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Je voulais leur dire mon amour de Jean-Noël Pancrazi
« Cela faisait plus de cinquante ans que je n’étais pas revenu en Algérie où j’étais né, d’où nous étions partis sans rien », précise d’emblée Jean-Noël Pancrazi qui avait repoussé toute idée de pèlerinage ou de « séjours brefs et encadrés dans des lieux culturels qui ne me laisseraient pas de liberté pour me déplacer ». Ce retour, l’écrivain (qui vient de publier Quand s’arrêtent les larmes ce 13 mars) l’avait néanmoins effectué à travers certains livres comme Madame Arnoul, Renée Camps ou le superbe La Montagne, mais jamais physiquement avant un voyage qui donna la matière au récit Je voulais leur dire mon amour paru en 2018. L’auteur de Tout est allé si vite surmonta donc ses réticences initiales en acceptant, en décembre 2015, d’être invité comme juré au festival du cinéma méditerranéen d’Annaba – ville qui fut le point de départ de l’exil de sa famille, à 200 km de Batna où ils vivaient. Les premières retrouvailles sont chaleureuses, l’invité français est vite baptisé « le Sétifien », on l’accueille comme s’il n’était jamais vraiment parti et qu’il était déplacé de rappeler le passé : « ils semblaient avoir oublié la raison des adieux, les événements, les combats des pères, le sang laissé, ce qui nous avait séparés ».

Jean-Noël Pancrazi © F Mantovani / Gallimard
Malgré le côté un peu kitsch de ce festival, le ballet des notables et des petites vanités, l’émotion est au rendez-vous pour le déraciné : « elle était là dans ma main, la terre sous laquelle les morts et les anciens dormaient même s’ils ne m’entendaient pas quand je disais que j’étais là. » Évidemment, les souvenirs remontent. Le petit Pancrazi aimait déjà le cinéma et allait au Régent avec sa mère découvrir des films parfois avant que ne les projettent les salles d’Alger. Un jour, une bombe explosa au Régent. Un fracas qui ne s’oublie pas et que l’écrivain entendra à nouveau, non loin de chez lui, à Paris, un soir de novembre 2015. La même folie ? Pas vraiment. « C’était alors des guerres de libération, d’émancipation pour un peuple uni, des guerres pour demain et fraterniser avec le monde ; maintenant c’était des guerres pour avant-hier, restaurer ces califats, ces royaumes de mort où ils finiraient par s’éliminer les uns les autres et qui retourneraient à la poussière », écrit Pancrazi.
Valise piégée de tristesse
À Annaba aussi, le péril terroriste rôde. Des islamistes, survivances de la décennie noire ayant ensanglanté le pays, viseraient le festival. La fête continue cependant et Jean-Noël Pancrazi s’accroche au projet qui a justifié ce voyage : retrouver Batna, les lieux de l’enfance et d’un bonheur pas encore dévasté par l’exil. Les retrouvailles vont être annulées, officiellement au nom de la menace terroriste. Il faut partir en catimini, quitter l’hôtel au plus vite pour sauter dans le dernier avion. L’histoire se répète.
Les mêmes départs, la même incompréhension, la même hébétude désolée, la même valise « piégée de tristesse » comme sur le bateau de 1962 où régnait un « silence presque total pour ne pas déranger les larmes et le souvenir préféré de chacun ». Des regards semblent dire « Pourquoi vous partez ? » Qu’ont dû penser les « frères de l’Ours polaire », ces deux jeunes désœuvrés et débrouillards, qui devaient accompagner l’écrivain à Batna ? Malgré la peine et la déception, Je voulais leur dire mon amour est aussi l’histoire de retrouvailles réussies, celles de Jean-Noël Pancrazi avec ce petit garçon qu’il avait été et qu’il restait : « un enfant qui courait sans fin, tête nue au soleil pendant des heures ».
Je voulais leur dire mon amour • Gallimard