En effet, c’est avec ces deux opéras de Benjamin Britten que le Théâtre crée l’événement. Ils seront présentés ensemble au cours de trois représentations et séparément, une pour chacun. Après, Curlew River, Billy Budd, Peter Grimes et plus récemment Albert Herring, c’est le retour en force au Capitole de cette figure majeure de l’art lyrique du XXè siécle. Les deux opéras sont composés sur un livret de Myfanwy Piper d’après une nouvelle de Henry James, les deux seront dirigés par David Syrus, confiés pour la mise en scène à Walter Sutcliffe, les décors et costumes sont pour Kaspar Glarner et les lumières pour Wolfgang Goebbel.La distribution est anglophone avec la grande majorité des chanteurs faisant leur entrée au Capitole.
« Un de mes buts principaux a été d’essayer de rendre à la musicalité de la langue anglaise, l’éclat, la liberté et la vitalité dont elle a été complètement dépourvue depuis la mort de Purcell. » Benjamin Britten
7 juin 1945, le public du Sadler’s Wells de Londres ne s’y trompe pas. Il vient d’assister à la naissance d’un chef-d’œuvre de l’art lyrique du XXè siècle avec Peter Grimes. C’est le réveil de la musique britannique alors en sommeil, et c’est le fait d’un jeune compositeur de 32 ans à peine, Benjamin Britten, pas méconnu mais jusque là, ayant fait surtout ses preuves dans le domaine symphonique. C’est alors le début d’une série d’ouvrages captivants composés par un passionné avant tout par la voix humaine. Il compose vite et frappe fort à chaque fois. Mélodies, chœurs, opéras surtout. Pas moins de quinze ouvrages lyriques jusqu’en 1973, dans tous les genres, graves ou légers, dramatiques ou féeriques, avec parmi eux beaucoup d’opéras dits de chambre. Ce sont autant de réussites, ciselés avec un art consommé, une rare économie de moyens et une étonnante puissance inventive, comme par exemple : Le Viol de Lucrèce (1947), Albert Herring (1947), Le Tour d’écrou (1954), Le Songe d’une nuit d’été (1960)…
Britten et les enfants. Une particularité qui est vraiment la marque du compositeur, ce sont les enfants souvent présents dans ses œuvres. Britten témoigne d’une rare habileté à manier les voix jeunes, fraîches, un peu ambigües même, et qui apportent une couleur particulière à certaines scènes comme Miles et Flora dans ce Tour d’écrou, ou les gamins du village dans ce récent et jubilatoire Albert Herring sur la scène “capitolesque“. Parfois, les enfants ne chantent pas mais leur seule présence sert de détonateur au drame. L’apprenti de Peter Grimes est un rôle muet. Tout comme le jeune danseur Tadzio dans Death in Venice. Britten a aussi écrit du sur mesure pour eux. Faisons un opéra est un “divertissement“ en forme de pièce de théâtre à l’intérieur de laquelle s’insère la représentation du Petit Ramoneur, opéra d’enfants, monté la saison dernière par le Théâtre.
Owen Wingrave. Des chœurs d’enfants, il y en a aussi dans Owen Wingrave de 1971, cet opéra conçu donc spécialement pour la télévision, en deux actes et un prologue dont la création scénique eut lieu le 10 mai 1973 au Covent Garden de Londres. C’est, en résumé, une véritable exaltation des idées pacifistes chères à Britten, objecteur de conscience.
« Je considère que c’est un crime de tirer son épée pour son pays et c’est un crime que les gouvernements ordonnent », s’écrie le héros, Owen, le dernier de la lignée des Wingrave, refusant de suivre la carrière militaire de ses ancêtres. Considéré comme un lâche et rejeté par tous et même par sa fiancée Kate, c’est pour elle qu’il accepte de passer la nuit dans une maison hantée dans laquelle on le retrouvera mort au petit matin.
Britten se sera exilé – certains diront, aura fui – en 1939 pendant plus de deux ans (retour en1942) aux Etats-Unis en pacifiste convaincu, dénonçant les horreurs de la guerre dans la Sinfonia da Requiem de 1940, mais bien davantage et de façon plus marquante, dans cet hymne superbe et désespéré, War Requiem de 1962, une des plus prenantes des dénonciations des absurdités de la guerre en musique, un cri d’horreur et de fraternité mêlés, poussé par l’orchestre, le chœur et les trois solistes vocaux. Il fut composé sur les poèmes de guerre de Wilfred Owen, tué en 1918 à la guerre à l’âge de 25 ans. Il revient encore sur ce thème qui le hante, si l’on peut dire, avec Owen Wingrave.
