Opéra de Giuseppe Verdi en trois actes sur un livret d’Antonio Somma, d’après Gustave III ou le Bal masqué, opéra de Daniel Auber. Il est créé le 17 février 1859 au Teatro Apollo de Rome. C’est son vingt-troisième opéra sur vingt-huit, du premier en 1839, Oberto, à 1893 avec Falstaff, la plus longue carrière pour un auteur d’ouvrages lyriques. Un Bal masqué, un opéra de plus qui correspond à son objectif principal : « Des passions avant tout ! » C’est du drame qu’il désire, du drame qui avance, toujours en mouvement. Et qui cesse avec la mort.
Le Bal masqué, c’est vraiment le poème tragique et tourbillonnant d’un amour désespéré et impossible, et non pas le thème du régicide adapté par Scribe et Auber. C’est un peu le Tristan et Isolde de Verdi, son Tristan traduit en italien, transplanté sous un ciel ardent et passionné, en dépit du fait que la fiction dramatique délocalise la pièce en des terres “exotiques“ – Boston ! – pour des raisons politiques invoquées par des censeurs napolitains. On est en pleine lutte pour la future union italienne contre l’emprise de l’Empire austro-hongrois, en plein Risorgimento. Ce n’est pas le moment d’évoquer un régicide. Cette expatriation peut expliquer que dans la distribution, à la création, il est bien précisé que le secrétaire du gouverneur est un créole, que la “sorcière“, la voyante, la diseuse de vérité, la pythonisse est une noire, et que les deux conspirateurs, ennemis du gouverneur soient aussi des noirs.
A propos d’Ulrica, la prophétesse est la première à atteindre une dimension charismatique aussi importante que la Gitane, Azucena, dans Le Trouvère. Victime de racisme ordinaire, elle fait à la fois objet de curiosité et de rejet. Elle va rehausser l’action par sa présence symbolique tout au long de l’opéra. Le juge, qui dans une scène des débuts de l’opéra demande au comte qu’elle soit châtiée par l’exil, la désigne ainsi : « Elle s’appelle Ulrica et appartient à l’immonde race nègre. ». Propos que va tempérer la répartie de son défenseur, le page Oscar, l’homme à la voix de femme, l’unique travesti dans l’œuvre verdienne, le masque dans toute l’expression de son paroxysme, l’Hermès lyrique : « Mais autour d’elle se pressent toutes les races. » Répulsion et attirance, c’est bien autour d’elle que tout se noue sous capes et masques.
A propos d’Ulrica toujours, et pour évoquer un peu le synopsis, les spectateurs savent déjà, dès les premières minutes, que Riccardo aime Amélia, comme un fou, un amour d’adolescent, et est aimé d’elle. C’est au cours d’un des plus beaux duos d’amour qui vient peu après, le plus beau écrit par Verdi. Ils savent que Renato, le mari, et le secrétaire particulier du gouverneur, est un soldat sans détours, dont l’amitié pour son maître est aussi entière que la confiance en sa femme, et savent aussi qu’il ignore tout des amours réciproques de son maître et de sa épouse. Ils savent aussi que des conjurés ne souhaitent qu’une chose, la mort du gouverneur, comme celle du roi dans l’opéra ayant servi de base, le despote éclairé, Gustav III, roi de Suède. Ils se doutent que Renato va se venger quand il apprendra cette double trahison, et qu’il en rajoutera dans cette relation extra-conjugale non consommée pourtant. Tout cela doit donc très logiquement mal finir. Mais grâce à la diseuse de vérité, ils sauront que Riccardo va apprendre qu’un ami va le tuer, de sa propre main. Il faudra qu’il attende deux heures sur scène pour se rendre compte en effet qu’Ulrica avait dit vrai.
Fin d’un drame, banal sans doute, non un assassinat politique, mais un assassinat domestique, le plus profond des drames de l’intimité transcendé par ses deux héros, loyaux et vertueux, dont la sincérité des effusions ne peut qu’induire un exceptionnel capital de sympathie chez les spectateurs.
