À Toulouse, la nouvelle saison lyrique de l’Opéra national du Capitole met à l’affiche huit ouvrages, dont trois entrées au répertoire et une création contemporaine.
Développant depuis plusieurs années un projet artistique et culturel ambitieux et ouvert à tous, le Théâtre du Capitole réunit à Toulouse un chœur de 45 choristes, une maîtrise et un ballet de 35 danseurs. Il accueille également dans sa fosse l’Orchestre national du Capitole pour ses productions lyriques et chorégraphiques. Dotée d’ateliers de décors, costumes et perruques, la maison toulousaine d’opéra conduit par ailleurs diverses actions éducatives et culturelles en direction de tous les publics. Considérant que les conditions étaient en présence, Toulouse Métropole, tutelle financière de l’établissement, a donc souhaité demander l’obtention du label «Opéra national en région» qui a été accordé par le ministère de la Culture.
Inscrit depuis le début de cette année dans un réseau de six structures hexagonales dotées de ce label, l’Opéra national du Capitole bénéficie donc pour une durée de cinq ans d’une augmentation de ses subventions versées par l’État, mais aussi par la région Occitanie – qui compte un autre «opéra national» sur son territoire, celui de Montpellier –, en échange du respect du cahier des missions et des charges (création, production, diffusion au public le plus large) établi par le Ministère de la Culture. Parmi les huit ouvrages à l’affiche de la nouvelle saison lyrique toulousaine, on compte trois entrées au répertoire et une création contemporaine. Quatre de ces ouvrages sont en langue italienne, deux en langue allemande, un en langue anglaise et un en langue tchèque – l’absence inhabituelle du répertoire français s’explique par les reports induits par la crise sanitaire.
Imaginé par Christophe Ghristi, directeur artistique, ce programme prometteur s’ouvre avec Rusalka Le chef-d’œuvre d’Antonín Dvořák est présenté pour la première fois au Théâtre du Capitole dans une mise en scène de l’Italien Stefano Poda (« Ariane et Barbe-Bleue »), réalisée en coproduction avec l’Opéra de Tel-Aviv. Créé en 1901 au Théâtre national de Prague, sur un livret de Jaroslav Kvapil, d’après Friedrich de la Motte-Fouqué et Hans Christian Andersen, « Rusalka » est l’histoire d’une créature surnaturelle, étrange et insaisissable, une figure des eaux dont le désir est de se métamorphoser afin de vivre son amour avec un prince. Mais abandonner son état entrainerait la perte de l’usage de la parole, et un échec dans son entreprise sentimentale occasionnerait une damnation éternelle.
La partition contient certaines des pages les plus célèbres de la musique postromantique, dont le merveilleux « Chant à la lune » du premier acte. La direction musicale est assurée par le chef allemand Frank Beermann, qui retrouve la fosse du Théâtre du Capitole après ses performances dans « Parsifal », « Elektra » et « la Flûte enchantée ». Soprano roumaine, Anita Hartig chantera pour la première fois le rôle-titre, après avoir brillé sur la même scène en Marguerite chez Charles Gounod (« Faust ») et en Violetta chez Giuseppe Verdi (« La Traviata »).
Production de l’Opéra national du Capitole créée en 2007, « Tristan et Isolde » sera de nouveau à l’affiche dans la mise en scène poétique et minimaliste de Nicolas Joel. Mythe issu d’une légende celtique, l’histoire de Tristan et Isolde est celle d’un homme amoureux d’une jeune femme pourtant promise à un roi. Concepteur des décors et des costumes, Andreas Reinhardt évoque «l’extrême simplicité de l’histoire imaginée par Richard Wagner. Il a réduit le mythe à sa plus simple expression, jusqu’à l’abstraction, qui a justement été au départ de ma réflexion».
Portée à la scène au Théâtre royal de Bavière à Munich, en 1865, cette partition audacieuse et incandescente a imprimé sa marque dans l’histoire de l’opéra. On retrouvera à Toulouse quatre chanteurs et le chef qui furent les artisans du succès de « Parsifal » en 2020: la mezzo-soprano française Sophie Koch, le ténor autrichien Nikolai Schukoff, les barytons Matthias Goerne et Pierre-Yves Pruvot chanteront tous pour la première fois cette partition, sous la direction de Frank Beermann.
Au Théâtre Garonne, on assistera aux représentations de « Dafne », opéra pour douze chanteurs et électronique signé Wolfgang Mitterer qui sera interprété par douze chanteurs des Cris de Paris dirigés par Geoffroy Jourdain. Créé cet automne au Théâtre de l’Athénée, l’ouvrage reprend un livret conçu en 1627, d’après « les Métamorphoses » d’Ovide, pour une partition d’Heinrich Schütz aujourd’hui disparue – probablement dans l’incendie de la bibliothèque de Dresde, vers 1730.
Pour célébrer à ses yeux «la plus spectaculaire des « Métamorphoses »», le compositeur autrichien imagine «un concours de chant apollinien émaillé de surprises, où l’électronique jouera le rôle de la basse continue, dispensant des couleurs, un vêtement musical où se fondront l’ancien et le nouveau». Aurélien Bory signe cette mise en scène de la fuite de la nymphe Daphné, qui préfère se changer en laurier plutôt que de céder à Apollon.
Après sa « Norma » au Théâtre du Capitole, Anne Delbée livrera à Toulouse sa deuxième mise en scène lyrique avec « le Viol de Lucrèce », que Benjamin Britten écrivit en 1946, sur un livret de Ronald Duncan, d’après une pièce d’André Obey. Avec cet opéra de chambre, le compositeur souhaite alors rendre ses lettres de noblesse au genre de l’opéra anglais. Dirigé par l’Allemand Marius Stieghorst, l’ouvrage confronte en deux actes la jeune Lucrèce, femme aimante et loyale du général romain Collatinus, à Tarquin qui a fait le pari de passer la nuit avec elle pour éprouver sa fidélité notoire à son époux. Pour cette entrée au répertoire, on attend notamment le ténor Cyrille Dubois dans le rôle du chœur masculin et la soprano Marie-Laure Garnier dans celui du chœur féminin, deux chanteurs déjà applaudis sur cette scène.
Au cœur de l’hiver, on retrouvera Karine Deshayes et Anaïs Constans réunies dans « les Noces de Figaro », lors d’une nouvelle reprise de l’élégante et très classique production de Marco Arturo Marelli. Sous la direction de Hervé Niquet, elles aborderont pour la première fois les rôles de la Comtesse et de Susanna, aux côtés de Julien Véronèse en Figaro, Éléonore Pancrazi en Chérubin et Emiliano Gonzales Toro en Don Basilio, pour ne citer que les familiers des scènes toulousaines. Adaptation de la pièce subversive de Beaumarchais « le Mariage de Figaro » – jouée à Paris en 1784 après avoir été interdite durant six ans –, « les Noces de Figaro » est créé en 1786 à Vienne, grâce à l’autorisation de l’empereur progressiste Joseph II.
Wolfgang Amadeus Mozart et son librettiste Lorenzo da Ponte avaient toutefois pris soin de concevoir un ouvrage au contenu plus inoffensif que le texte original. Mais, même si la critique sociale y est atténuée et que la musique se concentre sur l’affectivité des relations, le personnage du comte Almaviva demeure ici la figure de l’aristocrate ridiculisé par son valet, Figaro. Complotant pour entraver son maître dans la conquête de Susanna – laquelle doit épouser Figaro le soir même –, le valet insolent peut compter sur de solides soutiens féminins.
« La Traviata » sera de retour au printemps, cinq ans après la création à Toulouse de cette production signée Pierre Rambert. Danseur, musicien et ancien directeur artistique du Lido de Paris, ce dernier s’est associé à deux artistes renommés: le décorateur Antoine Fontaine (« La Reine Margot » de Chéreau, « Marie-Antoinette » de Sofia Coppola, « l’Anglaise et le Duc » d’Éric Rohmer, « Casse-Noisette » de Kader Belarbi au Théâtre du Capitole, etc.), et le couturier Franck Sorbier. Le célèbre opéra de Giuseppe Verdi sera dirigé par Michele Spotti.
Dans l’une des deux distributions qui se succèderont sur scène, on annonce dans le rôle-titre la soprano italienne Rosa Feola, aux côtés du ténor samoan Amitai Pati et du baryton québécois Jean-François Lapointe. Créé en 1853, « la Traviata » («la dévoyée») est doté d’un livret signé Francesco Piave, d’après « la Dame aux Camélias » d’Alexandre Dumas fils, l’histoire de Violetta, courtisane à la santé fragile, qui choisira de renoncer à sa vie mondaine parisienne par amour pour Alfredo Germont. Le personnage de Violetta est inspiré de la vie d’Alphonsine Plessis, dite Marie Duplessis, maîtresse d’Alexandre Dumas fils et de Franz Liszt, morte à Paris en 1847.
Cet automne, on découvrira « la Bohème » imaginée en 2017 par le metteur en scène Renaud Doucet et son acolyte André Barbe, scénographe et costumier québécois – coproduction du Théâtre de Saint-Gall, en Suisse, et du Scottish Opera, à Glasgow. Créé au Teatro Regio de Turin en 1896, sous la direction d’Arturo Toscanini, sur un livret en italien de Giacosa et Illica, l’ouvrage de Giacomo Puccini est l’adaptation des « Scènes de la vie de bohème » d’Henry Murger, qui parut en feuilleton dans le journal parisien Le Corsaire entre 1845 et 1849, avant d’être représentée sous une forme dramatique au Théâtre des Variétés.
La version de Puccini donne naissance à la fragile figure de Mimi, dans laquelle le grand public voit l’image de toute une époque, celle du Paris de l’insouciante jeunesse estudiantine et artistique au tournant du siècle. Claude Debussy lui-même déclara: «Je ne connais personne qui ait décrit le Paris de cette époque aussi bien que Puccini dans « La Bohème »». Au-delà du réalisme, Puccini est avant tout un maître dans l’art de construire une trame mélodique d’une grande intensité et au lyrisme généreux. Sous la direction du jeune chef italien Lorenzo Passerini, deux distributions alterneront pour incarner le couple Mimi-Rodolfo: les sopranos Vannina Santoni et Anaïs Constans auront pour partenaires les ténors Kévin Amiel et Azer Zada.
En clôture de saison, le « Mefistofele » d’Arrigo Boito sera pour la première fois représenté au Théâtre du Capitole, sous la direction du jeune chef italien Francesco Angelico – directeur de l’opéra de Kassel – qui fera ses débuts en France. Considéré comme le premier grand opéra européen, il a été créé en 1868, à la Scala de Milan, sur un livret du compositeur utilisant des scènes puisées dans les deux « Faust » de Goethe. Opéra grandiose et fascinant, il emploie des chœurs démesurés et fut qualifié par Giuseppe Verdi d’«ouvrage curieux d’un homme qui cherche à être original». Cette production de l’Opéra de Monte-Carlo est mise en scène par Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange. Le plateau vocal réunit la basse française Nicolas Courjal dans le rôle-titre, le ténor français Jean-François Borras (Faust), la soprano italienne Chiara Isotton (Margherita) et la mezzo-soprano française Béatrice Uria-Monzon (Elena).
Plusieurs récitals sont programmés, parmi lesquels ceux de la soprano Nina Stemme, de la mezzo-soprano Violeta Urmana, des barytons Matthias Goerne et Stéphane Degout, des ténors Ramon Vargas et Pavol Breslik. Quelques événements ponctueront cette saison: un week-end automnal dédié à Dvořák ; « Daphnis et Alcimadure » (1754), pastorale en occitan de Mondonville, d’après une fable de La Fontaine, dirigée par Jean-Marc Andrieu, avec l’Orchestre baroque de Montauban Les Passions et le chœur Les Éléments ; les trois premières cantates de Jean-Sébastien Bach dirigées par Jordi Savall, avec son ensemble le Concert des Nations et le Chœur du Capitole. Ensemble de cuivres anciens de Toulouse, Les Sacqueboutiers donneront deux concerts: un programme de pièces de la Renaissance espagnole, autour de l’œuvre de Mateo Flecha ; « le Jazz et la Pavane » avec le pianiste Philippe Léogé, qui mêle instruments anciens et modernes pour révéler les similitudes entre le jazz et la musique de la Renaissance.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros