L’Orchestre national du Capitole de Toulouse joue bien dans la cour des grandes phalanges. Le mardi 12 mars à 20h, à la Halle, il donnera cet immense requiem, ce bouleversant témoignage de l’atroce drame humain que fut le siège de Leningrad. Les musiciens sont dirigés par le chef Tugan Sokhiev. Ils se connaissent si bien.
« L’artiste soviétique ne se tiendra jamais à l’écart de la confrontation historique qui oppose la raison à l’obscurantisme, la culture à la barbarie, la lumière aux ténèbres…Je dédie ma symphonie n° 7 à notre lutte contre le fascisme, à notre future victoire sur l’ennemi et à ma ville natale, Leningrad. » D. C.
Il faudrait des dizaines et dizaines de pages pour raconter l’histoire officielle de cette symphonie, celle qui, dans l’enthousiasme des alliances, donne sa dimension politique à cette imposante partition aux allures de fresque. Sans parler du voyage incroyable sous forme de microfilm de la partition. Ce n’est que bien plus tard, lorsque la victoire aura débouché sur de nouvelles luttes fratricides, et surtout lorsqu’un début de vérité aura filtré à travers le rideau de fer, que cette symphonie militante ne sera plus jugée , avec quelques sévérité parfois, qu’à l’aune de ses qualités proprement musicales. Elle n’en aura pas moins grandement contribué à assurer la renommée internationale de son compositeur et à entretenir autour de sa personnalité profonde, quelques malentendus tenaces.
Et on n’évoquera même pas, ici, l’existence de Dimitri Chostakovitch, enfouie sous contraintes et persécutions, une existence entièrement fidèle à la terre russe, patriote sans faille, et plus particulièrement attaché à sa chère ville natale de Saint-Pétersbourg, ex-Pétrograd, ex-Léningrad. Malgré la terreur psychologique institutionnalisée alors par le régime soviétique et ses millions d’éliminés, le dernier Géant de l’écriture symphonique laisse une œuvre considérable, universellement reconnue. Ses préoccupations journalières se résumaient en une phrase : « Nous devons vivre notre vie de façon à ne jamais en avoir honte. » D. C.
La Symphonie n° 7 en ut majeur op. 60 du “Fireman Chostakovitch“ est en quatre mouvements sur environ soixante-quinze minutes et peut durer suivant l’exécution entre soixante-dix et quatre-vingt minutes. L’orchestre est surdimensionné avec autour de cent musiciens. Il nécessite par exemple un pupitre de cuivres avec huit cors, six trompettes, six trombones et un tuba ! Aux soixante cordes, on rajoute un piano, deux harpes, un xylophone et une importante percussion. Les sous-titres prévus au départ par le compositeur soit : I. La guerre – II. Souvenirs – III. Les grands espaces de ma patrie – IV. La victoire, ont été abandonnés, même si les images musicales sont puissantes et suffisamment explicites évoquant tout aussi bien la lutte contre la barbarie, les conditions effroyables de survie ou comment sont pleurés les centaines de milliers de morts dans Léningrad en attendant la victoire. Ils sont tout simplement qualifiés de : 1 Allegretto – 2 Moderato (poco allegretto) – 3 Adagio – 4 Allegretto non troppo.
Le premier mouvement peut approcher la demi-heure. C’est le plus remarquable et génère un volume sonore sans équivalent. D. C. commente dans la revue Art soviétique : « L’exposition… est la vie simple et paisible vécue avant la guerre par des milliers de miliciens de Léningrad, par la ville entière, par notre pays. Au cours du développement, la guerre fait irruption dans la vie paisible de ces gens.je ne vise pas la représentation naturaliste de la guerre, la représentation du cliquetis des armes, de l’explosion des obus, etc. J‘essaie de transmettre émotionnellement l’image de la guerre. Cette transition – la guerre s’infiltrant dans des vies paisibles – donne lieu page après page à un tatouage joué sur la caisse claire ( ou deux ? ou trois ?) éventuellement rejoint par d’autres instruments de percussion, l’orchestre répétant sur une musique fidèle à leur rythme. La récapitulation est une marche funèbre ou plutôt un requiem pour les victimes de la guerre…
« Les deuxième et troisième mouvements, ne sont pas associés à un programme précis. Ils sont destinés à servir de répit lyrique. Le deuxième serait plutôt un scherzo très lyrique avec un peu d’humour, le troisième, un adagio passionné, le centre dramatique de l’œuvre. L’idée de victoire est néanmoins inhérente au Finale, sinon de manière simpliste et fanfaronne. Cela commence avec des cordes rampant avec circonspection au-dessus d’un roulement de tambour, roulement silencieux des timbales, comme des gens sortant la tête pour examiner ce qui reste après un désastre. Le tempo s’accélère, le volume augmente, la texture s’élargit et on aperçoit des fragments d’un thème qui tente de se cristalliser.