Daniel Oren direction musicale
Vincent Boussard mise en scène
Vincent Lemaire décors
Christian Lacroix costumes
Guido Levi lumières
Dmytro Popov – ténor, Riccardo, comte de Warwick, Gouverneur de Boston
Keri Alkema – soprano dramatique, Amelia, épouse de Renato
Vitaliy Bilyy – baryton, Renato, créole, secrétaire du Gouverneur
Leonardo Neiva – basse, Samuel, ennemi du gouverneur, un conspirateur
Oleg Budaratskiy – basse, Tom, ennemi du gouverneur, un conspirateur
Aimery Lefèvre – baryton, Silvano, un marin, tout dévoué au Comte
Julia Novikova – soprano, Oscar, un page
Elena Manistina – mezzo-soprano, Ulrica, devineresse, noire
Choeur et Maîtrise du Capitole
Alfonso Caiani direction
Orchestre national du Capitole
NOUVELLE PRODUCTION en coproduction avec le Staatstheater de Nuremberg
La mise en scène est confiée à Vincent Boussard et la réalisation des costumes au couturier Christian Lacroix, tous deux de nouveau réunis après une première collaboration toulousaine à l’occasion de La Favorite de Gaetano Donizetti en février 2014. Une collaboration réussie, largement reconnue, qui est de très bon augure pour cette nouvelle production, laissant présager une lecture noble et racée de ce drame de la passion, sans transposition intempestive, ni lecture au cinquantième degré. Ils sont épaulés à nouveau par leurs deux compères aux décors et lumières.
Maestro incontournable dans le répertoire italien, Daniel Oren revient au pupitre de l’Orchestre national du Capitole après Le Trouvère de Verdi en 2012. Et mon petit doigt me dit que le personnage avait été alors fort apprécié des musiciens, compliment que l’on se plaît à relever ! Le chef d’orchestre israélien est depuis 2014, Directeur musical du Israeli Opera de Tel Aviv, et depuis 2010, Directeur artistique du Teatro Giuseppe Verdi de Salerne.
Plusieurs artistes font leurs débuts sur la scène du Capitole :
Dmytro Popov incarnera Riccardo. C’est en remplaçant au pied levé Rolando Villazon dans le rôle de Rodolfo dans La Bohème au Covent Garden de Londres, que le jeune ténor ukrainien s’est fait connaître du grand public. Le fait qu’il chante à Vienne, Berlin, Munich et Londres, et qu’il enregistre avec Sir Simon Rattle et l’Orchestre philharmonique de Berlin, sont quelques indices probants qui attestent de la valeur du jeune artiste.
La soprano dramatique Keri Alkema qui interprétera le rôle d’Amelia, son quatrième rôle de soprano chez Verdi, après Amelia de Simon Boccanegra, Elisabeth du Don Carlo et Desdemona dans Otello. Sa carrière débuta sous l’étiquette mezzo-soprano.
Vitaliy Bilyy interprète Renato, après une première venue en 2012 pour le Comte di Luna dans Le Trouvère. Habitué du répertoire verdien, le baryton ukrainien a notamment à son répertoire des figures telles que Germont (La Traviata), Posa (Don Carlo), Ezio (Attila), Miller (Luisa Miller) ou encore le rôle-titre dans Macbeth et Nabucco.
Aimery Lefèvre est presqu’un familier de la scène toulousaine. On a pu l’entendre tout récemment dans la création de Philippe Hurel, Les Pigeons d’argile. Auparavant, il y eut La Belle Hélène, Les Indes Galantes. Il sera Silvano. On l’entendra de nouveau en mars 2015 en Pollux dans Castor et Pollux de Rameau.
Julia Novikova et Elena Manistina incarneront respectivement le page
Oscar et la diseuse de bonne aventure Ulrica. Le rôle d’Ulrica est l’un des rôles de prédilection de la mezzo-soprano Elena Manistina, tout comme celui d’Azucena dans Le Trouvère.
