Après treize ans d’absence, les Innocents sont de retour ! Nouvel album en vue et, pour le roder, nouvelle tournée en duo (Jipé Nataf/Jean-Christophe Urbain, les deux guitaristes/chanteurs/compositeurs du groupe) qui n’a pas oublié, à l’approche de Noël (les Innocents avaient même commis un disque spectorien de chansons de Noël !), de passer par la ville en rock (faut le dire vite…) : Toulouse. Concert à la Dynamo le jeudi 19 décembre à 20h30 pour la très modique somme de 18 euros (si vous préférez voir Johnny pour 100 euros, à vous de voir…). En résumé, viendez-tous comme aurait dit le regretté Georges Marchais.
Comment est venu cette envie de rejouer ensemble avec Jean-Christophe Urbain ?
Jipé Nataf : On ne s’était pas vraiment perdu de vue. Il y avait eu la compile des Innocents, quelques apparitions scéniques communes, mais ce qui nous a réuni surtout ce fut mon deuxième album solo, Clair, où j’avais eu une démarche assez solitaire. Jean-Cri est venu m’aider à fignoler la fin de l’album, apporter un œil extérieur. Puis il y a eu ce concert à la Java parisienne où je devais jouer en solo et où il est venu m’accompagner, jouer sur mes nouveaux morceaux mais aussi quelques chansons des Innos (dont certaines jamais jouées sur scène comme « Danny Wilde ») ou des reprises (« State Trooper » de Springsteen, un morceau des Everly Brothers, un autre de Paul Simon)…
Quel est l’accueil du public pour cette nouvelle tournée ?
Jipé Nataf : Plutôt pas mal ! C’est un long break 13 ans mais c’est justement le temps idéal pour avoir envie de rejouer « L’Autre Finistère » ou toutes ces vieilles chansons… Là, c’est vraiment un plaisir ! On redécouvre nos chansons, on se dit qu’on a bien fait de s’être fait chier à les écrire à l’époque ! (rires) Et le public est étonnement varié niveau âge, y’a des gens de notre génération mais il y a aussi plein de gamins de 20 ans…
Il est question aussi d’un nouvel album…
Jipé Nataf : Au départ, on devait juste faire quelques concerts, puis notre ancienne maison de disque a parlé d’un coffret, et on s’est dit qu’on allait écrire un inédit. On a trouvé ça un peu mesquin et on est parti sur l’idée d’un EP. Et puis, de fil en aiguille, on est arrivé à un LP que nous avons commencé à enregistrer et qui sortira au printemps chez un beau label (Epic/Jive), enregistré avec Dominique Ledudal…
Retour au Garage ! C’est un grand ingénieur du son et un grand studio français dans lequel vous avez enregistré deux albums et votre premier superbe 45 tours « Pamela »…
Jipé Nataf : Tu sais, Jean-Cri est né à 50 m du Garage, et moi j’habite là depuis quinze ans… Les gens croient souvent qu’on est un groupe originaire de Rennes, de Lyon ou de Toulouse… alors qu’on est un pur groupe de titis du XXe ! Le Garage c’est notre Factory à nous, on se connaît très bien, on a grandi ensemble. On a hésité à prendre un producteur américain, mais on s’est dit qu’on avait un bel outil à portée de main, une belle connivence… Et, comme musiciens, on a retrouvé Bernard, Christopher et Michael à la batterie…
Michael reformera Baroque Bordello ensuite !
Jipé Nataf : (rires) Voilà ! Et, pour la tournée, on alternera formule groupe et formule en duo.
Je t’ai souvent entendu dire que les Innocents n’avaient pas eu un énorme succès : 150 000 exemplaires de « Jodie », 500 000 Fous à lier, 200 000 Post Partum (avec « Colore » et « Un Monde Parfait » sur toutes les radios), tu es un brin sévère, non ?
Jipé Nataf : On a pas été un phénomène de société non plus… On a été aussi la petite madeleine de Proust honteuse de plein de gens qui écoutaient qui du rap, qui du hard rock, et qui avaient un peu honte de l’avouer à leurs potes… C’est assez touchant. On a toutefois pas défrayé la chronique ni offert d’écrire pour des tas de gens. Après, oui, on a acquis un respect dans le monde des musiciens. Mais sur le plan médiatique ou du public, c’est pas la folie… si tu compares avec Téléphone, Indochine ou Noir Désir.
C’est vrai que votre dernier album, pourtant somptueux (c’est celui que je préfère), a été moins bien accueilli…
Jipé Nataf : C’est pour ça qu’on a splitté. Jean-Cri a été tellement déçu… On en a vendu que 30 000.
Vous auriez du le défendre sur scène…
Jipé Nataf : C’était aussi mon idée à l’époque. Il faut aller chercher les fans. Mais Jean-Cri était abattu, il pensait au contraire que cet album allait nous faire franchir un cap supplémentaire.
Est-ce que cet album n’était justement pas trop écrit et riche pour toucher un grand public plus attiré par des chansons FM à la production lisse ?
Jipé Nataf : J’adore ce disque mais il était sans doute un peu radical, sophistiqué et anglais dans sa production. Il y avait beaucoup d’arrangements, de voix, Christophe Conte des Inrocks avait même dit que c’était un peu notre album blanc…
C’est tout à fait ça.
Jipé Nataf : Mais il manquait peut-être le groupe pour le défendre puisque Jean-Cri était déjà parti dans sa tête. C’est un peu comme deux stars du foot dans la même équipe qui ne se font plus de passes, c’est difficile… En ce moment, c’est exactement l’inverse !
En réécoutant vos disques, je me suis demandé qui, hormis les Beatles bien sûr, vous avait influencé… J’ai pensé à XTC sur « Petite Flamme »…
Jipé Nataf : Oui, on a beaucoup écouté XTC à un moment.
C’était le cas aussi de L’Affaire Louis Trio. Tu aimais ?
Jipé Nataf : J’ai beaucoup aimé leur album Mobilis In Mobile [NDA : produit justement par le bassiste de XTC, Colin Moulding]. Après je n’aimais pas leur côté froid, très lyonnais, sur scène aussi. On est, y compris scéniquement, beaucoup plus punk que L’Affaire Louis Trio. Car je viens du punk. J’avais quinze ans en 1977, j’étais à Londres l’été de God Save The Queen, et j’ai commencé à jouer pour reprendre du Clash, les Dead Boys, Devo, les Buzzcocks… Mais ce qui nous rassemble avec Jean-Cri c’est aussi ce côté pop que j’avais déjà à l’époque en aimant des groupes comme Wire ou le Monochrome Set. On a gardé cette énergie-là, on est pas un objet froid, on est capable de faire un super concert le lendemain d’un concert pourri… On est un groupe de bar, pas pour jouer au Stade de France.
Vous êtes les Dr Feelgood français !
Jipé Nataf : Oui les Dr Feelgood pop ! (rires) Mais j’ai toujours aimé ces groupes de bar qui jouaient ainsi même dans les plus grandes salles : je pense à REM, aux Db’s… REM à Bercy, ça ressemblait à REM dans un club ! Mais j’aime aussi beaucoup la musique éthiopienne ou James Brown. Après, avec Jean-Cri, on fait une musique un peu à l’ancienne. J’écoute la radio et j’ai pas l’impression que des groupes français aient repris ce flambeau-là, j’entends toujours les 4 mêmes accords…
Il y a de bons groupes, comme Tahiti 80, mais ils chantent en anglais et ils touchent un moins gros public que vous malgré leurs évidentes qualités…
Jipé Nataf : Oui, pourtant ce sont de bien meilleurs musiciens que nous, les Tahiti m’impressionnent terriblement. Mais peut-être qu’à un moment les gens ont abandonné l’idée de travailler sur le son, sur une identité, à écrire une chanson comme le faisaient Kurt Weil, Cole Porter ou Gershwin. Tu as William Sheller qui fait encore ça. Ou McCartney et Paul Simon. On vient de cette école finalement très européenne. Je ne suis pas un fan absolu de McCartney mais je pense qu’on aime les mêmes choses, écrire une chanson autour d’une mélodie ou d’accords.
J’ai été surpris en réentendant « Des Jours Adverses » qui est une chanson engagée contre le racisme et sur les immigrés… Quelle est ta position sur l’engagement dans la musique ?
Jipé Nataf : Je n’aime pas m’engager à chaud. Il y a des moments où il faut descendre dans la rue sans faire de chansons, et d’autres où tu peux laisser retomber les choses, réfléchir et en faire une chanson. On avait fait aussi « Lésions Etrangères » qui était une chanson sur le SIDA. Mais c’est de la pop, faut que ça reste léger. On a fait deux ans avec les Enfoirés, on s’est senti très très mal, ce n’était pas nous. Pour moi, la chanson pop engagée idéale, c’est « Le Petit Train » des Rita Mitsouko [NDA : une chanson sur la déportation]. Ca doit pouvoir arriver sur le dancefloor. La musique, c’est exprimer des émotions (être riche, pauvre, amoureux, seul, etc.) et parler de la société dans laquelle on vit… Sur mon dernier album, tu as « Seul Alone » qui est aussi une chanson de colère…
J’ai pris une claque un soir sur Taratata en écoutant votre reprise du « Babooshka » de Kate Bush dans votre duo avec Jeanne Cherhal. C’en est où ce groupe de reprises ? On veut la suite !
Jipé Nataf : On en fait une de temps en temps. Mais on est tellement pris chacun de notre côté. Pourtant on habite à 10 m l’un de l’autre. Ça nous prend du temps parce qu’on arrange ça avec soin…
Ça pourrait déboucher sur un disque de reprises décalées comme celle-ci ?
Jipé Nataf : Je ne pense pas parce qu’on a essayé, et qu’un enregistrement aseptise un peu la complicité et le côté stand up, potache du truc. Mais on continuera, c’est sûr !
Bertrand Lamargelle
En concert le jeudi 19 décembre à La Dynamo
photo © Jill Caplan