Le vendredi 11 avril, Madame Anne Hidalgo, Maire de Paris, a inauguré la passerelle Jim Morrison dont le Disquaire Day fut à l’origine de la demande de dénomination. Suspendue au-dessus du bassin de l’Arsenal, elle relie les 4e et 12 e arrondissements. Cette inauguration est une reconnaissance symbolique pour l’icône du rock et leader charismatique de The Doors, dont l’héritage musical et artistique continue d’inspirer des générations entières dit le communiqué de presse.
Cet événement revêt une signification toute particulière, alors que 2025 marque le 60e anniversaire de la formation de son groupe mythique The Doors à Los Angeles, en Californie. Bien sûr, merchandising oblige, un vinyle « inédit », un de plus, a été également mis en vente le 12 avril chez les disquaires.
Au-delà de l’idole que même les jeunes générations écoutent encore, il ne faut pas oublier que Jim fut avant tout un grand poète.
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, Douglas James Morrison, était le fils révolté, et renié, d’un amiral américain, un brillant diplômé section Cinéma de l’Université de Californie à Los Angeles, à la culture littéraire très encyclopédique. On sait que suite à sa rencontre avec le musicien Ray Manzarek, il est devenu, presque par hasard, une rock star à tête d’ange, à la voix de baryton et à la gestuelle fascinante, sous le nom de Jim Morrison. Mystique à sa manière anticonformiste, il avait donné à son groupe ce nom, The Doors–Les Portes, par allusion à William Blake, grand poète mystique anglais: « Il y a des choses connues et d’autres qui ne le sont pas; entre les deux, il y a les Portes. »
Il fut a shooting star comme disent les Anglo-saxons, une étoile filante.
Ayant mené une courte vie très rock-and-roll (27 ans seulement), idolâtré par ses fans, tabassé sur scène par des flics qui ne supportaient pas sa liberté de parole, fiché par le FBI comme « dangereux terroriste » parce qu’il demandait l’arrêt de la guerre du Vietnam et encourageait son public mâle à la désertion, trainé en justice pour des « outrages à la pudeur » fantasmatiques par des juges réactionnaires, pris dans l’engrenage du show-business où les concerts aux quatre coins du monde s’enchainaient sans répit entre deux avions, détruisant son image de beau gosse par l’alcool, Jim Morrison est venu mourir à Paris sur les traces de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud etc.
La capitale française fut le théâtre de ses dernières inspirations avant sa disparition en 1971. Son aura plane toujours sur la ville, notamment au cimetière du Père-Lachaise où sa tombe est devenue un lieu de pèlerinage – qui déborde (pas toujours « proprement » au sens premier) -, sur les sépultures voisines, pour les fans du monde entier. Je me souviens lors de ma dernière visite en 2021 d’avoir vu entre deux tombes voisines trois militaires (ou paramilitaires) en uniforme et béret bleu se faire « faire un pompier » par leurs « copines » en chantant d’une vois avinée « Come on baby, light my fire – Viens bébé, allume mon feu » (qui n’a pas été écrite Morrison mais par Robbie Krieger, le guitariste du groupe, soit dit au passage.)
Considéré aujourd’hui comme l’un des grands poètes américains du XXe siècle, et enseigné dans les Universités américaines, il a pleuré, selon Hervé Muller, journaliste de Rock & Folk, le jour où son premier recueil de poésie, « Seigneurs et nouvelles créatures », imprimé à compte d’auteur, a été publié en 1970, dans l’indifférence générale:
Je serai toujours un homme de mots
Plus qu’un homme-oiseau.
Ses poèmes, souvent très courts comme des haïkus, et visuels, cinématographiques même, avaient un caractère surréaliste, hallucinatoire et tragique, convenaient parfaitement à la musique de son groupe: par exemple Horse Latitudes Aux Latitudes du Cheval, écrit adolescent, déclamé de façon théâtrale (il avait beaucoup appris de Julian Beck metteur en scène du Living Theater (1), qui raconte comment, au XVIIIe siècle, les bateaux à voile, passant le Cap de Bonne Espérance, par temps plat, immobilisés par le manque de vent, larguaient les chevaux par-dessus bord pour essayer de repartir.
When the still sea conspires in armor
Quand la mer tranquille conspire en armure
Et que, maussades et avortés,
Ses courants engendrent de minuscules monstres
Les voiles connaissent la mort
Et le premier animal est jeté à la mer
Les pattes pompant furieusement
Leur galop vert
Et les têtes se redressent brusquement
Vaincues
Délicates
Pause
Consentement
Dans l’agonie muette des naseaux
Soigneusement purgés
Puis scellés »
Mais ses chansons recèlent aussi des vers comme ceux-ci:
Perdus dans un désert romain de souffrance…
Catacombes, ossements de maternelle…
Femmes d’hiver qui font germer des pierres…
Avenues où rampent les voitures
Toutes farcies d’yeux…
Cavaliers de cuir qui vendent des fausses nouvelles…
J’imagine aujourd’hui ce qu’il aurait pu écrire s’il avait vécu plus longtemps !
J’ai eu la chance en 1968, à 19 ans, de le voir sur scène avec les Doors à la Roundhouse de Londres aujourd’hui disparue, psalmodiant ses poèmes avec de longues pauses prégnantes, dans une sorte de transe chamanique, sur une musique hallucinatoire; c’e fut une expérience inoubliable; encore plus pour quelqu’un dont le père n’écoutait que du Wagner…
Les Beatles et The Who avaient déjà été ma révolution musicale et m’ont aidé à sortir de mon carcan familial et social d’avant 1968 où il était interdit d’embrasser une fille dans la rue et bien sûr d’avoir des relations sexuelles avant le mariage (les filles enceintes et/ou filles-mères étaient stigmatisées, répudiées par leurs familles, renvoyées par leurs employeurs), de contester la société de consommation, le patriarcat, le paternalisme et la plupart des institutions et valeurs chrétiennes, encore moins la politique autoritaire du Général Frappart qui s’ingéniait à faire oublier le grand Résistant qu’il avait été (Léo Ferré).
Jim Morrison a bouleversé ma vie, mais c’est une autre histoire que je raconte sur scène avec mon guitar-hero Serge Faubert dans Mes Poètes du Rock; je lui ai consacré ma dernière mise en scène de théâtre Le Tramway Bleu en 1984 au Théâtre des Mazades. Déjà en 1980, dans Fedaykin Rock, je récitais ce poème (très « passable », paraphrasant les titres de ses chansons) que j’avais écrit le 10 août 1971 à Paris quand j’avais appris sa mort tragique:
JIM MORRISON
(L’ARCHANGE AUX AILES ARRACHÉES)
Parmi les gens étranges
Tu hurlais à la vie
Dans la cuisine du cœur
Tu priais l’Amérika
Mais elle ne t’écoutait pas
Les Indiens écrasés
Par les cars farcis d’yeux
Ont inondé de sang
Ton écran fantastique
Mais toi seul les voyait
Tu rêvais d’exorcisme
Dans ton jeu d’alchimiste
Perdu dans l’orage magnétique
De ton théâtre-météo
Mais autour de toi ils firent le désert
Toi l’enfant sauvage
Le fils du shaman bleu
Tu as fait trembler
Les murs de la cité
De ton cri originel
Tu voulais revenir
Dans la forêt profonde
Parmi les temples en ruines
De ton peuple oublié
Mais la garce du XXe siècle
A coulé ta pirogue de cristal
Œdipe moderne
Tuant le père
Violant la mère ensuite
Qui buvaient la vie douce
De leurs enfants-vietnam
Tu t’es enfui par le métro
Terminus Père Lachaise
Pax Américana
Tout a été nettoyé
Archange fracassé
Ils t’ont arraché les ailes
Mais dans mes châteaux cathares
Je t’entends souvent chanter le soleil.
On t’appelait Jim Morrison
Prince Dragon crucifié
Sur l’autel aseptisé
Du fantasme américain.
Il faut écouter bien sûr (si vous ne l’avez déjà fait) toutes les chansons des Doors parues de son vivant (pas les fonds de tiroir), de The end :
à Riders on the storm :
en passant Roadhouse Blues :
mais aussi lire les recueils de poèmes qu’il nous a laissé (2).
Même ceux où il avait la prémonition de sa mort jeune; quitte à en être ému jusqu’aux larmes.
Savez-vous la pâleur
Et les frissons impudiques de la mort
Qui vient à une heure étrange
Sans être invitée
Sans être annoncée
Comme un autostoppeur trop amical
Qu’on aurait pris dans sa voiture
Sans méfiance (bis)
Nous sommes des passagers de la tempête…
Dans ce monde nous sommes jetés
Comme un chien sans os
Comme un acteur de remplacement
Nous sommes des passagers de la tempête…
Annulez mon abonnement à la résurrection,
envoyez mes références aux maisons de détention,
j’y ai quelques amis.
Le visage dans le miroir ne s’effacera pas,
la fille à la fenêtre ne s’effondrera pas.
Un festin d’amis cria-t-elle
m’attend dehors…
Avant de sombrer dans le grand sommeil
je veux entendre, je veux entendre
le cri du papillon…
So long Jim et thanks a lot.
Pour en savoir plus :
1) Julian Beck (1925-1985)
2) bibliographie non exhaustive :
Jim Morrison Seigneurs et nouvelles créatures*
Jim Morrison Une prière américaine et autres écrits*
Jim Morrison Arden lointain*
Jim Morrison Wilderness*
Hervé Muller Jim Morrison au-delà des Doors (Albin Michel-Rock&Folk)
Jerry Hopkins-Daniel Sugerman Personne ne sortira d’ici vivant*
Wallace Fowlie Rimbaud et Jim Morrison (Editions Hors Commerce)
* (Editions Christian Bourgois)