Les basses, brésilienne et russe, Leonardo Neiva et Oleg Budaratskiy, interprèteront les deux ennemis du gouverneur, Samuel et Tom. En contrepoint à son incarnation de Tom, Oleg Budaratskiy ouvrira le 2 octobre la saison des Midis du Capitole, série de récitals à 12h30 où les artistes de la jeune génération nous présentent les programmes les plus variés. Il nous offrira une balade dans le grand répertoire, depuis Mozart jusqu’à l’opéra romantique de Verdi et
Tchaïkovski. Quant à Neiva, pas de chance, il retrouve encore un rôle de méchant, après celui de Jacopo Loredano dans I Due Foscari !
Robert Penavayre : « Lors de la création d’Un Bal masqué en 1859, Verdi a 46 ans et il lui reste 42 années à vivre. Il a déjà beaucoup composé mais les chefs-d’œuvre de la maturité sont à venir. Quelle place cependant accordez-vous, dans le corpus verdien, à cet ouvrage? »
Daniel Oren, à la direction musicale : « Grâce à Dieu, Giuseppe Verdi est l’un des compositeurs dont la longévité créatrice a été la plus importante de l’histoire de la musique. Il compose sa première œuvre en 1839 (Oberto, comte de San Bonifacio) et 54 ans plus tard sa dernière, en 1893 (Falstaff). En écrivant sa musique, il a traversé tous les âges de sa vie, inscrivant, reflétant dans ses créations toutes les mutations qui sont survenues dans la société, ainsi que l’évolution de sa sensibilité et de sa culture. Comme il arrive chez les artistes de génie authentique, c’est la même chose dans les arts visuels, il y a chez Verdi trois « manières » dans sa production, bien différentes les unes des autres.
Dans la première, on trouve le Verdi innovant et explosif, celui de Nabucco, Ernani, Attila, La Bataille de Legnano, où le pathos le plus évident est la passion patriotique. Lui-même nomma ces années-là « années de galère » au long desquelles il n’arrivait pas à sortir des formules qui faisaient son succès.
Ensuite il y a la manière centrale, c’est celle de la trilogie, Rigoletto, La Traviata, Le Trouvère. Dans ces trois œuvres, les sentiments sont plus portés par les personnages que par les peuples. Pour Verdi, c’est un pas important dans sa création, une conquête dans sa veine créatrice qu’il voudra absolument continuer dans le prochain opéra que sera Bal masqué.
La troisième et ultime manière est celle de la complète maturité que l’on fait généralement commencer plus tardivement, avec Aïda et Don Carlos. Mais je pense qu’il convient de parler, dans cette troisième manière, de ce Bal masqué car il contient tous les éléments propres aux véritables chefs-d’œuvre, tant d’un point de vue dramaturgique que musical. Tous ces éléments lui sont propres et tournent le dos au passé. »
D’Alberto Moravia, resituant le personnage de Verdi dans le paysage culturel du XIXè siècle : « …D’origine ni noble, ni bourgeoise, mais paysanne, il n’a rien à accepter, ou refuser. Son génie n’est pas de ceux qui acceptent ou se révoltent, mais un génie qui s’identifie à ses propres créations et s’exprime par elles. Exubérant, explosif, passionné, l’art de Verdi n’est diminué par aucune prudence, ni dévié par aucune révolte. Tout au plus, est-il soutenu par une exceptionnelle, une instinctive astuce d’artisan. Verdi est « vulgaire », animé donc d’un humanisme populaire, face à l’esprit “petit-bourgeois“ alors en vogue. Et cette vulgarité est l’aspect le plus mystérieux et le plus problématique de Verdi. {…} Quant à ses personnages, ils nous intéressent encore aujourd’hui, parce qu’avant d’être des hommes du Moyen-Age ou de la Renaissance, ils sont surtout des hommes. »
Michel Grialou
Théâtre du Capitole – du 30 septembre au 12 octobre