Au milieu des lumières qui scintillent dans toutes les rues de la ville, le Ballet National du Capitole nous offre en ce temps de fête un étincelant feu d’artifice !
Trois artificiers de légende étaient aux commandes pour cette soirée : Serge Lifar, Jiři Kylián et Jerome Robbins. Trois couleurs pour ces éclats de lumières qui ont embrasés le théâtre.
La Beauté absolu de « Suite en Blanc », l’Humour dévastateur de « Sechs Tänze » et le Burlesque fou de « The Concert », voilà ce qui a ravi le public le soir de cette première du 21 décembre.
Dans les plus de quatre-vingts ballets que créa Serge Lifar, Suite en Blanc est certainement l’œuvre la plus emblématique entre toutes, celle qui ouvrit la voie au « style néoclassique » donnant de nouvelles lettres de noblesse à la danse française, alliant romantisme et innovations, grâce et technique. Ballet sans arguments, Suite en Blanc est une « pièce de danse pure » selon le chorégraphe, sans pantomime, une véritable réussite plastique.
Lorsque le rideau s’ouvre sur le tableau des danseurs disposés sur la scène dans une symphonie en noir et blanc, un frisson parcourt le public et donne le ton de ce qui va suivre. Vont s’enchaîner alors trio, duo, solo et adage sur la délicieuse musique de Namouna de Lalo. La Sieste met en scène trois danseuses, ennuagées de tulle, qui rivalisent de grâce dans un ensemble parfait. Sofia Caminati, Nina Queiroz et Haruka Tonooka ont parfaitement saisi l’esprit Lifar. Leur bras sont des lianes qui ondulent selon la ligne mélodique. Suit un pas de trois qu’introduisent brillamment Philippe Solano et Kleber Rebello, à la technique et synchronisation parfaite, pour accueillir Nancy Osbaldeston, qui nous donne à voir des attitudes impeccables d’équilibre. Tiphaine Prévost nous offrait, quant à elle, une Sérénade à la technique virtuose, que la danseuse maîtrise pleinement. Le Pas de Cinq déroule ses tours et ses arabesques dans lesquelles Kayo Nakazato excelle. Natalia de Froberville, toute en musicalité, nous envoute avec une très délicate, sensuelle et élégante Cigarette, alors que Ramiro Gómez Samón nous démontre l’étendue de son talent dans la Mazurka où pirouettes et sauts s’enchaînent de la plus fluide des manières. Pour l’Adage Alexandra Surodeeva et Rouslan Savdenov dansent en parfaite osmose. Leurs bras oscillent, les corps s’inclinent, dans un même geste, les portés s’envolent. C’est un pur moment de danse, qu’Alexandra prolongera dans la Flûte. Nous retrouvons toute la Compagnie dans un Final étincelant, bouquet final de ce feu d’artifice de la danse où les fouettés de Natalia de Froberville et la diagonale des coupés-jetés des garçons soulèvent l’enthousiasme du public, enthousiasme qui ne faiblira pas quand se mettra en place le tableau final, rappel de l’ouverture de rideau, une précieuse symphonie en noir et blanc, avec en première ligne toutes les valeurs sûres du Ballet du Capitole.
Toute autre est l’atmosphère de Sechs Tänze de Jiři Kylián, ballet humoristique et loufoque où 13 danseurs perruques poudrées pour eux et corsets pour les danseuses échevelées, grimacent, sautent et tombent à l’envi. Dans une suite de saynètes où se mêlent l’absurde et la grivoiserie parfois, les danseurs s’en donnent à cœur joie, distillant un humour grinçant, cascadant de sauts en chutes pour la plus grande joie des spectateurs. La grammaire classique est ici détournée par l’exagération des figures qui en fait tout le sel. Que dire des interprètes ? Tous jouent le jeu avec un entrain, une vivacité et un enthousiasme communicatif, tant est si bien qu’il est difficile d’en nommer l’un plutôt que les autres. Le public ne s’y trompe pas, qui les acclame longuement.
La soirée se terminait avec une entrée au répertoire : The Concert de Jerome Robbins. Sur les musiques de Chopin, le chorégraphe s’amuse à nous présenter les spectateurs d’un concert en caricaturant chacun d’eux. De la ballerine évaporée délicieusement interprétée par Natalia de Froberville, à la chipie agressive de l’étonnante Tiphaine Prévost ; du couple infernal de Nina Queiroz et Ramiro Gómez Samón qui démontre, avec un exceptionnel brio, ses talents de comédien à Baptiste Claudon et Minoru Kaneko hiératiques et timides, tous s’impliquent avec un réel sens de l’humour. Vient ensuite l’inénarrable Mistake Waltz, un condensé d’humour et de loufoquerie où les six interprètes excellent. Le final reste dans cette veine burlesque et la folie éclate sur scène à la grande joie du public dont les rires ponctuent tous les moments comiques qui se déroulent sur scène. Il reste à saluer la performance de Yannaël Quenel, l’habituel pianiste du Ballet du Capitole, qui pour l’occasion a revêtu l’habit du concertiste classique, qu’il peut être, qu’il est. Outre sa brillante interprétation de la musique de Chopin, il fait preuve du même superbe sens théâtral que les danseurs. La fin du spectacle venue, le public a fait une ovation de plusieurs minutes. Et l’on peut comprendre qu’après ces moments de beauté, de bonheur, et surtout de rires, le public manifeste sa joie pour ces deux heures où tous les sombres nuages qui envahissent notre monde ont laissé place à la belle lumière de la musique et de la danse.
Annie Rodriguez
une chronique de ClassicToulouse