CRITIQUE enregistrement CD. 2 CD Alpha Classics. Alpha 1173. Durée : 109’41’’. Dimitri Chostakovitch : Symphonies 4 et 5. Orchestre symphonique de la Radio de Francfort ; Direction : Alain Altinoglu.
Une intégrale très prometteuse
L’intégrale des symphonies de Chostakovitch est donc promise par Alpha Classics avec ce premier double CD enregistré en février et avril 2024 par le chef français Alain Altinoglu et son orchestre symphonique de la radio de Francfort. Le choix de ces deux symphonies pour débuter une intégrale est courageux. D’emblée la barre est mise très haute car ces deux symphonies sont particulièrement éloignées sur tous les plans. La quatrième est restée dans les tiroirs de Chostakovitch qui en savait la grande dangerosité pour le pouvoir. En effet en la période de composition entre 1936 et 1937 de ces deux œuvres, jamais Chostakovitch n’avait subi une telle pression et de si grands dangers. Un terrible article le condamnaient à la suite de son opéra Lady Macbeth de Mnensk : Du fatras en guise de musique. Cette époque voyait également de nombreuses arrestations et maintenaient Chostakovitch dans la terreur la plus absolue. Le formalisme dont il était accusé, le manque de simplicité, et surtout l’audace qui fusaient dans la quatrième symphonie n’ont pas permis sa diffusion avant longtemps. Chostakovitch la gardait secrète. La cinquième est en revanche écrite en réponse aux justes critiques. Elle a connu dès sa création un succès retentissant qui ne s’est jamais démenti. Tout oppose donc ces 2 symphonies. Les choisir est donc pour le premier volume de l’intégrale mieux qu’un test, c’est une mise à l’épreuve grandiose.

Ne cachons pas notre enthousiasme Alain Altinoglu, son orchestre de Francfort et les techniciens d’Alpha Classics ont réalisé quelque chose de tout à fait grandiose. La prise de son, pour une fois nous commenceront par elle, est absolument magnifique permettant une écoute de chaque instrumentiste, et les soli sont nombreux, et elle magnifie les nuances qui vont du pianissimo le plus impalpable jusqu’ à des fortissimi presque insoutenables.
La splendeur de sonorité de l’orchestre de Francfort est connue. La chaleur des bois, la rutilance des cuivres et le soyeux des cordes font ici merveille. Les percussions sont impeccables de précision et les instruments rares comme le célesta, les harpes ou le piano apportent une saveur toute particulière à l’orchestration si originale de Chostakovitch.
La quatrième symphonie est terrifiante et son originalité est magnifiquement mise en valeur. On ne sort pas indemne d’une telle œuvre et la manière dont Alain Altinoglu la dirige est sensationnelle. Le moindre détail est ciselé, les nuances sont extrêmes. L’agencement des morceaux est très dramatique et la construction de l’ensemble est limpide. C’est comme si à présent les messages de cette œuvre si complexe pouvaient arriver à l’auditeur dans une forme parfaite. Il aura peut-être fallu du temps pour digérer le fond si douloureux qui a conduit à son écriture.

La cinquième symphonie parait bien plus facile et son écoute est moins pesante. Les couleurs diffusent, les phrasés sont larges et magnifiques et chaque instrumentiste fait des merveilles. On pense surtout au violon solo d’une beauté formelle incroyable. Tout au plus devant la splendeur de l’orchestre et la précision de la prise de son peut ont regretter un manque de persifflage ou de dérision. Disons que l’élégance constante de la direction et la beauté sonore qui président à cet enregistrement pourraient nuirent à la dérision et la moquerie dont Chostakovitch n’est pas avare. Il manque un peu de sarcasmes, comme si la mariée était trop élégante… N’allons pas jusque-là et disons le tout net nous tenons probablement là la version la plus splendide orchestralement jamais enregistrée.
Il va sans dire que nous attendons avec impatience la suite de cette intégrale qui démarre si bien.
Hubert Stoecklin
