A Real Pain, un film de Jesse Eisenberg
L’acteur révélé dans The Social Network en 2010, Jesse Eisenberg, nous présente ici son premier long métrage en salle, un film dans lequel il interroge la mémoire de sa famille, fracturée par l’Holocauste, lors d’un périple tragi-comique réunissant deux acteurs vertigineux.

Kieran Culkin (Benji) et Jesse Eisenberg (David) – Photo : Fruit Tree Media
Benji et David sont cousins mais ne se fréquentent pas trop dans ce New York tentaculaire et tellement chronophage. Benji vit seul, on ne sait trop de quoi. David vend des publicités sur internet. Il est marié et papa. Ils se retrouvent à l’aéroport car ils ont décidé de rejoindre une poignée de touristes se rendant sur les chemins de la Déportation en Pologne. Dans leur périple, ils prendront le temps d’aller visiter la maison où vivait leur grand-mère adorée. Très rapidement, nous nous trouvons face à deux individualités opposées. Autant Benji n’a peur de rien, vivant sans filtre, il dit et fait tout ce qu’il lui passe par l’idée. Et des idées il en a ! Autant David est la retenue même, toujours à l’affût du moindre écart de geste ou de langage, excusant en permanence les faits et dires de son cousin. Bien sûr, Benji va derechef démolir James, le guide du petit groupe, un guide débitant son texte, savant certes, mais dénué de la moindre émotion. Dans un cimetière juif polonais, Benji va même « péter un câble » et expliquer à ce pauvre James ce qu’il attend de lui. Surtout… qu’il se taise. Irrité par le principe même de faire une visite cinq étoiles dans un camp de concentration (celui de Majdanek en l’occurrence), Benji part en vrille car les lieux évoquent de manière assourdissante la destinée de sa famille.
Le secret de ce film enthousiasmant, monté sur un rythme vertigineux, est de vous faire rire à gorge déployée et, dans la seconde qui suit, étouffer un sanglot, essuyer une larme. Du grand art porté par deux acteurs exceptionnels. David n’est autre que le réalisateur lui-même, Jesse Eisenberg. On connaît son débit vocal hallucinant et hésitant à la fois, ses yeux perdus dans des questions permanentes et ses phrases qui ne finissent jamais. Il ne pouvait trouver meilleur partenaire que Kieran Culkin. Ce dernier campe un Benji frémissant d’une tension intérieure impossible à contrôler et toujours prête à entrer en éruption. Capable de tout et de pire encore pour combattre l’ordre établi, éternel exilé, il entraîne son cousin dans un road movie bouleversant d’une fraternité retrouvée. Cette poignée de touristes qui les entoure est une sorte de condensé de notre temps, avec ses égoïsmes, ses attentions, ses croyances, ses comportements, ses ignorances et ses certitudes. Il n’en faut pas plus à Jesse Eisenberg pour nous livrer, accompagné par la musique de Frédéric Chopin, l’un des films les plus attachants et bouleversants du moment. Et pour longtemps encore. Sur un autre rythme assurément, il y a du Woody Allen des grandes années là-dedans. Ce qui n’est pas forcément une injure.
A voir impérativement