Sans nul doute, le concert du 21 octobre de l’Orchestre national du Capitole restera dans les annales, non seulement de la présente saison, mais également des dernières saisons symphoniques de la Ville rose. La Halle aux Grains recevait pour la première fois à Toulouse le jeune chef d’orchestre finlandais Tarmo Peltokoski. Le soliste de la soirée, le presque aussi jeune violoniste américain Chad Hoopes apparaissait ce soir-là pour la troisième fois sur la scène toulousaine.
Le 9 septembre dernier, la participation de notre Orchestre au Festival Ravel de Saint-Jean-de-Luz s’est déroulé sous la direction de Tarmo Peltokoski. Elle a connu un retentissement notoire dans les milieux musicaux. Il faut préciser que ce musicien complet, né en 2000, a commencé sa pratique musicale par le piano. Il n’a pas tardé à suivre une formation de chef d’orchestre à la très réputée Académie Sibelius d’Helsinki. Il a pu là bénéficier de l’enseignement du légendaire Jorma Panula qui a eu comme élève rien moins que Esa-Pekka Salonen, Mikko Franck, Sakari Oramo ou encore Jukka-Pekka Saraste, entre autres grands chefs.
Le retour du jeune et déjà grand chef finlandais à la tête de l’Orchestre national du Capitole, mais cette fois à Toulouse et en compagnie du violoniste Chad Hoopes, a provoqué une sorte de séisme enthousiaste dans une Halle aux Grains chauffée à blanc. Les habitués des concerts ont rarement vécu de telles salves d’applaudissements pendant et surtout à la fin de cette soirée musicale du 21 octobre.
A quoi tient un tel succès ? Probablement à la personnalité de ce chef et à son charisme. Mais surtout à l’efficacité de sa communication musicale avec les instrumentistes. Une efficacité qui lui permet d’obtenir de l’orchestre la richesse des nuances qu’il souhaite. Sa maîtrise ainsi que la maturité de ses choix musicaux sont ici des évidences. En outre, sa gestique sobre et lisible se pare par instants d’éléments presque chorégraphiques. Ce qui frappe avant tout dans sa direction, c’est cet incroyable équilibre entre précision et souplesse. La précision se manifeste en permanence mais elle éclate notamment à l’exécution parfaite des pizzicati des cordes, un test imparable ! La souplesse lui permet des choix de phrasés qui construisent des interprétations élaborées et convaincantes. En outre, saluons la parfaite balance sonore qu’il obtient de tous les pupitres, cordes, vents, percussions, chacun dans son rôle. Enfin le soin des détails s’intègre parfaitement dans la vision globale de chaque œuvre.
La première partie de cette soirée mémorable bénéficie du grand talent de Chad Hoopes, ce jeune et admirable violoniste américain que le public toulousain accueille donc ce soir-là pour la troisième fois. Une sonorité d’une profonde richesse et son impressionnante projection, un soin particulier des phrasés, des nuances caractérisent un jeu qui sait se fondre dans les sonorités orchestrales ou les dominer lorsque l’œuvre le demande. Son violon chante comme une voix humaine.
The Lark Ascending (l’Envol de l’alouette), pièce en un mouvement du britannique Ralph Vaughan Williams, inspirée du poème éponyme de George Meredith, ouvre la soirée sur une partition d’une lumineuse poésie. Le violon de Chad Hoopes se glisse dans les frémissements évocateurs de l’oiseau « shakespearien » avec un charme, un choix de couleurs d’une grande subtilité. Le commentaire orchestral ajoute une certaine suavité au déroulement de cet envol stylisé. Le soliste franchit tous les épisodes virtuoses (éblouissantes cadences !) sans volonté démonstrative. Le silence qui conclut l’œuvre se prolonge dans l’assistance jusqu’à l’ovation méritée.