Les tambours et les fanfares de cuivres reviennent, mais les attentes sont bouleversées par un intermède lugubre dans lequel les cordes et les cuivres suggèrent un cortège funèbre. La musique s’éloigne dans la contemplation privée (cordes avec touches de clarinette basse et bassons) ; mais à partir de là, la musique se construit avec des cors, des trompettes, et des trombones supplémentaires élargissant le son et l’orchestre, la grandeur conduisant finalement l’auditeur à la victoire. »
Les forces à gérer sont immenses et vous devinez que la partition étant passablement fournie, on ne risque pas de rentrer ici dans les détails. Trouver le ton juste, du souffle, de la conviction, de la hauteur de vue, éviter le grandiloquent, le tonitruant, le côté un peu Barnum mais ressentir à l’écoute, la lutte, la souffrance, la grandeur tragique nécessitent de pouvoir s’appuyer sur tous les pupitres. Et le chef sait qu’il le peut. Il faut tenir jusqu’au bout avec une concentration et une constance exemplaires. Pathétique mais sans pathos, voilà un nouveau défi que l’orchestre peut relever puisqu’il vient de nous le prouver il y a quelques jours dans le Concerto n° 2 pour violoncelle de Chostakovitch en accompagnant le soliste Truls Mørk de fort belle manière puis en suivant, la Suite de Roméo et Juliette de Prokofiev, une version “impeccable“ de Petr Popelka. Gageons que nous entendrons le 26 février 2024 un bouleversant témoignage historique et humain. Et préparez-vous à une fin émotionnelle incomparable.
En résumé, la Symphonie n° 7 est clairement la réponse du compositeur à des forces maléfiques puissantes. Nous pouvons sûrement, maintenant, l’accepter comme une vision de Staline et de Hitler comme deux faces de la même monstrueuse tyrannie. Elle fut créée le 5 mars 1942 avec l’Orchestre du Théâtre du Bolchoï à Kuybïshev, ville de repli du gouvernement soviétique où D. C. avait été évacué avec sa famille, de force, puis à Moscou trois semaines plus tard, le 22, retransmise par toutes les radios disponibles dans tout le pays. Elle fut donnée le 9 août 1942, dans une Leningrad assiégée depuis un an déjà, dans des conditions absolument dramatiques, avec, au départ une poignée de musiciens, ceux de l’Orchestre de la Radio plus les soldats démobilisés momentanément parce que musiciens, avec les instruments disponibles plus ou moins en état. Une seule répétition complète par le chef Karl Eliasberg qui insistait sur les normes musicales les plus élevées. Des musiciens s’évanouissaient parfois de faim et tombaient de leur chaise. 27 des musiciens qui ont participés aux répétitions n’ont pas joué au concert. 25 d’entre eux étaient décédés. C’était le 335è jour de siège.
Témoignage de la cantatrice Galina Vichnevskaïa, née à Léningrad en 1926, alors adolescente, épouse de Rostropovitch en 1955 : « Les gens mouraient dans les rues ; les corps restaient des jours entiers là où ils étaient tombés. On voyait souvent des cadavres mutilés, dont on avait découpé les fesses. On ne déclarait pas les morts tout de suite pour des problèmes de cartes d’alimentation. On gardait les corps gelés dans les appartements…… » De moins en moins de chats et de chiens dans les rues…
Orchestre national du Capitole