A l’occasion de la sortie du film « Une Nouvelle Amie« , j’ai pu rencontrer le réalisateur François Ozon et ses deux acteurs Anaïs Demoustier et Romain Duris.
Comment le rôle vous a-t-il été présenté ?
Anaïs Demoustier : j’ai passé un casting, de manière assez classique : j’ai rencontré François, il m’a parlé brièvement du film. J’ai d’abord passé des essais toute seule, et dans un second temps avec Romain Duris parce que François avait besoin de voir si la relation fonctionnait bien entre les deux acteurs. C’est tellement un film qui décrit une rencontre qu’il fallait que le jeu entre nous se fasse bien, et ce fut le cas. On a de suite eu du plaisir à jouer ensemble, c’était vraiment super car sans Romain, la première partie du casting était un peu étrange. Pour les essais, Romain était déjà habillé en femme.
Qu’est-ce qu’il vous a séduit dans le rôle ?
Anaïs Demoustier : c’est la grande part de créativité pour l’actrice car c’est un rôle très silencieux, très mystérieux, énigmatique. Dans chaque film, on joue avec les secrets, et ici, j’en avais beaucoup. C’était très riche.
Et pour vous Romain ?
Romain Duris : (avec la voix de Virginia) beaucoup de secrets, mais un peu plus dévoilés mais bon (rires). Dès les premières fois qu’on s’est vus, j’ai eu beaucoup de plaisir, et très rapidement. J’ai mis une espèce de perruque très simple, un coup de rouge à lèvre. On s’amusait énormément. Même François ! On était un peu comme des mômes.
François Ozon : c’est pour ça aussi que j’ai pris Romain pour le rôle. Je ne voulais pas tomber dans quelque chose de dramatique, un peu glauque ou pathétique. Je voulais que le spectateur ressente le plaisir qu’il peut y avoir à se déguiser, comme quand on est enfant, sans culpabilité. Romain avait ce côté ludique. Dès le premier jour des essais, il était à fond.
Romain Duris : pour un acteur, c’est une chance d’avoir un rôle pareil. Quand François parle de joie, pour moi, elle est naturelle, car il y a tout à jouer. C’est fou la liberté qu’il y a dans la création avec un rôle comme celui-ci.
Je trouve que vos rôles et l’histoire sont très casse-gueules. Si on la raconte à quelqu’un, il peut très facilement s’imaginer un film niais, ou grotesque. Ce qui n’est pas le cas, pour aucun de vous trois. Virginia n’est jamais ridicule, et à un moment, je ne vous voyais même plus derrière, en train de l’interpréter, mais je voyais une femme.
Romain Duris : ça me fait plaisir. Quand j’étais en train de travailler, de m’imaginer dans cet exercice de ressembler le plus possible à une femme, je me disais que finalement, ce n’est pas ça qui est voulu, la perfection n’existe pas. Par contre, faire une créature, comme Dustin Hoffman dans Tootsie,-que j’avais adoré-, où au milieu du film, on ne sait plus si c’est un homme ou une femme : c’est une créature. J’avais vraiment envie que Virginia devienne une créature. Masculine ? Féminine ? On s’en moque, c’est vraiment quelque chose de dessiné.
L’amincissement de votre corps était-il une étape nécessaire ?
Romain Duris : (avec la voix de Virginia) ça m’a aidé, on a plus conscience de son corps. C’est le genre de rôle où on l’écoute un peu plus (rires). En faisant des essayages de costumes, petit à petit, je me rendais compte que ça m’aidait d’être plus fin.
François Ozon : Romain, sans être gros, comme tout homme dans des tailles normales de vêtements féminins, il était plutôt boudiné.
Dans le premier flashback, qui raconte l’amitié entre Claire et Laura, il me semble qu’il n’y a pas de dialogue alors que Claire est au micro dans l’église. Pour les deux autres flashbacks du film, il y a des dialogues. Ce choix se décide-t-il au montage ou dès l’écriture de la scène ?
Pour le premier, au scénario, il y avait la voix-off de Claire qui racontait toute leur histoire. Nous l’avons enregistrée. Et très vite, je pensais que l’idéal serait de ne pas l’utiliser, les images et la mise en scène devaient suffire. Je pense que cela fonctionne, puisqu’on comprend sa relation avec Laura, son amitié, comment l’une vit dans l’ombre de l’autre, comment l’une est plus lumineuse, plait davantage aux garçons. Claire suit tout le temps sa copine. C’était plus expliqué dans la voix-off, mais je trouvais que cela n’était pas nécessaire.
Toutes ces scènes-là, du premier flashback, se retrouvent dans le film, en miroir
François Ozon : oui, absolument. Vous l’avez vu deux fois ?
Non, une seule…
François Ozon : vous êtes une bonne observatrice, car j’ai l’impression que les gens ne s’en rendent pas compte. L’idée était qu’elle revive avec Virginia ce qu’elle a vécu avec Laura, qu’il y ait des réminiscences. De même que la chanson de Kathy Perry revient aussi, mais là, c’est une musique extradiégétique. Ces 10 premières minutes vont finalement se décliner par la suite avec Virginia.
Je suis partie sur une mauvaise piste : comme l’amitié entre les jeunes filles se matérialisait avec le cœur gravé sur l’écorce de l’arbre, je me suis imaginé Claire un peu amoureuse d’elle, un peu exclusive, limite jalouse…
François Ozon : pour tous les enfants, une histoire d’amitié et une histoire d’amour, c’est la même chose. Il n’y a pas de différence : vous étiez amoureuse de votre copine, et ça ne passait pas par la sexualité. Comme moi avec mon meilleur copain. Pendant l’enfance, je pense qu’on a un côté très fusionnel dans nos amitiés. Ce n’est pas forcément pour ça qu’elle avait du désir. Elle se pose la question après, vu sa relation avec Virginia. Elle est dans la confusion.
Avec cette ambiance du début, un peu hitchockienne, et qu’elle prenne mal le fait que Virginia aille voir un psy, j’ai pensé qu’on allait découvrir qu’elle avait tué sa meilleure amie pour pallier cette perte d’exclusivité.
François Ozon : ça alors ! Vous êtes les premiers, à Toulouse, à voir des choses qu’on n’a pas mises.
Mais j’adore me tromper sur le déroulé du scenario !
François Ozon : moi aussi j’adore quand les gens interprètent différemment et se font leur propre film. Le côté hitchcockien est venu en travaillant le scénario. Claire est un peu Scottie qui fait revivre Madeleine. D’ailleurs, le bouquin de Boileau-Narcejac qu’il avait adapté pour faire Vertigo s’appelait D’entre les morts : c’est faire revivre une morte. C’est vrai qu’il y a quelque chose de cet ordre qui ressemble à ça dans le film.
En plus de cette ambiance hitchcockienne, vous jouez avec les codes du conte de fées
François Ozon : j’ai écrit le scénario au moment où il y avait toutes les manifs contre le mariage gay, contre l’égalité des droits. Je me suis dit que le film allait tomber en plein dans l’actualité. Du coup, ç’a m’a aidé un trouver la forme du film. Comment raconter cette histoire en la dramatisant, sans braquer les gens, sans être violent, en essayant de faire comprendre que le désir, c’est complexe, ce n’est pas binaire. Il peut y avoir des frontières fluctuantes entre le masculin et le féminin. Le meilleur moyen de raconter cette histoire était de prendre les codes du conte de fées, parce que c’est une structure narrative universelle que tout le monde connait : deux personnages vivent un drame, ils vont vivre un long cheminement pour arriver à la fin avec un happy-end. Avec cette fin, j’avais envie de montrer que le monde extérieur d’aujourd’hui est prêt à assumer ces personnages. Je n’aurais pas pu faire ce film si je l’avais situé dans les années 40-50.
Qu’est-ce qui caractérise un tournage avec François Ozon ?
Anaïs Demoustier : il y a une énergie incroyable ! Il a une enthousiasme, une jubilation, de frénésie en fait. Au début, c’est un peu déroutant car ça va très très vite. Mais quand on rentre dans son rythme, c’est enivrant. J’ai eu un immense plaisir que je n’avais jamais rencontré avant.
