Avec le cycle «Queer ! Glam ! Camp !», la Cinémathèque de Toulouse exhibe une sélection de films imprégnés d’un état d’esprit nommé camp.
Apparu en Angleterre à l’orée du XXe siècle, le terme «camp» est issu de l’argot: il désigne alors les homosexuels à la gestuelle exagérée, autrement dit «les folles». Au milieu du siècle, les homos se réapproprient l’injure pour la revendiquer et la détourner ; elle devient alors l’instrument de l’affirmation d’une forme d’orgueil et de fierté. En 1964, Susan Sontag signe « Notes on Camp »(1) pour cerner les contours de cette notion qui s’est répandue dans les milieux underground homosexuels. Ce texte contribue d’ailleurs à diffuser l’emploi du mot. Depuis, plusieurs écrits ont tenté de définir cet état d’esprit qui reste définitivement marqué par l’expression d’une autodérision jonglant avec le mauvais goût, mais sans vraiment tomber dans les abîmes du kitsch.
Le camp se manifeste par une foule d’attitudes relevant de l’excentricité la plus tapageuse. Quelque soit son genre et sa sexualité, la créature camp sait plus que tout autre se mettre en scène de la manière la plus outrancière pour attirer les regards, ne reculant alors devant aucun artifice: maquillage excessif truffé de paillettes, chaussures brillantes aux teintes criardes, sonnerie de téléphone assourdissante, etc. Et pourquoi pas un godemiché fluorescent en guise de pendentif ou autres colifichets insolites… car ainsi accoutré telle une drag-queen, l’individu camp se doit aussi d’adopter un comportement quelque peu provocant.
Avec le cycle «Queer ! Glam ! Camp !», la Cinémathèque de Toulouse propose une sélection de courts et longs métrages qui sont autant de représentations du camp, une attitude qui irrigue tous les genres et s’exhibe dans des œuvres d’avant-garde comme dans les films d’auteur ou le cinéma populaire. Comme le souligne Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, à propos du camp: «Il n’est pas un genre cinématographique en soi, mais c’est au cinéma qu’il s’illustre particulièrement dans son art de se réapproprier les icônes et les codes outranciers du star-system. C’est le cinéma qu’il arrose de sa générosité, échappant dans sa désinvolture à tout dogme, enveloppant dans son regard tendrement moqueur la comédie musicale comme le cinéma d’avant-garde, les chefs-d’œuvre comme les séries B. Un cinéma d’abandon où il est de bon ton de laisser son sérieux au vestiaire».
Parmi les dix-neuf longs métrages projetés, on citera « le Magicien d’Oz » (1939) de Victor Fleming, avec la jeune Judy Garland qui deviendra une icône gay. L’annonce de la mort de l’actrice, en juin 1969, coïncida avec l’interpellation d’un travesti lors d’une énième descente de police dans un bar de Greenwich village, à New York. L’incident déclencha une émeute, des troubles qui durèrent une semaine, rassemblant la clientèle des bars du quartier, appuyée par quelques activistes de gauche, des femmes, des hippies. L’année suivante, une manifestation est organisée pour poursuivre le combat: c’est la naissance de la première gay pride. « Over the rainbow », la chanson du film « le Magicien d’Oz », devient l’hymne de la communauté LGBT qui se donne pour emblème le rainbow flag (drapeau arc-en-ciel à six couleurs)…
La parodie étant un genre qui sied à merveille à l’univers camp, on ne sera guère surpris de trouver « The Rocky Horror Picture Show » (photo) dans cette sélection. Sortie sans succès en 1975, cette comédie musicale rock et transgenre est pourtant devenue le film culte par excellence, grâce à l’obstination de quelques fans qui assistaient aux séances dans les costumes des personnages. Film débridé réalisé par Jim Sharman, « The Rocky Horror Picture Show » a pour héros un travesti transylvanien qui, tel le docteur Frankenstein, a fabriqué une créature aux allures d’apollon destinée à satisfaire ses pulsions sexuelles…
On verra « Femmes » (1939), comédie féroce de George Cukor au casting exclusivement féminin, ou encore « Banana Split » (1943), comédie musicale de Busby Berkeley dont la vedette est Carmen Miranda, chanteuse et danseuse brésilienne, reine du music-hall aux tenues et coiffures à l’extravagance insensée. À l’affiche également : « Pink Narcissus » (1971), de James Bidgood, met en scène les fantasmes onanistes d’un jeune et beau prostitué qui s’imagine en matador, en esclave de la Rome antique, en Narcisse, etc. ; « Polyester » (1981), de John Waters, avec le travesti Divine en épouse modèle dont le quotidien est perturbé par la nymphomanie de sa fille, le fétichisme de son fils, la kleptomanie de sa mère… ; « Priscilla, folle du désert » (1994), quand trois drag-queens quittent Sydney pour traverser l’Australie profonde à bord d’un bus repeint en rose en écoutant les tubes d’ABBA…
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
(1) traduit en français dans « L’œuvre parle » (1968)