CRITIQUE, festival. 46eme FESTIVAL PIANO AUX JACOBINS. Cloître des Jacobins, le 4 septembre 2025. Jean Sébastien BACH : Variations Golberg. Fazil SAY: Yeni hayat (nouvelle vie), 4 balades Kara Toprak « terre noire». Variations Jazz; Fazil Say, piano.
Une ouverture festive pour le 46ème Festival Piano aux Jacobins.
La 46ème édition du prestigieux Festival de piano a été confiée à Fazil Say qui reste un trublion dans le panorama du piano classique. En effet le pianiste turc reste un enfant terrible car il joue de moins en moins le répertoire, compose de plus en plus et joue ce qu’il compose.
Ce soir il a construit pour Piano Jacobins un concert sans entracte nous faisant passer de l’Alpha à l’Omega du piano. A savoir que les Variations Goldberg de Bach sont l’une des œuvres les plus jouées et les plus enregistrées des œuvres pour clavier de Bach. Les pianistes se sont emparés de ce monument avec bonheur quand les clavecinistes ne le font pas moins. Pour un pianiste ces variations représentent un Himalaya qu’ils gravissent dès qu’ils le peuvent et enregistrent parfois très (trop) ?) tôt. Fazil Say les a gravées en 2023. Il les a travaillées durant la période covid. Son enregistrement, très sérieusement fait, est très apprécié du public comme de la critique. Ce soir dès l’Aria nous remarquons qu’il a considérablement évolué en enrichissant de trilles et de grupetti la mélodie si pure de l’exposition. C’est très délicat et original. Ce qui frappe également dès cette exposition c’est l’extraordinaire dynamique des nuances qu’il tire de son piano. Le début est pianissimo mais à plusieurs reprises Fazil Say ira vers le fortissimo, réservant toutefois des nuances encore plus puissantes à la polyphonie majestueuse pour certaines variations. Chaque variation a sa personnalité et Fazil Say semble parler à quelqu’un. Ses gestes du bras ou de toute le corps dessinent des arabesques. Ces courbes souples sont dans son jeu. Le chant continu dans cette œuvre si variée est systématiquement magnifié par l’interprète. De même, les éléments dansants sont toujours souplement joués. Tout cela est très personnel et très beau. Par moments il y a comme une manière d’improviser les variations sur le chant. Cette liberté et cette souplesse qui irriguent l’interprétation de Fazil Say permettent de rêver en écoutant son interprétation très fouillée. Après cette œuvre baroque emblématique le compositeur virtuose va nous proposer des œuvres de sa composition.
Ne prenant que quelques minutes Fazil Say enchaîne avec sa musique dans état de transe.
Yeni hayat (nouvelle vie) sonate pour piano op 99, est une pièce intense dans laquelle le pianiste compositeur utilise des effets sur les cordes à main nue comme un piano préparé. Cela évoque la cithare, le cymbalum. La richesse du jeu et la concentration extrême de l’interprète nous entrainent dans un monde musical intense.
Les 4 balades Kara Toprak « terre noire » sont bien plus dramatiques et effectivement par des effets sur les cordes à main nue, le tonnerre et des tremblements de terre s’invitent. Indéniablement le compositeur utilise toutes les possibilités de l’instrument et l’interprète est vraiment virtuose. Nous renouons en quelque sorte avec les virtuoses compositeurs comme Bach, Mozart, Beethoven, Liszt ou Rachmaninov. Et justement c’est le fameux thème de Paganini repris par Rachmaninov dans des subtiles variations qui servira de départ à la partie Jazz. C’est brillant, virtuose et on devine que Fazil Say improvise avec malice. Évidemment le charme de la mélodie de Summertime reste intact, et la Marche Turque de Mozart se déhanche et se contorsionne mais reste reconnaissable. C’est de la très belle musique et du grand piano que nous a proposés ce pianiste inclassable. La standing ovation du public dit bien l’impact de cet artiste.
La 46ème saison de Piano aux Jacobins débute de manière festive et intense. Ce récital nous rappelle que le jazz a une belle place dans la programmation de Piano aux Jacobins. Ainsi d’autres belles soirées sont à venir que nous partagerons.
Hubert Stoecklin
Photos : William Wartel
Critique écrite pour Classsiquenews.com
Fazil Say dans L’aria des variations