La partition qui suit, le Concerto pour violon orchestre en ré majeur de Erich Wolfgang Korngold, s’avère très lié aux musiques de film conçues par le compositeur autrichien émigré à Hollywood. Les interprètes en éclairent les trois volets d’une lumière chaleureuse et colorée. Vitalité et fantaisie caractérisent les thèmes principaux directement empruntés aux musiques de films du compositeur. Le soliste témoigne ici d’une joie de vivre, d’un bonheur de jouer qui se lit autant dans son jeu que dans son sourire et sa complicité avec les musiciens de l’orchestre. Le petit duo qu’il partage avec le premier violon Kristi Gjezy fait plaisir à voir et à entendre. Aux mélodies très expressives du Moderato nobile initial succède la belle Romance évoquant un nocturne. Concernant le Finale assai vivace, Korngold déclare : « En dépit de la virtuosité qu’il demande, ce final est destiné à un Caruso plutôt qu’à un Paganini. Mais je suis heureux qu’il soit joué par Caruso et Paganini en une seule et même personne… » Il évoquait par là le créateur de l’œuvre en 1947, le virtuose Jascha Heifetz. Nul doute qu’il aurait retrouvé cette même dualité féconde chez Chad Hoopes qui soutient l’effervescence de cette musique jusqu’à la coda finale quasiment frénétique. L’accueil enthousiaste du public témoigne de l’impact important de cette prestation.
La Symphonie n° 5 de Dmitri Chostakovitch occupe toute la seconde partie du concert. Cette grande partition, composée en 1937, officiellement pour se repentir de l’échec de son opéra Lady Macbeth de Msensk, détesté et interdit par Staline, joue sur les sous-entendus, les détournements expressifs, l’ambigüité musicale. Tarmo Peltokoski en explore tous les ressorts, toutes les couleurs et les tensions parfois presque insoutenables qu’il construit. Sous sa direction affutée, stimulante et précise, l’orchestre déchaîne l’éclat rutilant de l’écriture tout en pénétrant les sens cachés de l’œuvre. Soulignons la perfection du jeu collectif de tous les pupitres. Le Moderato initial s’ouvre sur l’effrayante menace que génèrent les pupitres de cordes. Tragédie et angoisse animent tout ce mouvement. L’Allegretto prend des allures de danse grotesque soutenue par des fanfares de cuivres et illustrée par un solo ironique et caricatural du premier violon, Kristi Gjezy, aussi à l’aise dans le lyrisme que dans le funambulesque.
Vient enfin le Largo, le cœur saignant de toute l’œuvre. L’expression d’une souffrance extrême, celle d’un désespoir infini sont magnifiquement soulignée par la direction de Tarmo Peltokoski. Le crescendo central, d’une intensité douloureuse extrême, atteint des sommets insoupçonnés qui se ressentent comme des coups de poignard dans le cœur. L’émotion est ici à son comble. Le silence de mort qui conclut ce mouvement serre la gorge de chacun.
Ce silence est immédiatement suivi de l’explosion introductive de l’Allegro non troppo final, chef-d’œuvre d’ambigüité. Les autorités de l’époque ont interprété ce cri de désespoir comme une marche triomphale ! Le chef adopte ici le juste tempo et construit ce mouvement comme une course à l’abîme. La répétition obsessionnelle d’un la aigu quelques 252 fois (certains les ont comptés !) aboutit à une sorte d’apothéose tragique qui bouleverse.
Les solos des instruments à vent s’avèrent déterminants tout au long de la symphonie. Notamment ceux du hautbois de Chi Yuen Cheng, de la flûte de Sandrine Tilly, du cor de Jacques Deleplanque, de la clarinette de David Minetti, et de l’ensemble des cuivres et des bois. Qu’ils en soient remerciés !
Une véritable ovation explosive du public libère enfin toute la tension accumulée. Le chef est amené à effectuer de multiples allers-retours au cours desquels il félicite chaleureusement chaque soliste, chaque pupitre. A leur tour les musiciens acclament leur chef comme ils savent le faire lorsqu’un lien s’est manifestement tissé. La satisfaction se lit sur tous les visages et permet d’imaginer (d’espérer ?) un prolongement de la collaboration entre l’Orchestre national du Capitole et Tarmo Peltokoski, un nom qu’il faut d’ores et déjà s’efforcer de retenir.
Bonne nouvelle pour les absents et les autres…
Ce concert a été filmé et enregistré. Il sera diffusé en différé sur medici.tv et également le 28 octobre prochain à 21 h sur Mezzo Live HD.
Programme du concert donné le 21 octobre 2022 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse
- R. Vaughan Williams : The Lark Ascending
- E. W. Korngold : Concerto pour violon et orchestre en ré majeur
- D. Chostakovitch : Symphonie n° 5 en ré mineur
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole