Concert les Passions à la Chapelle Sainte-Anne
Jean-Marc Andrieu, flûtes à bec et direction
Étienne Mangot, violoncelle et viole de gambe
Liv Heym, Nirina Belote, violons
Myriam Cambreling, alto
Jean-Paul Talvard, violone (contrebasse)
Yasuko Uyama Bouvard, clavecin
Programme :
Georg-Philipp Telemann (1681 – 1767) : suite en La mineur pour flûte, cordes & basse continue
Giovanni Battista Sammartini (1700 – 1775) : concerto en Do majeur pour violoncelle, cordes & basse continue
Guiseppe Sammartini (1695-1750) : concerto en Fa majeur pour flûte soprano, cordes & basse continue
Telemann : concerto en La mineur pour flûte, viole de gambe, cordes & basse continue
Quel plaisir de retrouver à Toulouse, l’excellent ensemble de Montauban, les Passions ! Il nous avait tant manqué !
Jean-Marc Andrieu a choisi de mettre en valeur deux instruments, la flûte à bec et la viole de gambe, qui furent laminés par l’orchestre classique par la flûte traversière et le violoncelle. D’ailleurs Jean-Marc Andrieu a rendu un passant un émouvant hommage au grand Franz Brüggen récemment disparu en août dernier, et à qui tous les flûtistes doivent tant, surtout les flûtistes à bec.
La flûte à bec et la viole de gambe se marient avec bonheur dans trois œuvres « simples », et une œuvre « double », le concerto de Telemann.
Ces quatre concertos de la fin du baroque, permettent de tisser ensemble les coloris de ces deux instruments, de mettre en valeur leurs possibilités à la fois dans la douceur et aussi dans la virtuosité.
Ce concert, consacré à des œuvres rarement données, aura permis de réhabiliter un peu Telemann, bien plus célèbre en son temps que son contemporain et ami, Jean-Sébastien Bach. D’ailleurs il fut le plus célèbre des musiciens baroques avec une renommée internationale, mais maintenant injustement déprécié.
Son œuvre est extrêmement prolifique, comme un fleuve Amazone de la musique baroque, est elle est pourtant celle d’un autodidacte de génie. Tous les instruments furent à l’honneur chez lui, et particulièrement la flûte.
La suite-ouverture TWV 55 a2, et il en existe une petite sœur jumelle, est en 7 mouvements. On y entend les influences françaises, italiennes, et polonaises, qui terminent d’ailleurs en majesté cette œuvre. Cette suite de danses, (Plaisirs, Réjouissance, Passe-pied, airs italiens…), fait bien sûr penser à la suite en si mineur de Bach. Elle n’a pas à rougir de la comparaison, car elle se déroule avec noblesse, invention, et beauté des timbres.
Jean-Marc Andrieu en soliste, assure avec virtuosité le côté dansant et charmant de cette musique, bien soutenu par son continuo. Le premier violon est Liv Heym, jeune Allemande, issue de la Julliard Academy, qui avec un certain trac au début, assure parfaitement sa venue parmi l’ensemble, avec une sonorité de plus en plus belle. Mais tout l’orchestre est à un haut niveau et délivre une belle assise au soliste.
On peut noter que le chef s’attache à une dynamique importante dans cette musique, ce qui rend très vivante l’interprétation.
La suite du programme donne à entendre deux pièces des frères Sammartini.
D’abord un très beau concerto pour violoncelle de Giovanni Battista Sammartini. Ce concerto, quasiment jamais joué, est fort beau, surtout dans son mouvement lent. Et l’on comprend pourquoi ce musicien milanais fut l’un des plus célèbres en son temps. Il sera à Milan le maître de Christoph Willibald Gluck.
Étienne Mangot, a ressuscité un peu ce concerto, qui laisse déjà entrevoir les concertos pour violoncelle à venir de Haydn. Sa profonde et chaude sonorité, avec un grain de son magnifique, porte haut ce concerto, dont il improvise d’ailleurs, la hélas trop courte cadence.
Le jeune frère Giuseppe Sammartini était un génial hautboïste et aussi un compositeur, et il fera carrière à Londres.
Son concerto en fa majeur pour flûte soprano et cordes, s’il est plus banal que le précédent de son frère, permet d’apprécier le souffle et la musicalité de Jean-Marc Andrieu.
Enfin vient le match décisif, le « double » d’où sortirent vainqueur haut la main, l’archet et le souffle la flûte à bec de Jean-Marc Andrieu et la viole de gambe à six cordes d’Étienne Mangot.
C’est grande réjouissance et plaisir d’entendre comment s’enlacent, se répondent, les deux instruments dans le concerto de Telemann. Le grave majestueux du début est aérien et profond.
Le mouvement lent avec un dialogue flûte et viole de gambe seulement soutenue par la contrebasse, est un grand moment de musique.
Le final est ébouriffant, proche du contemporain Rameau et de ses danses sauvages.
Jean-Marc Andrieu danse presque en donnant la mesure, lui-même emporté par ce tourbillon.
Il a d’ailleurs fallu bisser ce mouvement devant l’enthousiasme du public.
Public hélas un peu dispersé, comme il le fut lors de la magistrale exécution de la Turangalila-Symphonie de Messiaen par Ivan Fischer quelques jours avant, ou du merveilleux Tour d’Écrou de Britten, donné à l’opéra du Capitole.
Il semble se poser un problème aigu de curiosité et de disponibilité au niveau du public toulousain, trop enclin au conservatisme et à la redite musicale. Un immense travail de pédagogie et de médiation semble nécessaire et urgent pour éviter le déclin de la musique à Toulouse.
Espérons en tout cas le prompt retour des Passions de Jean-Marc Andrieu à Toulouse, ensemble qui nous donne de si belles joies musicales, avec talent, profondeur et humilité.
Et pour cela le Messie va venir, celui de Haendel, le dimanche 15 mars à la Halle aux Grains. Et là nous pouvons y croire.
Gil Pressnitzer