Robert Penavayre : « Concernant plus particulièrement Owen Wingrave, pouvez-vous nous résumer en quelques mots ce que Britten voulait faire de spécifique en écrivant un opéra pour la télévision ?
David Syrus : « Comme je l’ai dit précédemment, ce qui intéresse le compositeur est certainement le changement instantané de décor et l’équilibre parfait entre la puissance de l’orchestre et celle des voix. Cette possibilité de changement de lieu d’action instantané fait que dans cet opéra il n’y a pas d’interludes exclusivement musicaux, écrits pour un changement de scène. Dans Le Tour d’écrou ils sont au cœur même de la logique musicale de l’œuvre. Quand Britten écrit un interlude dans Owen Wingrave, celui-ci a toujours une signification musicale bien sûr, mais aussi visuelle et doit être signifiante théâtralement pour le public. Puis je dire en passant que je suis très heureux que le Théâtre du Capitole ait choisi une version avec un matériel d’orchestre différent de celui contenu dans la réduction faite par David Matthews ? Certes, ce dernier a fait un excellent travail en réduisant cette importante partition pour les petits théâtres. À l’origine, il a d’ailleurs fait ce travail pour le studio du Covent Garden. Mais reconnaissons que la diminution des cordes dans la partition, notamment dans le long voyage vers le château, un moment terriblement cinématographique, est vraiment dommage. La version qui est donnée à Toulouse inclut également la harpe, si importante dans la caractérisation martiale et sèche des ancêtres militaires.
Quelques mots de Walter Sutcliffe, metteur en scène : « La forme de tragédie classique que revêtent chez Britten les héros qui contreviennent aux structures sociales trouve son expression la plus aboutie avec Owen Wingrave . Owen trouve qu’il ne peut ni ne doit accepter les us de sa propre société : tuer et mourir sur le champ de bataille. Il se dresse contre cela, refuse de prendre sa part de cet habitus, mais à la fin, il ne parvient pas à s’en échapper totalement et le combat qu’il livre contre lui-même pour se dégager va le détruire. Je trouve que cette œuvre est l’opéra naturaliste le plus convaincant que j’aie jamais mis en scène. Du fait qu’on soit là dans une pièce, un film en l’occurrence, quoique chanté, il s’agit pourtant toujours d’une conversation, où chaque mot a son importance. La grande force de cette œuvre, c’est sa simplicité et sa clarté. Je n’ai jamais vu un opéra où les personnages soient aussi clairement signifiés, leurs motivations, leurs désirs aussi forts. Cet opéra est à mon sens une vraie perle et va sans aucun doute prendre rapidement place parmi les plus grands chefs-d’œuvre de Britten.
Quant à The Turn of the Screw, serait-ce l’opéra le plus parfait de son compositeur ? Mettre en scène la nouvelle d’Henry James était un formidable défi. Il fallait faire chanter et représenter la lutte d’une jeune femme, La Gouvernante, pour arracher les deux enfants dont elle a la responsabilité, Miles et Flora, à l’influence maléfique de fantômes. Ceux de Peter Quint, un ancien valet, et de Miss Jessel, l’ancienne gouvernante, tous deux s’acharnant à s’approprier l’âme des enfants et à en corrompre l’innocence. Veille aussi sur les deux “adorables“ enfants, La Bonne, Mrs Grose. Le défi a été relevé, magistralement, avec 6 chanteurs et 14 musiciens. Avec une partition étonnamment élaborée, le thème essentiel évolue au fil de quinze variations, évoquant l’écrou qui tourne et se resserre inexorablement. Les personnages sont superbement caractérisés : pureté de la jeune gouvernante plongée malgré elle dans un univers de soufre, séduction trouble et fascinante des vocalises des fantômes, simplicité et naïveté ambiguë des enfants, si dérangeants. Dans l’enregistrement de Britten, Miles est interprété par un certain David Hemmings, nom qui devrait alerter les cinéphiles. Sur 75 minutes, le cauchemar interfère dans la réalité pendant que la souillure guette la pureté. La première eut lieu au Théâtre de La Fenice à Venise le 14 septembre 1954 avant Londres au Sadler’s le 6 octobre.
N’oubliez pas, autour de ces deux opéras, les rencontres proposées pour vous éclairer. Forum Opéra, Conférence, Parlons-en, Un thé à l’opéra, Journée d’étude, plusieurs occasions offertes d’en apprendre davantage et de mieux saisir les ouvrages proposés surtout quand ils sont inconnus, ou peu connus. D’ailleurs, cela peut être aussi très éclairant, quand on croit fort bien les connaître !!
Michel Grialou
21 – 23 – 25 – 27 – 28 novembre
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