Jusqu’au 31 août 2025, le Castelet de Toulouse ouvre ses portes à Tatouages et Prisons, une exposition gratuite qui dévoile plus d’un siècle de tatouages carcéraux. Entre fresques, photos et concerts, elle interroge l’art derrière les barreaux et invite à voir l’enfermement autrement.
Les murs du Castelet ne parlent pas : ils crient des vies brisées et recomposées, celles des prisonniers, et tendent une aiguille invisible pour graver leur écho, ceux des tatouages, dans la mémoire des visiteurs.
Quand les murs s’encrent de révolte
Le Castelet, vestige administratif de la prison Saint-Michel (laquelle n’est évidemment pas accessible), ouvre ses portes ce printemps et cet été pour Tatouages et Prisons. Cette exposition gratuite, dont l’encre coule jusqu’au 31 août, plonge dans 150 ans de pratique clandestine. Fresques et dessins bruts au crayon retracent les tatouages du milieu carcéral français, des années 1870 (la prison du Castelet étant sortie de terre en 1872) à nos jours. Conservées par les criminologues des services d’identification judiciaire, des photos en noir et blanc dévoilent des torses d’incarcérés, marqués par des croix ou des serpents, stigmates d’un défi aux matons, à l’institution carcérale et judiciaire, à la société plus généralement. Les « paños » mexicains, nés dans les cellules texanes des années 1940, exposent sur mouchoirs les dess(e)ins de la survie des Chicanos. Dr. Lakra, artiste venu du Mexique, détourne des objets trouvés comme les poupées, lesquelles sont recouvertes par ses soins de tatouages maoris ou aztèques ; ou de vieux magazines, avec des motifs à la symbolique des gangs mexicains.

Oeuvre de Dr Lakra, artiste mexicain exposé au Castelet pour l’exposition « Tatouages et Prisons » © Dr Lakra / William ALIMI
Marie Delanoë, directrice des monuments historiques pour la Mairie de Toulouse, voit dans le Castelet un lieu unique : « c’est un espace mémoriel qui promeut l’histoire de la prison et des résistants fusillés sous la Gestapo. » Le bâtiment, avec sa brique rose et son allure néo-castrale, porte la mémoire de l’histoire toulousaine ainsi que celle des tatouages emprisonnés. Selon Geoffroy Plantier, co-commissaire de l’exposition, « les prisonniers se tatouaient eux-mêmes, au péril de leur vie, pour appartenir à la farouche confrérie des réprouvés », citant le poète Jacques Yonnet, dont les mots sont également illustrés lors de la visite. Durant cette exposition, sont aussi prévus des ateliers tatouages, des concerts et des conférences qui promettent un programme encré et ancré dans ce milieu quelque peu caché.
L’art qui perce les barreaux
L’exposition ne se fige pas dans le passé. Elle tisse un pont avec le présent. Inocent Kidd est un tatoueur professionnel et contemporain colombien formé en prison. Giuseppe Di Vaio capture en photos les tatouages des mafieux napolitains. Moolinex livre des toiles d’art brut et enseigne son expertise à des détenus. Ses vestes brodées de patchs tatoués font particulièrement mouche. Par ailleurs, les symboles d’antan – lames, poignards, moteurs de radiocassettes (pour tatouer, c’est étonnant !) – irriguent aussi l’art moderne.

Paños (dessins au crayon sur mouchoirs) de prisonniers mexicains au Castelet © Le Castelet / William ALIMI
« Les prisonniers font des choses extraordinaires, malgré l’interdit. », affirme Geoffroy Plantier. Sa collègue co-commissaire et artiste exposée Debby Barthoux considère qu’avec « le mouvement punk, les tatoués ont arrêté d’avoir honte de porter des tatouages. ». Selon cette dernière, Ils ont pu défendre des revendications politiques et sociales.
Le Castelet est accessible à tous. « On veut laisser gravée l’histoire des illustres passés par la prison, comme Marcel Langer (résistant guillotiné en 1943) », insiste Marie Delanoë. L’entrée libre et les bas tarifs pour les visites guidées (trois euros) incarnent cet « ADN d’ouverture qu’on souhaite offrir de l’univers carcéral au public épris de citoyenneté, de patrimoine, d’amour, de République », énumère Marie Delanoë.
Sous les murs du Castelet, l’encre des réprouvés ne sèche jamais. Brûlante, elle grave une histoire qui sort de l’ombre des barreaux, entre révolte et art viscéral.