Il faut arriver tôt à un concert à placement libre. Pour observer ces gens dont le regard convoite les places « invités » puis cherche désespérément une bonne place qui n’existe plus. Et qui trébuchent immanquablement sur le passage de plancher que la régie a bricolé : il y a du Tati dans ces moments d’avant-spectacle.
La voûte étoilée de la salle capitulaire du cloître des Jacobins, dans la douceur de la brise estivale, est écrin délicat pour le minois et la voix de Karine Deshayes.
C’est une soirée de communion, de complicité, de virtuosité ; de clins d’œil et sourires adressés à cette dame du premier rang, attentive et émue.
Dans mezzo-soprano, il y a soprano, il y a mezzo. Karine Deshayes offre avec brio toute l’étendue sa palette, dans le badin Trovatore, le Risentimento blessé et vengeur, la délicate Légende de Marguerite, la valse de Nizza, la difficile Canzonetta spagnuola. Elle triomphe dans ce véritable opéra miniature qu’est la cantate Giovanna d’Arco où la jeune bergère fait des adieux poignants à sa famille, pour se tourner vers la patrie, la victoire. Elle est enfin tour à tour de touchantes Isabella, Semiramide, Elena, et une très espiègle Rosine.
L’accompagnateur et complice attentif est Dominique Plancade, qui propose en deux brillants solos les Fantaisies (Liszt, Ginzburg) sur des motifs de Rossini. La version ludique de Grigory Ginzburg, brodée sur Largo al factotum, n’est pas sans évoquer les images de l’hilarant Figaro de Tex Avery.
Pour souhaiter à l’assemblée conquise une douce nuit « sans vocalises », Karine Deshayes offre en bis un Lascia ch’io pianga émouvant, Rossini n’en voudra pas à Haendel.
Le public sous le charme se lève en haie d’honneur pour les deux artistes qui s’éloignent, émus à leur tour, dans la nuit du cloître.
Une chronique à retrouver sur Una Furtiva Lagrima
Karine Deshayes © Aymeric Giraudel
Dominique Plancade © Eric Manas