Entre sa Suède natale, le Berlin de son tireur François Le Blond, et Paris ville lumière ! de la galerie VU’ qui le représente, on peut aligner Toulouse sur la boucle des rendez-vous familiers du photographe Martin Bogren. L’actualité partagée de cet automne est la publication de son nouveau livre : PASSENGER, aux Editions lamaindonne. A Toulouse, l’événement est souligné de belle manière par l’exposition organisée par la librairie Ombres Blanches jusqu’au 20 novembre prochain.
Que l’on soit ou non familier du travail de Martin Bogren, le livre comme l’exposition partagent au premier contact un signal puissamment immersif. La lumière des photos, diffuse, comme matée, mais toujours vibrante, émane dès la couverture du livre et nimbe l’atmosphère du Café-Cour chez Ombres Blanches, avec la même magie
Passenger est une nouvelle étape sur le chemin de photographe-auteur en recherche sur lequel Martin s’est engagé depuis plusieurs années. Nous avions déjà évoqué cette dynamique dans son travail à l’occasion de sa double exposition LOWLANDS / HOLLOW en 2019 au Centre Culturel Saint-Cyprien de Toulouse déjà.
Ainsi pénètre-t-on le monde de Martin Bogren: à condition d’oublier règles d’or et conventions, d’abandonner toute grille de lecture. Et quand bien même, Passenger est de ces œuvres qui emportent, à l’image de certains livres (on parle beaucoup d’Ultramarins de Mariette Navarro), de peintures – comme les Outrenoirs de Soulages, ou encore à certains films de David Lynch, … lorsque la lecture analytique n’a plus lieu d’être et laisse le champ libre aux sens. Les œuvres alors peuvent littéralement nous traverser.
Très vite, on réalise que le contexte géographique des prises de vue à Calcutta importe peu – sauf à considérer le dépaysement qui peut-être avive les sens et la disponibilité de l’artiste en errance ? Alors oui : ces non-lieux sont des portes, des passages à investir.
Passenger voit Martin Bogren adjoindre pour la première fois la couleur à sa sensibilité graphique noir & blanc. Il le fait dans une cohérence totale, sans bouleverser la palette qu’on lui connaît. Mêmes si les brillances sont gommées, l’intensité des lumières et la densité des ombres demeurent saisissantes, les pâleurs et les brumes opérant comme un délicat fil rouge d’une scène à l’autre. Sans oublier la texture des images, éminemment lisible, qui participe à l’approche sensorielle des ouvrages. Mention spéciale à cet égard pour la qualité de la photogravure réalisée par le grand Guillaume Geneste (La Chambre Noire, Paris) et le choix du papier en collaboration avec l’éditeur du livre David Fourré ; de même, le visiteur ne pourra que tomber sous le charme translucide et fibreux du papier lightweight utilisé par Martin pour les tirages de cette exposition ( un papier du même type est utilisé pour les tirages collection réalisés par le tireur François Le Blond (Moon-Prints, Berlin) et disponibles à la Galerie VU’ – voir en fin d’article).
En liminaire, Martin Bogren affirme sa confiance dans cette forme d’abandon, de disponibilité dans le cheminement, qui peut accoucher d’une connaissance, d’une résonance intime, qu’elle soit – pour Martin – celle de la Beauté, ou tout autre forme de révélation.
Par cette posture et la lumière réfléchie des photographies, on n’est pas loin de l’univers des songes. Passenger , le livre et l’expo, y confinent par bien des aspects.
Plusieurs images illustrent cette atmosphère onirique. Tantôt baroques, avec ces vues d’échafaudages délabrés dont les bâches flottent au vent, les uniformes d’opérette, ou cet homme allongé que l’on prend pour un ange exténué. D’autres clairs-obscurs suggèrent un théâtre d’ombres diffus, réel ou imaginaire – on ne veut pas savoir, aussi vrai qu’on s’abandonne à l’abstraction proposée comme une langue universelle, précipité le plus authentique et le plus sincère de l’émotion traversée. Une sorte de forget-me-not.
Dans les images de Passenger, le temps, saisi ou au contraire ralenti, densifié, n’est jamais figé avec l’impératif de l’instant décisif qui fait une photo « réussie ». Voyez la fulgurance de ce regard frontal, ou à l’opposé celui du photographe traversé par la même brume que celle qui baigne l’arbre ou le kiosque.
Et dans nos oreilles ? L’écho lointain d’une musique de manège, quelques bribes d’un Neil Young en mode guitare/voix, sinon le fracas, ou le vent simplement …?
C’est la seule convention entre Martin et lui-même, entre Martin Bogren photographe et le lecteur/le public : la sincérité d’un projet de recherche ouvert. Un projet en rien conceptuel ou expérimental selon des paramètres formels ou plasticiens. Martin le photographe, avec son bagage personnel : angle de vue, distance au sujet, intuition de déclencher, livre et partage ses traces, probablement indéchiffrables.
‘Une photographie est un secret à propos d’un secret. Plus elle vous en dit, moins vous en savez.’
Si on est d’accord avec ces mots de Diane Arbus, convenons alors qu’il n’y a dans Passenger rien à élucider ou à résoudre. Que les traces collectées par Martin dans sa traversée encouragent chacun les siennes, toutes légitimes. Bon voyage.
PASSENGER, le livre est disponible en librairie et aux Editions lamaindonne
Exposition Passenger au Café-cour de la Librairie Ombres Blanches à Toulouse jusqu’au 20 novembre prochain
Martin Bogren est représenté par la Galerie VU’ à Paris
La Galerie VU’ exposera une sélection de tirages de collection de Passenger à l’occasion de la prochaine édition de Paris Photo
François Le Blond – Moon-Prints tireur fine arts à Berlin
Guillaume Geneste / La Chambre Noire, laboratoire à Paris