitions, sans elle l’existence consisterait à évoluer dans un monde en deux dimensions, désespérément moche et gris.
Je n’ai rien d’une critique de rock, je suis une piètre musicienne qui pendant son adolescence a saigné sur les cordes d’une guitare bon marché en se prenant pour Jimi Hendrix (comme tant d’autres de ses contemporains boutonneux), j’ai des goûts qui tutoient le confidentiel comme le très mainstream, mais n’empêche, sans musique, je meurs. Et pour cette raison, j’ai totalement adoré le film du jour.
Jon vit dans une banlieue résidentielle, où les petites maisons s’alignent proprettement, où à un âge déjà respectable il vit encore chez ses parents et passe la totalité de son temps libre à composer.
Si son envie de percer dans l’industrie musicale est colossale, ses qualités de compositeur sont elles inversement proportionnelles. Et Jon se désespère de sa médiocrité. Mais c’est sans compter sur ce grand farceur de destin qui le catapulte clavier des Soronprfbs.
À mi – chemin entre expérimentations, performance et musique trans – shamanique, le groupe est amené par son étrange leader, Frank, qui ne se départit jamais de son énorme tête en papier mâché.
Après un premier concert avorté, Jon est embarqué avec le reste de la troupe dans un coin reculé de l’Irlande afin de confectionner un premier album.
Tout d’abord, merci aux rêveurs qui se concrétisent, merci à l’imagination fertile, merci à tous ceux qui pensent que déborder des cases n’est pas si grave. Je voudrais adresser ensuite un grand, un vrai, un sincère merci à Lenny Abrahamson d’avoir concocté au film aussi malicieux, particulier, doux et émouvant.
Je vous invite très chaleureusement à plonger dans le joyeux capharnaüm de Frank où plane une atmosphère très Gondryienne avec un je ne sais trop quoi de plus indéfinissable ou de plus surréaliste encore.
Je vous promets un film délectable, des séquences d’une drôlerie absolue, d’autres certainement plus bouleversantes, je vous certifie en tout cas un long – métrage où la musique détient une place centrale et tient lieu souvent de meilleur moyen d’expression.
Une écriture soignée (clap clap clap à l’intention des 2 scénaristes, Jon Ronson et Peter Straughan), une mise en scène réussie, de formidables moments musicaux composés par Stephen Rennicks (et interprétés en vrai de vrai par les acteurs), voilà tout ce à quoi vous aurez droit avec Frank.
À travers la voix off d’un Jon qui joue sa vie sur cette expérience musicale inespérée, qui souhaiterait tant impressionner Frank, chef de file de cette bande de musiciens d’une drôle d’espèce, le film aborde avec beaucoup de dérision mais sensiblement de tact, la complexité des rapports humains, la difficulté du processus créatif (et toute la joie qu’il peut engendrer), la peur du monde, les névroses en chacun de nous.
L’atmosphère foutraque dont je parlais plus haut doit beaucoup également au décor un peu suranné de l’endroit où résident les musiciens, leurs fringues improbables, leurs méthodes de travail.
La cerise sur le gâteau, c’est cette galerie de personnages formidablement bien écrits et justement interprétés : Jon (Dohmnall Gleeson) le sensible ambitieux, Baraque (François Civil) le bassiste frenchie qui n’évolue que dans sa langue, Nana (Carla Azar) la batteuse mutique, Don (Scoot McNairy) l’improbable manageur et amateur de mannequins de vitrine, Clara (géniale Maggie Gyllenhaal) la maîtresse domina qui ne supporte pas qu’on s’approche trop près de son thérémine et de Frank.
D’ailleurs, vous vous demandez certainement qui se cache sous cette grosse tête mono expressive. Si au départ ce devait être Johnny Depp qui devait en incarner le personnage, on ne sera pas foncièrement attristé que l’affaire ait capoté et que Michael Fassbender ait pris la relève.
Bien qu’on ne voit (pratiquement) jamais son visage, le comédien germano – irlandais donne vie de façon troublante à ce drôle de bonhomme lunaire en s’appuyant sur une gestuelle inhabituelle, des inflexions de voix et un chant qui vous donnera la sensation que le fantôme de Jim Morrison vient rendre une petite visite.
Quand je vous dis que ce gars est fortiche, de telles interprétations ne font que me conforter dans ma vénération totale.
Je n’aurais pas grand – chose à ajouter à la suite de cette chronique dithyrambique. À part que vous n’auriez aucun intérêt à vous priver d’une aussi bonne thérapie que celle de Frank.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio