Sorti en 2015, le 3e album studio du rappeur de Los Angeles surprend encore et toujours la scène rap mondiale. Après 2 projets déjà acclamés par la critique et ayant conquis le public, celui qu’on surnomme Kdot revient avec un album engagé magnifiquement construit. En plus de dénoncer et mettre en avant de nombreuses inégalités, To Pimp A butterfly initie un nouveau style dans le milieu : Le Jazz Rap. Retour sur un album ayant marqué son époque et dans l’ère du temps 10 ans plus tard.

Couverture de l’album To Pimp A Butterfly par Denis Rouvre – Source : Printerval
Bien que cet album l’ai fait rentrer dans l’histoire, Kendrick Lamar n’est pas méconnu aux yeux du public lors de sa sortie en 2015. Son premier projet studio « Section 80 » sort en 2011 et effleure déjà les oreilles affinés des amateurs de rap les plus aguerris. Un flow original et très efficace, une capacité à s’adapter à des productions diverses, et surtout des paroles profondes et pleine de sens, le rappeur de Compton rentre dans le rapgame avec une crédibilité rarement aperçue depuis un bon moment. Mais le projet qui le fait sortir du lot est son second sorti en 2013 : Good Kid Maad City. Le story Telling de son histoire vécue à travers la guerre des gangs est touchant, alarmant et musicalement unique. Kendrick n’a plus rien à prouver à personne après ces deux premiers projet avec une barre déjà mise très haute. Mais alors qu’est ce qui fait que l’album que l’on retiens le plus de sa carrière n’est pas l’un de ses deux premiers, mais le troisième ?
Wesley’s theory
C’est bien connu, pour qu’un album ai une cohérence tout au long de son écoute, il faut une introduction pertinente avec le reste du projet. Kendrick ouvre To Pimp a butterfly avec son premier morceau : Wesley’s Theory. Le projet débute avec des sonorités jazz, funk, hard pop, spoken word et soul, que l’on retrouvera tout au long de l’oeuvre d’ailleurs. L’introduction fait référence à Wesley Snipes et à la manière dont l’acteur a été emprisonné pour fraude fiscale. Kendrick affirme lui même « personne n’apprend aux pauvres hommes noirs à gérer leur argent ou leur célébrité, donc s’ils réussissent, les pouvoirs en place peuvent le prendre directement sous eux ». Vous l’aurez compris, l’album est politiquement engagé. Durant tout le projet le rappeur de Compton dénoncera les inégalités subies par les noirs américains tout au long de leur histoire.

L’acteur Wesley Snipes- source : Wikimedia Commons
Pour mélanger un album engagé avec des sonorités d’ailleurs, Lamar a du se rendre en Afrique du sud quelque mois avant la sortie du projet. Par une volonté de renouer avec ses racines africaines, il visite de nombreux sites historiques locaux comme Durban, Johannesburg ou Le Cap. Ces multiples lieux lui inspireront un album qui fera sans cesse référence au passé de son peuple et ses injustices subies encore dans l’ombre aujourd’hui. Pour clôturer son séjour en Afrique le rappeur se rend dans la cellule de Nelson Mandela à Robben Island. L’un des morceaux les plus explicites de la thématique générale du projet est King Kuta, qui fait référence au roman Racines d’Alex Haley et à son protagoniste Kunta Kinte. D’après Kdot, King Kuta met en récit “l’histoire de la lutte et la défense de ce en quoi nous croyons. Peu importe le nombre de barrières que nous devons abattre, il faut courir pour dire la vérité”.
Un contre courant qualitatif
To Pimp A Butterfly sort du lot et marque son temps également par une ambition importante. L’album n’a rien à voir avec le style rap qui marchait le plus a l’époque : la trap d’Atlanta. Pour explorer ces sonorités Jazz soul et funk le rappeur de Chicago s’associe avec l’un des plus gros producteur de tous les temps et son mentor : Dr Dre. Mais ce n’est pas la seule collaboration marquante pour la création du projet. Pour donner un maximum de sens à la couverture de l’album, le photographe Français Denis Rouvre est choisi. La pochette met en avant Kendrick en compagnie de ses proches devant la maison blanche, tous torses nus avec des chaines en or autour du cou et des billets dans les mains. Le tout en noir est blanc pour symboliser la révolte que le rappeur veut mettre en avant tout le long de son oeuvre. Une révolution qui se veut politique, culturelle et sociale avec une colorimétrie faisant référence au juge blanc allongé au sol, signalant la chute d’un système judiciaire déficient. Pour le dire plus simplement, l’artiste affirmera par la suite que la couverture représente “un groupe de potes dans des endroits qu’ils n’ont pas forcément vus, ou seulement à la télévision ».

Kendrick Lamar au festival des ardentes de Liège en 2015 – source : Flickr
Comme si ce n’était pas assez, cette véritable pièce de théâtre musicale est également introspective et intimiste. Kendrick l’a lui même affirmé à MTV après la sortie du projet : Pour moi, faire un album est un processus spirituel. Je dois vraiment me sentir connecté à la musique. Je dois me sentir connecté à ce dont je parle. Et cela peut vous épuiser parce que vous extrayez toutes ces émotions différentes. Il y a des moments très sombres là-dedans. Toutes mes insécurités, mon égoïsme et mes déceptions” . L’album devait au départ s’appeler To Pimp a Caterpillar, en référence au modèle de Kendrick, 2pac. Il a finalement été changé par butterfly pour faire référence au papillon symbolisant la mue artistique et intellectuelle du rappeur.
C’est l’aspect politiquement engagé, ses sonorités venues du passé accordées a l’historique et la dimension personnelle qui fera rentrer ce projet dans l’histoire de la scène rap mondiale. Les chiffres ont eux aussi parlé d’eux même lors de la sortie de l’album : Onze nominations aux Grammy Awards, l’aval des critiques du monde entier, le top des charts mais également le record du plus grand nombre de nominations aux Grammy pour un artiste de musique urbaine. De quoi faire de l’ombre aux plus grands de l’époque comme Drake, Nicki Minaj J.Cole ou même Dr Dre.