Un film porté par deux comédiennes extraordinaires
D’une durée de 91’, le dernier long d’Anne Le Ny semble court. D’une part, ce timing, tellement habituel et presque standardisé il y a quelques années, est aujourd’hui devenu rarissime. D’autre part, l’affrontement entre deux tempéraments de comédiennes en tous points exceptionnelles ne laisse pas de subjuguer à l’écran.
Le scénario ne peut se résumer en deux mots car, sous son apparence de comédie sociale autour de l’éternel triangle amoureux (deux femmes, un homme), la réalisatrice et scénariste croque notre temps d’une façon assez vacharde. Pour le moins.
Marithé est formatrice dans un CFA. Son travail consiste à reconvertir professionnellement des personnes en difficultés. Seule dans la vie après un divorce, elle consacre tout son temps à cette noble tâche. Au cours d’un séminaire, elle croise Carole, une quadra comme elle. Sauf que cette dernière n’a pas forcément des problèmes d’argent ni d’emploi. Ses soucis relèvent plus de la psychanalyse que d’un autre domaine. Carole est la femme de Sam, un chef étoilé. Elle vit dans l’opulence, sert de goûteuse à son Vatel contemporain ainsi que de protocole dans leur magnifique restaurant. Il y a pire comme situation. Mais voilà, Carole ne comprend pas sa vie ni la signification de celle-ci. Atteinte d’eczéma nerveux inguérissable, elle s’est rendu dans ce CFA afin de tenter trouver un nouveau but à son existence. Le hasard va mettre Sam en présence de Marithé. C’est le nœud, original, et tout le pitch, de ce film. A l’encontre de toute déontologie, Marithé va manipuler Carole. Les deux femmes débutant une relation amicale, Marithé va comprendre que Carole a un amant. Et comme Sam ne lui est pas indifférent, pourquoi ne pas précipiter les choses. Quitte à servir d’alibi pour des virées coquines, voire falsifier des documents administratifs sensibles.
Si Roschdy Zem (Sam) est parfait dans un rôle finalement périphérique, force est de reconnaître combien Karin Viard (Marithé) et Emmanuelle Devos (Carole) sont superlatives dans leur rôle de femmes à la croisée des chemins. Magnifiquement dirigées, dotées de dialogues à la serpe, superbement photographiées, ces deux comédiennes irradient le film de tout leur talent. Un film qui ne fait pas l’impasse, au passage, sur l’état des lieux en matière d’aide à la reconversion lors d’une scène à hurler de rire, eh oui, dans laquelle Marithé tente, en vain, de faire dire à son ordinateur le profil professionnel de Carole. Une blague, certes, mais pour mieux souligner un vrai problème et les pseudos solutions proposées.
Une comédie au vitriol sur notre temps et sur l’illusion de nos relations. Un feu d’artifice infernal !
Robert Pénavayre
Anne Le Ny, la femme que l’on veut rajeunir
Voilà un sujet avec lequel Anne Le Ny ne plaisante pas. Pour des raisons mystérieuses, de nombreux sites internet la rajeunissent considérablement. Aussi profite-t-elle de la moindre interview pour ajuster le tir. J’ai 52 ans cette année ! Point barre. Nous sommes en 2014 et cette réalisatrice, actrice et scénariste d’origine bretonne, fille d’intellos communistes, signe et joue dans un quatrième opus d’une saveur toute particulière. Celle qui fut l’inénarrable gouvernante d’Intouchables en 2011 relit son Stendhal en boucle, doit se souvenir avec peut-être un brin de nostalgie de ses premiers pas de comédienne en 1986, mais dans tous les cas vit déjà à cent à l’heure son prochain film, une adaptation d’un roman d’Ivy Compton-Burnett qui traitera à la tronçonneuse d’une histoire d’héritage.