Se replonger dans mon article d’annonce du spectacle
Le dernier succès bouffe de Donizetti a été pendant des décennies défiguré par des exécutions le transformant en une farce plus ou moins vulgaire, menée par des barbons davantage soucieux de faire les clowns que de chanter, des sopranos à la bouche “cul-de-poule“ et au timbre perce-oreille, et des tenorini, ou proches, des ténors légers, fatigués et sans âge, physiquement guère « attractive ». Adieu les mauvaises traditions avec cette production révélant le vrai visage d’un chef-d’œuvre à la fois comique et doux-amer où, pointant constamment derrière le rire, la mélancolie est toujours présente comme le vieil oncle célibataire ne se séparant jamais du portrait de sa chère mère, ou de ses peluches.
Voici donc un spectacle chanté, magnifiquement, joué avec plein d’à propos, dirigé avec vigueur et allant, et mis en scène avec goût, parsemé de quelques éléments loufoques… mais sans exagération. Stéphane Roche nous a évité le piège du gag à répétitions, le spectacle ne glissant jamais dans le grand guignolesque si redoutable. Mais j’avoue avoir préféré la gestion d’ensemble des deux premiers actes dans l’intérieur confortable d’une demeure un tantinet poussiéreuse, tout comme dans le décor de celui signé 1960 et quelques. Et j’ai un peu moins adhéré à certains costumes.
Gros avantage de la mise en scène : les décors permettent aux chanteurs d’être sur le devant de la scène, bien plus présents, et non pas confinés, comme cela peut se produire en d’autres cas, tout au fond. Ils jouent et chantent pour nous, et non pour les techniciens de plateau. Cela fonctionne sans accroc, et les changements de décor à l’acte I puis l’acte II s’effectuant avec fluidité. Mise en scène dans le droit fil d’une saine tradition, même avec les clins d’œil appuyés aux années 60 à Rome, et s’inscrivant fort bien dans le contraste voulu entre le lieu de vie de Don Pasquale et celui de deux générations plus jeunes.
Le numéro de Bécassine un brin demeurée pendant la présentation de “Sofronia“ est du meilleur effet. Mais Jennifer Black se refuse de faire de Norina une garce à 100% : ainsi, après avoir dans le feu de l’action giflé Don Pasquale, elle est aussitôt consternée par son geste. De plus, et comme il est précisé dans le programme, l’artiste est en correspondance totale avec « l’impérieuse nécessité d’une voix longue, souple et charnue dans son timbre et maîtrisant l’ensemble des registres. » Vocalement, l’écriture belcantiste est maîtrisée sans difficultés ce qui rend le jeu encore plus évident. Mission accomplie donc pour une jeune soprano pétillante et piquante à souhait.
Le duo Cheti, cheti, immantinente entre Don Pasquale et Malatesta se révèle comme un sommet de virtuosité, d’abattage et donc de technique pour les deux voix. A se demander à quel moment Roberto Scandiuzzi et Dario Solari respirent. Le premier réussit à chanter son rôle de bout en bout, et à nous faire adhérer totalement à son personnage. Ni ennuyeux ni vulgaire, attentif à la ligne “donizettienne “, il est aussi, drôle et émouvant. Quel métier, et quelle intelligence du rôle, et de la scène, et de la troupe ! Quant au second, le style belcantiste pour baryton est bien là, l’art de la vocalise évidemment, et, d’une très belle autorité scénique, il est un comédien parfait pour ce rôle de manipulateur.
Les exigences pour Ernesto sont redoutables. Le jeune ténor argentin Juan Francisco Gatell a un timbre qui dès les premières notes vous émeut tout en vous faisant craindre…le pire ! Mais on est vite rassuré et enthousiaste quand les pires difficultés sont surmontées avec assurance, aplomb même jusqu’au bout de l’ouvrage. Le timbre est clair, l’aigu facile et brillant, c’est le tenorino dont le terrain d’élection est bien l’opéra-comique italien. Les rôles que ce chanteur pourra aborder ne seront pas aussi étendus et nombreux que le créateur du rôle, mais ils sont suffisants pour un très beau début de carrière, son physique lui facilitant en plus la tâche. Quel bel avenir !
Au bilan, un très beau quatuor vocal, un orchestre sans faille, le tout mené par la direction rigoureuse et enlevée du chef Paolo Olmi, des interventions du chœur toujours aussi respectueuses de l’ensemble, une mise en scène au service d’abord de l’œuvre, que demander de plus ?
C’est une fort belle nouvelle production.
Michel Grialou
Jusqu’au 30 avril.
photos : Patrice Nin