Romain Duris : il a un tel appétit ! On a l’impression que c’est son premier film tellement il a envie de bouffer son histoire. Il faut dire que François cadre, donc on reçoit tout.
Le fait qu’il cadre, ça change quoi : votre façon de jouer ? d’avoir confiance ?
Anaïs Demoustier : ça ne change pas la façon de jouer, mais la relation avec le réalisateur. Avoir un regard très proche du metteur en scène qui est juste là, c’est différent de l’avoir à 15 mètres derrière un combo, le cul sur sa chaise. Il est impliqué dans la prise avec nous. Une grande partie de sa direction d’acteur se fait à partir de cette présence-là qui est très particulière.
Romain Duris : on reçoit son impatience.
François Ozon : je fais des bruits pendant les scènes d amour, parait-il…
Quelle est la scène qui vous a procuré le plus de plaisir à jouer ?
Anaïs Demoustier : il y en a plusieurs. J’ai beaucoup aimé la scène de la boite de nuit. J’adore la chanson de Nicole Croisille, elle parle vraiment bien du film. Il y avait une belle atmosphère avec tous les figurants. Cette scène est un moment du film vraiment beau : ils sont à l’aise, ils osent, ils prennent du plaisir. Ils sont acceptés, sans la méfiance dans le regard de l’autre. C’est le moment où mon personnage réalise à quel point elle est heureuse au côté de cette créature-la. C’était très agréable à tourner.
François Ozon : cette chanson de Nicole Croisille Etre une femme, prend un double sens. Si vous l’écoutez en pensant à l’un ou l’autre des personnages, elle fonctionne dans les deux cas. C’est assez fascinant quand on utilise des chansons, qui peuvent être de la variété, un peu méprisée, un peu idiote dans leurs paroles, de constater la force qu’elles prennent dans un film. Je l’ai souvent vécu dans d’autres films que j’ai faits. Regardez Dolan avec Céline Dion : tout le monde disait du mal de cette pauvre Céline Dion, et maintenant, c’est le comble du chic.
Romain Duris : (avec la voix de Virginia) pour moi, la mort, avec cette lumière toute blanche, le corps nu. J’ai senti quelque chose de fort (rires). Non, chez moi, c’était un peu tout le temps : Virginia, dès que je mettais les bottes. Mais aussi quand j’interprétais David d’ailleurs. J’ai beaucoup aimé l’histoire donc je ne peux pas dire que j’ai préféré un moment.
Anaïs Demoustier : la scène au centre commercial, c’était amusant aussi.
Les gens autour d’eux étaient-ils tous des figurants ?
François Ozon : on avait une dizaine de figurants autour de nous, mais le reste était des vrais gens. On n’a pas les moyens de fermer un centre commercial. Mais pour en revenir à la scène de la boite de nuit, on a passé une journée avec des gens qu’on avait recrutés en boites de nuit, plutôt de milieu gay. Ils ne savaient pas qu’il y avait Romain Duris dans le film. Pendant 6 heures, on n’a pas arrêté de tourner, sans que personne ne reconnaisse Romain. A un moment, j’ai dit : « Romain, tu fais ça », et un des figurants a compris que la fille là-bas était Romain Duris.
Romain Duris : c’était fou. Il y a très peu de rôles qui permettent de disparaître. Comme vous disiez, c’est un personnage qui m’a permis d’être caché.
Est-ce qu’il y a des choses que vous vouliez éviter en interprétant ce rôle ?
Romain Duris : Beaucoup. Mais on en a parle très tôt avec François : tout ce qui pouvait être maniéré, caricatural, faire la folle, ce qui revient à tomber dans la facilité en fait. Très vite, on savait qu’il y avait des choses à régler. On dosait selon les scènes le niveau de maladresse.
François Ozon : mais en même temps, il fallait aussi assumer cette maladresse, où il est un peu ridicule, car il se cherche. Souvent, quand les travestis commencent à se travestir, ils ont des idées de la féminité très stéréotypées. Après, dans la mise en scène, on ne devait pas rire du personnage, mais rire avec lui. C’est pour cela que le regard de Claire est très important. Quand il arrive pour aller au shopping avec une robe rose et une perruque Veronica Lake, en soi, c’est ridicule. Mais il y a le regard d’Anaïs, et la complicité qu’ils ont ensemble.
Anaïs Demoustier : je trouve ça très beau dans le film, cette façon dont il parle de la féminité. On voit bien que la féminité vue par Virginia est un peu caricaturale, alors que celle de Claire, la vraie femme du film, est plus subtile, avec des habits plus masculins. Elle constate que cet homme est libre et qu’il se permet des choses qu’elle n’ose pas. Elle se développe, elle devient plus femme, plus délicate, au contact de Virginia.
François Ozon : mais Virginia aussi a un parcours, car au début, elle apparaît mémère avec sa perruque blonde, trop maquillée. Il y a eu un vrai travail sur les costumes et le maquillage qui était très important.
Et sur les couleurs : le monde de Claire est entièrement bleu (la vaisselle, les habits, les draps, la salle de bain…). Est-ce pour faire ressortir le rouge qu’elle se met quand elle est au contact de Virginia, que ce soit le rouge à lèvres, la robe, la voiture ?
François Ozon : le bleu… pourquoi pas. Je ne pense pas l’avoir réellement théorisé ou analysé de cette manière. Mais c’est vrai que la couleur rouge était importante. Symboliquement, ça peut montrer l’embrasement qu’elle ressent.
Quelle part du film se décide au montage ?
François Ozon : une grande part, car pour moi, le montage est une réécriture. Mais pour un film comme celui-là, la voix-off dont nous parlions tout à l’heure a disparu. Il y avait plus de scènes avec Gilles, le mari de Claire, qui étaient explicatives, redondantes. J’ai coupé certaines fins de scènes, certains dialogues. Mais sur un film comme celui-ci, la structure n’a pas tellement changé.
Quand on a vu le monsieur qui drague Virginia au cinéma, Louis-Marie et moi avons pensé que c’était vous. Au générique, c’est François Godard qui est crédité mais on reste convaincu que c’est vous…
François Ozon : Godard est le nom de ma mère. J’ai pris un pseudonyme. J’ai cru qu’on ne me reconnaitrait pas : je me suis laissé pousser la barbe, j’ai demandé à être dans le noir. Il fallait un pervers dans un cinéma… j’ai assumé (rires).
Comment le film est-il reçu à l’étranger ?
François Ozon : ça s’est toujours très bien passé. C’était assez impressionnant de présenter le film en Russie, à Moscou et Saint-Pétersbourg. J’espérais ne pas finir au goulag. Je me suis aperçu que le public était assoiffé de voir des films occidentaux. Ils l’ont ressenti comme un film sur la liberté, en dépassant les limites du travestissement. Ils étaient contents qu’on vienne le présenter. A cause des lois de Poutine, beaucoup d’artistes refusent d’y aller. Je pense le contraire : aller dans un tel pays qui restreint les libertés individuelles pour y montrer ce genre de film est pour moi important. La Russie et les Russes, ce sont deux choses différentes. (Ndlr : le film a remporté le Prix du public lors du premier Festival International de Saint-Pétersbourg (SPIMF), et comme vous le voyez sur l’affiche, il est interdit aux personnes de moins de 18 ans)
Un mot sur vos projets ?
Anaïs Demoustier : on a retourné ensemble avec Romain une fiction qui s’appelle Démons, qui passera sur Arte. Le film A trois, on y va de Jérôme Bonnell, avec Félix Moati, a aussi été tourné, et sortira au printemps. Je tourne actuellement Marguerite et Julien de Valérie Donzelli, à Cherbourg.
Romain Duris : je suis actuellement sur un projet sur l’après-guerre, celle de 14-18. Cela explique ma barbe.
Propos recueillis lors de la venue de l’équipe du film pour son avant-première toulousaine au Gaumont Wilson le jeudi 23 octobre.
Article initialement paru sur Benzine