Vous vous souvenez, il y a dix ans, les festivals poussaient en France comme des champignons après l’orage ou des chancres sur DSK après l’hôtel. Partout, partout, dans le plus obscur patelin, dans les lieux les plus improbables. Bruce Springsteen débarquait à Nogent-le-Rotrou et Patti Smith slamait à Orcières-Merlette.
Sauf chez nous… Comme d’hab’ pourrait-on dire… Toulouse ce ghetto rock (et encore soyons heureux d’y avoir la Dynamo ou le Bikini – après AZF, ce dernier ne fut même pas réaccueilli dans Toulouse par l’ancienne mairie UMP, toujours très soucieuse de cette musique, le rock, qui touche pourtant beaucoup plus de monde que le classique – mais bon, vous connaissez le sketch de John Lennon à Buckingham… je ne vous le refais donc pas). Nous n’avons guère autour de nous que Garorock (Marmande), Skabazac (près de Rodez) ayant rendu les armes, victime de la crise (des subventions), comme pas mal d’autres festoches français. Il y a aussi le festival country de Mirande mais bon, est-ce que Cock Robin c’est du rock (cela dit, on peut toujours y aller, comme Bruno del Puerto, pour toucher religieusement le stetson de Chuck Norris ou pour ricaner avec l’infernal J.R.).
Heureusement, depuis deux ans, le Bikini a la bonne idée d’organiser le Week-end des Curiosités. Succès garanti et mérité. Qui nous permet de retrouver la bonne ambiance conviviale et estivale de ce type d’évènements, couplée avec une programmation à la fois mainstream et pointue. Bref, y’en a pour tous les goûts.
À Culture 31 aussi, tous les goûts sont dans la nature et le bonheur dans le pré. Du coup, j’ai donc passé mon tour pour laisser le premier soir à Bruno del Puerto qui rêvait de voir, dix ans après, le retour tant attendu de Zebda, nos poètes locaux, ces génies absolus qui sont à Clash (musicalement) ce que Mimie Mathy est à Gene Tierney, et à Léo Ferré (pour les textes) ce que Patrick Bruel est à François Villon…
Vendredi soir, pendant qu’ IAM finit son rap aïoli un peu ringue (ça fait vraiment rap Sardou, au moins NTM chasse davantage sur les terres du rap US, bien plus recommandable musicalement) sur les bords du Canal, le Bikini, lui, accueille une soirée électro avec The Artist, et, surtout, Kap Bambino. Caroline Martial arrive dans le noir, telle une prêtresse païenne techno-futuriste, encapuchonnée et deux bougies à la main. Quoi de plus normal pour venir défendre sur les planches leur nouvel et 5e album, Devotion (Because). La devotio était aussi, sous la glorieuse époque romaine, un acte propitiatoire, sacrificiel, invoquant les dieux infernaux. Et, pour les avoir vus deux fois déjà, un concert de Kap Bambino est toujours un sacrifice rythmique et infernal… Tapi sous sa chevelure qui lui masque le visage, Orion balance frénétiquement des beats distordus mais mélodieux, et des infrabasses qui cognent et font bouger. Par-dessus, Caroline danse, comme possédée, en scandant des stridences improbables (mais rudement chouettes). Véritable pile électrique, elle capte médiumniquement l’attention, n’hésitant pas à descendre se joindre au public dans la fosse, dans un mélange de griserie et de bonne humeur contagieuse. Alors qu’elle a un physique assez lambda, Caroline irradie sur scène et dégage une beauté et une sensualité incontestable et grisante. Elle en devient magnifique. Kap Bambino est assurément un très grand groupe, une sorte de Kas Product 2.0 (car c’est aussi un duo/couple), qui ravit déjà l’Angleterre depuis longtemps. Des Français qui cartonnent en Angleterre, c’est assez rare pour être salué, et les Brits ont souvent meilleur goût que nos concitoyens. Bref, au royaume des fish & chips, Kap Bambino n’a rien à envier à Ladytron. Et ce n’est que Justice.
Samedi soir, petite déception car les Kills ont annulé (pour raisons de santé). J’emmène mes monstres (enfants) voir Pony Pony Run Run (sans doute traumatisés durant l’enfance par le royaume enchanté de Mon Petit Poney). Les PPRR assurent un bon concert électro-pop même si la part la plus brillante du groupe est partie fonder le bien meilleur combo Jamaica (leur 1er album est remarquable). Avant les poneys, on a eu tout d’abord Juveniles, groupe rennais de synth-pop qui nous rappellerait presque Tears For Fears (voilà qui ne nous rajeunit pas !). Et aussi Native New Beaters, groupe bidon échappé d’une séquence de Sex Machine (feue l’émission télé de Manœuvre et Dionnet sur Antenne 2 – c’est pas l’ORTF mais pas loin !). Même si leur cabot de chanteur m’a bien fait marrer. En faisant la queue avant le concert, nous entendions sans les voir le dernier groupe de la scène gratuite, et j’ai ainsi ouï deux-trois morceaux du groupe toulousain Higgs. Ça a l’air très bon, électro et rock à la fois, un peu dans la veine Gang Of Four ou Franz Ferdinand (même si je n’aime pas beaucoup ces derniers qui ne valent pas les pionniers Monochrome Set ou XTC). Bref, faudra qu’on revoie/reparle de Higgs. Ils le méritent !
Dimanche après la messe (mdr), on commence avec Gabelt, combo toulousain qui fait une pop-rock pêchue, un peu dans l’esprit des Strokes. Leur enthousiasme fait plaisir à voir (notamment celui du chanteur) même si leurs compos ne sont pas inoubliables (hormis deux morceaux qui retiennent l’attention). Mais leur 2e guitariste (sur Télé/Vox) est vraiment très bon. Et leur batteur ressemble (physiquement) comme deux gouttes d’eau à Keith Moon ! Suivent Revolver qui nous font un très bon set électrique, bien maîtrisé, montrant que Christophe Musset est vraiment un très bon chanteur doublé d’un excellent guitariste. Dommage que leur nouvel et second album soit moins bien écrit que le premier. Mais leur élégance toute beachboysienne demeure et les harmonies (notamment vocales) sont au rendez-vous ! Je regagne ensuite mes pénates car ni !!! ou Dionysos ne m’emballent.
Au final, pour ce que j’ai pu voir, remercions Hervé Sansonetto et toute son équipe pour ces très agréables moments, très bon enfant, avec un public qui a répondu présent (ce qui est logique vu la qualité de l’événement).
Longue vie aux Curiosités !
Bertrand Lamargelle