Même si les derniers rangs du Paradis n’ont pas loisir de profiter à 100% des décors, au moins, cette fois, ils ont pu entendre les chanteurs, et l’orchestre. Il y a, finalement, bien longtemps que, dans Tosca, le Capitole n’avait pas eu droit à un tel engagement des trois protagonistes, enfin, quatre, car l’orchestre n’a pas fait que de l’accompagnement, la musique de Giacomo Puccini pouvant alors révéler toutes ses richesses, avec une balance chanteurs-musiciens confondante de vérité, du moins dans les hauteurs de la salle. Tant pis alors pour les premiers rangs d’orchestre ! On ne peut pas tout avoir.
Loin de cette fâcheuse tendance à vouloir distraire à tout prix l’attention du spectateur, merci à la production du Teatro del Maggio Musicale de Firenze qui, côté décors, costumes, lumières, et mise en scène nous a évité outrances, anachronismes provocateurs, détournement des intentions du livret. Pas de nouvelle idée théâtrale originale mais on s’en moque. Rome, 1800, point. Pas de mosquée mais une église avec un joli effet de coupole renversée, ni de sabre à la place du couteau, ni croix gammée, ni SS, ni “fachos“ divers et variés, un vrai panier et pas un sac poubelle, des malles pour la fuite et pas des containers, un vrai petit crucifix, pas un sextoy, pas de néons, ni de loupiotes clignotantes mais des bougies, ni d’anges nus descendant du Ciel, ni de Vierge Marie en phase ascendante.
Sous la direction impétueuse et redoutable d’efficacité de Tugan Sokhiev, Catherine Naglestad confirme sur la scène du Capitole toutes les couronnes déjà tressées relatives aux qualités de son incarnation du personnage de Tosca. Son chant techniquement sûr et son tempérament volontaire, impulsif même, lui permettent de dominer avec grande aisance les écueils de la tessiture. Son engagement dramatique total, son charisme, son Vissi d’arte, ne peuvent que la conduire au triomphe.
En Mario Cavaradossi, Vladimir Galouzine fait enfin entendre un ténor qui se joue facilement des seuls réels périls du rôle, avec des aigus timbrés et scintillants, tranchants avec en plus le volume ! Même si on eut aimé une plus grande capacité à alléger les nuances dynamiques de la ligne de chant. Pianissimo, dolcissimo, Galouzine fait au moins tout ce qu’il peut pour les respecter, les duos étant alors magnifiques d’équilibre. Quel troisième acte !
Scarpia est bien le personnage central de l’opéra, se réduisant encore moins facilement que Tosca à sa seule dimension vocale. Avec Scarpia, Puccini réalise l’une des plus grandes figures du théâtre lyrique et en tous les cas, un type caractéristique de notre temps : l’homme du pouvoir exécutif. Du simple traître de Victorien Sardou, les librettistes en ont fait le moteur du drame. Aucune idéalisation possible. Plus que la prise, la chasse, plus que le désir, le désir du désir. Jusqu’à la mort, car si d’autres, sur le même chemin ont pu rencontrer plus récemment une serpillière, Scarpia lui, moins chanceux, a rencontré un couteau. Pour un tel rôle, d’une redoutable complexité, il faut un acteur-chanteur invité à se montrer tour à tour « sardonique », « ironique », « féroce », animé d’une « passion érotique » dévorante. Dans le chant lui-même, ni aboiement, ni éructation, malgré une tessiture tendant vers l’aigu. Le parlando soutenu, l’extraordinaire insertion de la ligne de chant à la trame orchestrale confèrent bien au rôle de la dimension des plus importantes figures du théâtre lyrique moderne, défi que relève avec panache le baryton Frank Ferrari, éloignant le personnage de toute caricature.
On ne peut oublier les chœurs et l’ensemble de tous les comprimari qui participent aussi à la réussite de cette magnifique production.
Michel Grialou
Cf, l’article sur TOSCA en annonce de la production.