Alors que l’automne entrouvre doucement la porte, la trêve estivale se défile et les scènes toulousaines se préparent au lever de rideau de la rentrée. Parmi elles, le théâtre Garonne, où une nouvelle ère s’ouvre, sous l’égide du scénographe Aurélien Bory. Cette saison, l’artiste sort des coulisses pour incarner au grand jour son rôle de directeur du lieu culturel. Rencontre.

Aurélien Bory © Aglae Bory
Culture 31 : Après une année d’observation, vous vous apprêtez à faire votre deuxième rentrée en tant que directeur du théâtre Garonne. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle étape ?
Aurélien Bory : À mon arrivée en septembre, il y a un an, la saison avait déjà été programmée, à l’exception du mois d’avril. Cette première année m’a permis d’observer et d’adapter mon projet à l’existant ; tout en commençant à initier des choses dans le cadre du temps fort d’avril avec la compagnie catalane cabosanroque et surtout, à tester l’idée des «Avant-premières Avant Avignon », un programme inédit qui présente des spectacles dont on accueille les avant-premières sur les derniers jours de répétition, pour confronter les créations une première fois au public, avant la première représentation prévue au Festival d’Avignon. Ce programme a très bien marché, du point de vue de l’accompagnement artistique ainsi qu’avec le public. Je suis très heureux de pouvoir reconduire ce programme en juin 26.

« Essai » © cabosanroque / théâtre Garonne
Cette saison à venir comporte moins de spectacles qu’auparavant. Quels facteurs motivent ce choix ?
Le but est de les accueillir plus longtemps. Finalement, l’offre reste la même. Il y a moins de titres, mais il y a plus de représentations par titre. L’idée est de redonner du sens dans le partage des œuvres avec le public. C’est-à-dire qu’avec du temps, on augmente la présence artistique sur le territoire et donc la possibilité de rencontres.
Par ailleurs, la moitié des artistes programmés cette saison viennent pour la première fois. Est-ce une manière d’affirmer une volonté de renouvellement et de découverte ?
Absolument. C’est à la fois une volonté de renouveler et, puisqu’il s’agit de la moitié, de conserver ce lien avec ceux appartiennent déjà à l’histoire du théâtre Garonne. C’est vraiment comme ça que j’envisage les choses. Je suis aussi venu au théâtre Garonne parce que j’aimais sa ligne artistique et ce qu’il bâtissait avec les artistes. Donc il est naturel pour moi de continuer avec certains artistes déjà venus et de s’ouvrir à des artistes dont c’est la première fois au Garonne.

© Koen Broos
Accompagnée depuis longtemps par le théâtre Garonne, la compagnie belge DE HOE présentera la version française de son spectacle « Opening Night » au ThéâtredelaCité en fin d’année.
D’autre part, le public ne retrouvera plus de spectacles purement musicaux, à l’exception des représentations du collectif Baraque à Free. Comment définiriez-vous la nouvelle place de la musique dans la programmation ?
Il y a beaucoup d’artistes qui travaillent avec la musique. La musique sera présente dans le geste théâtral ou dans le geste chorégraphique. Mais il a fallu faire des choix et il y aura effectivement moins de concerts cette saison.
Cette année, vous proposerez la première édition du festival Scéno. Quelle est l’essence de cet évènement ?
Je suis scénographe moi-même et j’avais constaté qu’il n’existait quasiment aucun évènement ou festival basé sur la scénographie. Alors que la scénographie est le premier geste, la première promesse du théâtre. Il faut, pour qu’il y ait théâtre, inventer un espace ! L’idée, c’est d’inviter des artistes qui sont certes scénographes, mais aussi metteurs en scène, chorégraphes, et généralement auteurs de leurs propres spectacles. C’est de faire une programmation spécifique avec des artistes qui ont donc un rapport à l’espace très particulier, très singulier. Et puis aussi de provoquer des rencontres et des discussions autour de cette question de l’espace.
C’est un festival que j’aimerais développer et partager plus largement à Toulouse. Aujourd’hui, le ThéâtredelaCité est associé à cette première édition et j’espère en associer d’autres. Alors pour l’instant, c’est un temps fort, plus qu’un festival, mais je l’appelle festival parce qu’il a vocation à grandir.
Il y aura quatre spectacles et une installation. L’installation qui sera exposée durant les quinze jours de SCÉNO, est celle d’une artiste plasticienne, qui est aussi scénographe et qui fait de ses scénographies une œuvre plastique. Il s’agit de Ulla von Brandenburg. Nous l’accompagnerons durant trois ans, en partenariat avec le musée des Abattoirs. Les trois premières éditions de Scéno seront marquées par le regard de cette artiste.
Comme mentionné, vous êtes scénographe avant d’être directeur. En quoi votre regard d’artiste nourrit-il votre approche de la direction d’un théâtre ?
Je dirais dans cette question de l’espace. Un théâtre, c’est un lieu avant tout ! Or, le théâtre Garonne est un lieu très inspirant. Dans l’histoire du théâtre, il y a souvent eu l’invention d’un lieu. Il y a par exemple la démarche de Peter Brook, qui à chaque fois cherchait des espaces non dédiés pour en faire des théâtres, ou d’autres aventures de grands artistes qui ont à chaque fois repensé l’espace. Je pense que, dès la naissance du théâtre, on a dû penser l’espace. Il y a un lien avec mon regard d’artiste sur cette question là, et c’est très intéressant de la partager avec le public. C’est un des fondements du théâtre !

© cie L’Immédiat
Le dispositif Relax propose un accueil inclusif aux personnes dont le handicap peut entraîner des comportements « atypiques » pendant la représentation. Première séance le 5 octobre 2025 avec le duo Camille Boitel et Sève Bernard.
Au-delà de ce lieu qu’est le théâtre Garonne, vous avez intitulé la saison « Ouvrir le paysage ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour vous ?
Scéno est un bon exemple. « Ouvrir le paysage », c’est s’ouvrir à d’autres artistes qui viennent d’autres endroits et qui provoquent – c’est aussi intéressant – de nouvelles collaborations. Cette nouvelle collaboration avec le musée des Abattoirs, c’est très excitant pour moi. Et ouvrir le paysage, c’est ce que représente l’acte de création. Il ouvre toujours. Il se situe à la lisière des choses et ouvre un accès vers un endroit presque inconnu, soit de nous-mêmes, soit du monde… « Ouvrir le paysage », ça voulait aussi dire : « j’arrive, donc on réenvisage un petit peu les choses ». Ce théâtre a été fondé puis dirigé par un même directeur pendant 35 ans. Là, je suis le premier autre directeur !
Et puis il y a aussi cette idée que le théâtre Garonne s’envisage complètement dans son écosystème. D’une part dans son écosystème toulousain, puisqu’on est en partenariat sur la programmation avec de nombreux acteurs culturels toulousains. Mais il y a aussi une inscription dans son écosystème à l’échelle régionale, nationale et internationale. Notre souhait est de faire les choses ensemble et de s’inscrire dans une logique de réseau, de mutualisation, et de développement. C’est comme ça qu’on mène des projets. Mon but, c’est évidemment que le théâtre Garonne participe activement à l’écosystème de la création en France.

© Luc Jacquin
Ouvrir le paysage signifie aussi proposer des créations singulières, s’ouvrir à de nouveaux artistes. Sur cette image, « La Brande » d’Alice Vannier et la Cie Courir à la Catastrophe.
Qu’aimeriez-vous que l’on dise du théâtre Garonne à la fin de la saison 2025/2026 ?
Je pense que ce qui est important, du côté du public, c’est le plaisir de venir découvrir de nouvelles choses. Mais ce plaisir, il naît d’autres choses aussi. Il naît des œuvres qu’on vient découvrir, mais aussi de l’état d’esprit avec lequel les choses se font. Et l’état d’esprit du théâtre Garonne, c’est d’être un théâtre d’artistes. C’est-à-dire un théâtre où les artistes créent, sont en résidence, répètent, rencontrent le public, présentent leurs œuvres… C’est ça que j’ai envie qu’on dise à la fin de la saison. Je pense qu’une œuvre peut changer, nous change à l’intérieur. Les œuvres sont comme des rencontres. On a besoin que notre imaginaire et que notre être entier soit stimulé, soit troublé. C’est ce qui m’intéresse, de présenter des œuvres stimulantes qui viennent, d’une certaine manière, nourrir notre imaginaire.
Propos recueillis par Inès Desnot