Dans le cadre du festival des Compagnies fédérées au Théâtre du Pont Neuf, Olivier Jeannelle et Denis Rey reprennent « Nunzio », première pièce du dramaturge sicilien Spiro Scimone.
Une pièce de Spiro Scimone sans Spiro Scimone et son inséparable comparse Francesco Sframeli ? Comédien de l’Emetteur Cie, Olivier Jeannelle a relevé le défi en s’appropriant « Nunzio », dont il partage la partition avec Denis Rey. La tendresse du dramaturge et comédien sicilien pour les gens de peu, comme on les appelle, les anonymes, les anti-héros, est déjà tangible dans ce premier texte. Écrit en 1993, il met en scène deux types : l’un très mal en point à force d’inhaler les substances chimiques de l’usine qui l’emploie, et le second, mafieux mystérieux, toujours entre deux trains. Tous deux sont unis par un lien de fraternité indéfectible qui les maintient debout dans une société qui n’a de cesse de broyer l’individu. Tous deux sont condamnés par une fin imminente : l’un d’une agonie lente et douloureuse, le second, on le pressent, d’une mort plus fulgurante et violente.
À sa création, Olivier Jeannelle avait choisi de transposer ce huis clos entre les murs d’une cuisine, chez des particuliers ! Une expérience théâtrale grandement réussie pour ce moment sensible de communion. Où une vingtaine de personnes installées dans une cuisine familiale assistaient à cette fable tragi-comique, respirant à l’unisson dans une intimité générée par l’exiguïté du lieu et la proximité immédiate du rapport scène-salle. Respirant aussi les odeurs de cuisson de spaghettis sauce tomate, de café noir et de cigarillos ! Car, qu’il s’agisse de la version hors les murs (appartement, salle des fêtes, bar…) ou de la version sur scène, tout se fait en temps réel et en direct dans « Nunzio » : on coupe les oignons, on râpe le fromage, on fait chauffer le café, on allume et éteint la radio… Du théâtre vérité comme une prise de cinéma, un long plan-séquence intégrant l’aléatoire et laissant entrer le spectateur de plain-pied dans une humanité vibrant de tendresse, de complicité, de détresse, de solitude et d’altérité.
La langue de Scimone – dialecte de Messine traduit en français par Jean-Paul Manganaro – fait entendre une poésie du réel, jaillissant d’absurde beckettien et pétrie de non-dits pudiques et poignants, typiques de ces hommes qui s’envoient des claques viriles dans le dos ou fanfaronnent à coups de blagues grivoises pour ne pas avoir à dire l’essentiel. Comme toujours, Denis Rey y est tout en fêlures, lunaire, dans ce personnage candide de Nunzio, dont les questions incongrues cachent l’angoisse des enfants qui ont peur la nuit. Face à lui, Olivier Jeannelle, impeccable, interprète un Pino ténébreux, toujours sur la brèche – tel le Henry Hill des « Affranchis » de Scorsese -, un œil vissé sur la cuisson de ses pâtes, l’autre surveillant l’extérieur depuis la fenêtre, mais toujours présent, à l’affût de la moindre quinte de toux de son ami Nunzio, lui faisant don ici d’une veste, là d’un pantalon ou l’invitant à une sortie au bord de la mer, rien que tous les deux…
Le duo toulousain livre une interprétation parfaite, incarnée, d’une grande subtilité, nourrie, on le sent, de sa propre complicité. La gestuelle et les déplacements naturalistes sont gérés au cordeau, troués par ces moments de comédie pure, exutoire, qui offrent un contrepoint léger à la présence funeste de la mort. Aussi tendre soit-il, le texte fait cependant affleurer des zones d’ombres entre les deux protagonistes qu’Olivier Jeannelle n’a pas cherché à explorer. Comment Nunzio sait-il certaines choses ? Que fait-il réellement quand Pino le laisse seul ? Et pourquoi Pino semble-t-il se méfier de son ami ? Cette absence d’ambivalence n’empêche pas de savourer ce « Nunzio », doux et piquant, chaleureux et réconfortant quand la vie vous malmène au dehors…
Sarah Authesserre
une chronique de Radio Radio
Du jeudi 11 au samedi 13 février, 20h00, au Théâtre du Pont-Neuf,
8, place Arzac, Toulouse. Tél. 05 62 21 51 78.
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photo © Benoît Chatellier