Prière de relire ou de prendre connaissance de mon article annonce du concert. Vous n’aurez ici qu’un simple compte-rendu, en toute subjectivité.
Le pari est osé. Grands Interprètes l’a tenté, et l’a réussi. Pas évident de donner en version concert un opéra jamais encore produit sur une scène en France, très peu connu, cela va sans dire, allez, pas connu du tout. Un opéra du domaine du baroque qui, même si cette période est davantage appréciée, ne remplirait pas facilement les salles comme un opéra italien du XVIII ou XIXè siècle, encore ignoré, pourrait le faire.
Mais voilà ; il y a des noms d’artistes qui peuvent, de par leur notoriété, “booster“ les initiatives. C’est le cas de Philippe Jaroussky et de Karina Gauvin. Qui va s’en plaindre ?
Pari réussi donc et démonstration faite une fois de plus que le spectacle vivant est bien irremplaçable. En effet, comment expliquer que l’émotion est quand même au rendez-vous, sans décors, ni costumes, juste avec une très vague mise en situation ? Peut-être parce qu’il y a, la musique et sa redoutable efficacité dramatique, le chant et ses arias survoltées ou à l’opposé, tout en murmure et douceur, l’investissement de chacun des protagonistes, quelques adroites mimiques et on dira, le tour est joué. Sans omettre la qualité de l’orchestre, capitale pour une partition qui se révèle aussi riche.
Des coupures bien choisies dans cet ouvrage de presque trois heures, des chanteurs ayant droit chacun à leur “morceau de bravoure“, pas de superstars tirant de trop la couverture, tout se termine, et il ne peut en être autrement, par une standing ovation. Une manière de rendre un hommage appuyé à la prestation du plateau dans son ensemble. Une manière pas si fréquente à la Halle, beaucoup moins, en tous les cas, que dans d’autres salles voisines que nous nous abstiendrons de nommer !!
Faut-il avoir la prétention de commenter le travail de chacun ? Non, mais on les citera tous quand même, et on commence par le Boston Early Festival Orchestra et ses deux directeurs, Paul O’Dette et Stephen Stubbs. On le dit, un des meilleurs ensembles instrumentaux baroques du monde. Difficile d’en douter. J’avoue un petit faible pour le théorbe mais aussi pour le son de ce basson d’époque, et pour la performance des trompettes. On continue par Nerea, la nourrice, la confidente, l’intrigante. Le contre-ténor brésilien José Lemos excelle dans ce rôle bouffe de composition, pas évident au milieu de ses partenaires en costume. Mais ces interventions, divertissantes et efficaces, pimentent l’œuvre et lui donne un petit côté commedia dell’arte très plaisant dépourvu de toute vulgarité. Succès assuré et mérité. Mais il faut savoir manier l’éventail !
Le baryton Jesse Blumberg fut Poliferno, magicien de grande autorité comme il se doit. Tiberino et Manto auront leur union bénie. Le ténor Colin Balzer et la soprano Teresa Wakim nous ont conquis et on ne pouvait que les bénir nous aussi. Le baryton Christian Immler fut un grand prêtre, un Tiresias idéalement sonore. On a retrouvé avec grand plaisir le contre-ténor Maarten Engeltijes dans Creonte. Il nous avait conquis dans le Stabat mater de Pergolese en octobre dernier. Le ténor Aaron Sheehan fut “impeccable“ dans le rôle du prince exilé, de retour grâce à Anfione, amoureux, hélas de Niobe.
Quant à Niobe, la soprano canadienne Karina Gauvin, c’est ce que l’on appelle un tempérament. En forme, l’artiste ne semble pas avoir de limite. On suppute alors que la scène lui va beaucoup mieux que le disque. Et si elle l’a décidé, elle peut vous transporter très haut, sans décor, ni costume. Ce qui m’a semblé être le cas. Dans les moments de colère comme dans les passages les plus suaves, sensuels, l’auditoire est conquis. Et comme en face, Anfione, c’est Philippe Jaroussky, le tandem fonctionne c’est évident, avec une très grande complicité. Pour notre “coqueluche“ de contre-ténor, la partition comporte de plus, des arias que Steffani a dû écrire pour lui lors d’un retour sur terre tout récemment. Ces arias servaient de faire-valoir à un certain castrat, Clementin Hader.
Un très grand moment de musique, de chant, d’émotions. Et pour reprendre l’expression banale, par les temps qui courent,……
Pour ceux qui n’auront pu être là, et pour tous ceux qui veulent connaître l’ouvrage dans son intégralité, du moins celle qui est enregistrée, le coffret vient d’arriver. Il est édité par ERATO, mais oui, maison qui refait surface après une éclipse de plusieurs années. Si c’est pour livrer de tels “produits“, on lui souhaite une longue vie !! La prestation à la Halle nous a tout de même offert, plus des 4/5 de l’édition enregistrée.
Michel Grialou