Le 26 février 2024, la saison Les Grands Interprètes recevait l’une des grandes et jeunes formations symphoniques du moment placée sous la direction de celui qui a longtemps présidé aux destinées de l’Orchestre national du Capitole. A l’évidence, les musiciens du Mahler Chamber Orchestra ainsi que leur chef Tugan Sokhiev ont conquis les faveurs d’un public enthousiaste.
Fondé en 1997 par Claudio Abbado, le Mahler Chamber Orchestra (MCO) est à sa création composé des anciens membres du Gustav Mahler Youth Orchestra. Ses musiciens actuels proviennent de 27 nationalités différentes. Dans le domaine de la sensibilisation et de l’éducation, les grands projets de l’orchestre incluent la MCO Academy à laquelle appartiennent nombre de ses membres. S’il n’a pas de lieu de résidence attitré, cet orchestre voyage constamment et donne des représentations dans le monde entier. Il a ainsi touché les publics de quelques quarante pays sur les cinq continents !
Dès son apparition sur le plateau de la Halle aux Grains, on peut constater la jeunesse générale de ses musiciens. Le bel accueil que lui ménage le public s’amplifie encore à l’arrivée de Tugan Sokhiev toujours aussi bruyamment acclamé par les Toulousains.
Le programme musical de cette soirée s’ouvre sur le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy, un grand classique de cette belle musique française avec laquelle Tugan Sokhiev s’est familiarisé au cours de son long séjour à la tête de l’Orchestre national du Capitole. De ce probable hommage au lieu d’accueil du MCO, Tugan Sokhiev offre une vision contrastée. L’infinie douceur du solo de flûte, joué avec retenue par la soliste, évolue progressivement vers l’intensité d’un crescendo de lumière. Les couleurs de l’orchestre éclaboussent le paysage d’une chaleur communicative. Le retour vers un silence feutré conclut cette exécution à la fois personnelle et originale.
L’œuvre suivante amène sur scène le violoncelliste Kian Soltani. Né à Bregenz, en Autriche, en 1992, dans une famille de musiciens persans, ce jeune musicien, déjà aguerri a notamment remporté en avril 2013 le concours international de violoncelle Paulo à Helsinki et, en février 2017, le célèbre prix Leonard Bernstein en Allemagne. Il impose, dans son interprétation du concerto pour violoncelle et orchestre d’Antonin Dvořák, une vision ouverte, mêlant poésie et vigueur. L’introduction orchestrale de l’Allegro initial impressionne par son déchaînement héroïque. Dès son entrée, le soliste déploie ici la richesse spécifique de sa sonorité ainsi qu’une énergie parfaitement contrôlée. Les échanges avec l’orchestre prennent parfois l’allure d’un combat, parfois celle d’un dialogue apaisé. Dans l’Adagio ma non troppo, drame profond et chant élégiaque alternent dans une succession de ces thèmes lyriques dont Dvořák avait le secret. L’héroïsme le plus émouvant émane de l’Allegro moderato final. Là encore le dialogue avec l’orchestre s’enrichit d’une étroite complicité.
Longuement acclamé, Kian Soltani offre alors un prolongement inattendu à son exécution du concerto. Expliquant (dans un excellent français !) les circonstances de sa composition, il indique que Dvořák, encore aux Etats-Unis, apprend le décès de son amour de jeunesse, Josefina Kaunikova. Il décide alors d’harmoniser le motif de la chanson préférée de sa bien-aimée et de l’introduire secrètement dans son concerto. Kian Soltani offre alors la version de cette chanson qu’il a lui-même arrangée pour un ensemble de violoncelles. Il la joue en guise de bis avec l’ensemble du pupitre de violoncelles de l’orchestre. Un moment étonnant et touchant à la fois.
Toute la seconde partie de la soirée est consacrée à des extraits des Suites n°1 et n°2 du ballet Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev. Comme cela se pratique souvent, le chef d’orchestre choisit un certain nombre de scènes de ces suites qu’il ordonne selon leur caractère musical et l’alternance des tonalités et non de manière chronologique. Tugan Sokhiev, expert en la matière, choisit de diriger l’ensemble des sept épisodes de la Suite n°2. Ils sont suivis de deux séquences extraites de la Suite n°1. L’ensemble s’ouvre sur le dramatique épisode intitulé « Montaigu et Capulet ». L’impact en est sidérant ! Tous les pupitres de l’orchestre sont portés à incandescence par la direction passionnée du chef. Les alternances entre drame et douceur mettent en évidence la contribution de chaque musicien soliste et la cohésion de l’ensemble. Le tragique épisode « Roméo au tombeau de Juliette » se déploie dans une émotion bouleversante.
Dans la Suite n°1, l’épisode V, « Masques », est suivi de la tragique « Mort de Tybalt » au cours de laquelle la virtuosité des pupitres de cordes se manifeste au plus haut point. Cet épisode conclut une interprétation flamboyante d’une irrésistible intensité à la fois musicale et expressive.
Concert triomphal du grand maestro @tsokhiev avec le @Mahler_Chamber et les académiciens de ce formidable ensemble! Electrique suites de Roméo et Juliette #Prokofiev et sensationnel Dvorak avec le génial Kian Soltani!
Un concert @GdsInterpretes #Toulouse pic.twitter.com/MpJVu8PGgD— Thierry d’Argoubet (@T_d_Argoubet) February 27, 2024
La chaleureuse acclamation du public rappelle le chef au-devant de la scène pour un bis particulier. Pour la reprise de l’épisode « Danse » de la Suite n°2, Tugan Sokhiev se place en retrait, laissant l’orchestre jouer sans chef. Une belle démonstration des capacités de cette jeune phalange, largement applaudie par le public. Le chef ne manque pas d’aller féliciter chaleureusement chaque pupitre, chaque soliste. Notons enfin qu’à leur tour les musiciens acclament Tugan Sokhiev, refusant de se lever afin de lui laisser le bénéfice de l’ovation finale.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse