Il n’est pas rare d’être conditionné avant d’aller voir un film. La connaissance d’un réalisateur, le thème abordé, le battage médiatique fait autour font que la projection pas encore entamée, on a déjà son petit avis sur la question.
J’admire profondément ceux qui s’assoient devant un écran dans un état d’esprit totalement neutre. N’y parvenant que très moyennement, j’aime autant en savoir le moins possible. Cela peut parfois jouer quelques tours. Se retrouver devant » Lana tâte le cuir « , porno amateur impliquant naine unijambiste et bande de Hells Angels (alors qu’on pensait suivre la destinée d’une ouvrière de la maroquinerie) peut procurer certains désagréments. Mais la plupart du temps, l’exercice est sans risque.
Autant vous dire que pour ce Under the skin, je ne savais pas à quoi m’attendre, ne connaissant rien du travail précédent de Jonathan Glazer. Du film que je me préparais à visionner, je n’avais qu’une vague impression, résumée par l’affiche.
J’étais donc partie pour une espèce de voyage interstellaire en compagnie de Scarlett Johansson. Je n’étais pas loin du compte (si l’on considère l’Écosse comme représentation de la galaxie).
Sur les routes luisantes de pluie du nord du Royaume – Uni, une jeune femme sillonne les rues au volant de son fourgon.
Si elle semble rouler sans but, ce n’est pas le cas. En réalité, elle est à la recherche d’une proie. De préférence masculine, seule et si possible démunie face à la gent féminine.
L’attirant de quelques mots, elle s’en délectera, un peu plus tard. Tout ici porterait à croire que la jeune femme est une simple tueuse, dîtes – vous cependant que la vérité pourrait se trouver ailleurs.
Si je vous en raconte aussi peu sur le film, c’est évidemment pour éviter les désagréments de l’état décrit quelques lignes plus haut.
Mais ce n’est pas la seule raison … Under the skin est un film dont l’attrait repose sur des éléments difficilement descriptibles, appartenant au domaine du sonore, de l’organique, du sensoriel. Tentez de vous en rapporter le contenu me semble bien difficile et ne pourra qu’effleurer ce que vous pourriez ressentir à sa vision. On va essayer quand même.
Dès le générique, le ton est donné. Lueurs dans le noir, images semblants provenir d’un ailleurs, tâches de lumière, pendant de longues minutes seuls des sons lancinants envahissent l’écran (des sons qui envahissent ? Si si, c’est possible). Le suite est à l’avenant, monde gris, sale (hormis les scènes plus » métaphoriques « ), personnages silencieux et cet énorme travail autour du son qui (presque à lui seul) crée l’atmosphère glacée, surnaturelle. On suit pas à pas cette dévoreuse d’hommes, le motard qui la talonne, l’envie, le désir qui montent chez ceux qui n’en reviennent pas de leur chance d’avoir été invités dans ce camion*, réalisant trop tard ce qui leur arrivent.
Under the skin n’a pas grand – chose à voir avec un long – métrage standard, on parlera plus certainement d’anomalie, de phénomène étrange flirtant avec le malsain.
Certains (et je ne leur jetterais pas tout à fait la pierre, Pierre) lui reprocheront son approche élitiste s’appuyant sur des ellipses tombant à pic pour éviter les explications, son côté freak show utilisant (de façon moyennement justifiée) un personnage difforme, son dernier tiers bien moins tendu que le reste, sa fin qui en dévoile trop.
Pourtant Jonathan Glazer ose des choses, aussi bien dans le cadre de la réalisation que dans la narration. Il propose un voyage intense et vraiment inhabituel au cœur de la psyché féminine, jouant sur l’inconnu et la (non) sexualité, utilisant l’iconique Scarlett Johansson aux dépens d’hommes n’opposant aucune résistance.
Masse de cheveux bruns, yeux charbonneux, blouson de fourrure bon marché, elle y incarne la prédation froide et calculatrice, mais aussi la fragilité et la détresse. Et trouve ici un des rôles les plus intenses de sa carrière.
Si vous allez voir Under the skin, sachez que vous vivrez un moment vraiment particulier. Alors, tenté(e) par l’expérience ?
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio
* : Lors du tournage, les types ramassés par Scarlett Johansson n’étaient pas de vrais acteurs mais de simples badauds, leurrés par l’actrice. Ce n’est qu’après avoir accepté l’invitation qu »ils découvraient la réalité du tournage.